Kevin Teeroovengadum, économiste : « Nous ressentirons les impacts de la récession en Occident, notre marché principal, en 2023 »

Actuellement en visite à Maurice, notre compatriote Kevin Teeroovengadum, économiste basé en Afrique du Sud, s’est livré à nous sur la situation économique dans le pays. Il exprime surtout ses appréhensions pour l’année à venir, soit 2023, qui sera très difficile puisque la population sera alors confrontée aux impacts directs et indirects de la récession qui plane déjà en Occident qui est notre principal marché. Ci-dessous quelques extraits de cet entretien que vous pourrez visionner dans son intégralité sur notre siteweb et notre page Facebook et YouTube.

Zahirah RADHA

Q : L’année 2022 tire à sa fin. Quel constat faites-vous de la situation économique à Maurice ?

Nos frontières sont ouvertes depuis mi-octobre de l’année dernière et cette année a vu un redémarrage du secteur du tourisme. Dans ce contexte, 2022 devrait être une bonne année pour Maurice. Du moins, c’est ce que les autorités ont soutenu depuis le début de cette année-ci. Mais nous avons quand même eu à affronter des difficultés au niveau international en termes d’inflation globale, des logistiques, la hausse initiale des commodités comme les carburants et le gaz, le conflit Ukraine-Russie et la tension géopolitique en cours entre l’Occident et la Chine. Malgré toutes ces incertitudes, l’économie de Maurice s’est rouverte. La croissance est meilleure que l’année dernière, mais je pense qu’elle sera néanmoins moins que celle – de l’ordre de 9% – prévue par les autorités.

Q : Elle tournera autour de 7, 2%, selon ‘Statistics Mauritius’. Vous ne le croyez pas réalisable ?

Au départ, les autorités avaient prévu 9%. Ensuite, les prévisions sont passées à 8 % et finalement à 7, 2%. Moi je pense qu’elle sera entre 5 et 5, 5%. J’aimerais attirer l’attention sur le fait que les prévisions initiales de ‘Statistics Mauritius’ ou de la banque centrale sont souvent révisées six mois plus tard. Je vous donne un exemple. En 2021, leurs prévisions pour la croissance étaient de l’ordre de 5%, mais elle a été ramenée à 3, 7% par la suite. En 2019 également, elles avaient dû revoir leur estimation à la baisse. C’est pour cela que j’estime qu’il nous faut faire très attention à leurs prévisions. Nous aurons les vrais chiffres pour 2022 dans six mois. Je suis sûr que la croissance pour 2022 sera aux alentours de 5%.  

Q : Est-ce mauvais dans le contexte actuel ?

Une reprise est mieux que rien. Il y a un ‘feel good factor’ vu que les frontières sont ouvertes et que le tourisme a repris. Mais factuellement, il y a un décalage à Maurice. En 2020, le monde était fermé, mais cela n’avait pas empêché à divers pays à travers le monde, que ce soit aux États-Unis ou en Europe par exemple, de réaliser une croissance extraordinaire en 2021 dépassant la barre des 5%. Mais notre croissance, cependant, était très faible à 3.7%. Cette année-ci, quand des pays à l’international se battent contre la récession qui se pointe, en réalisant une très faible croissance ou sinon même une décroissance, nous nous attendons, à l’inverse, à ce que notre croissance soit meilleure. D’où le décalage que j’ai évoqué plus tôt.

Q : Sans compter que la récession mondiale jouera également au trouble-fête concernant les prévisions de croissance, n’est-ce pas ?

Définitivement. S’il y a encore un sentiment de ‘feel good factor’ dans certains secteurs, ce ne sera plus le cas l’année prochaine quand les effets de la récession commenceront à se faire sentir. C’est toujours ainsi à Maurice. Il y a un ‘time lag’ de six à neuf mois avant qu’on ne ressente les effets. Il nous faut aussi comprendre que cette année-ci, outre la reprise du tourisme avec l’ouverture des frontières, le gouvernement, à travers la banque centrale, a injecté massivement, soit environ Rs 158 milliards pendant les deux dernières années, dans le circuit monétaire. Cet argent fine rentre dans pos bane dimoune, bane corporates, bane différents secteurs. Ces Rs 158 milliards représentent à peu près 30% de notre Produit Intérieur Brut (PIB). Donc, ce ‘feel good factor’ dont je vous ai parlé sera dilué en 2023 et nous ressentirons alors les impacts de la récession en Occident qui est notre principal marché.

Q : La compensation salariale de Rs 1000 que les employés percevront à partir de janvier 2023 aidera-t-elle à absorber les impacts de la récession sur la population ?

Ces Rs 1000 provoqueront un ‘feel good factor’ temporaire qui s’évaporera dès qu’elles s’épuiseront après quelques jours. Il faut aussi comprendre que cette compensation ne fait que ‘catch up’ avec l’inflation réelle qui est bien plus que les 12 % chiffrés officiellement. Le prix de l’essence est passé de Rs 52 en décembre de l’année dernière à Rs 74 actuellement. Ce qui fait une hausse de 40%. Les prix des produits alimentaires ont augmenté par 20 à 30%. Sa Rs 1000 la ti bizin donné, mais, comme je viens de le dire, j’estime que cette compensation n’est qu’un ‘catch up’ puisque l’inflation est bien plus élevée, entrainant une baisse conséquente du pouvoir d’achat de la population, surtout de la classe moyenne et des ‘lower income earners’.

Q : Mais le gouvernement avait-il les moyens pour faire mieux ?

Je pense que la compensation aurait dû être plus ciblée. C’est insensé, par exemple, que les ‘higher income earners’ bénéficient des subsides sur le gaz. Il y aurait dû avoir un ciblage au niveau des subsides et autres soutiens. Ce n’est pas quelqu’un qui touche un million de roupies par an qui est impacté par l’inflation, mais ceux qui perçoivent Rs 10 000, Rs 15 000 ou Rs 25 000 par mois qui sont les plus affectés par l’inflation. Il n’est pas difficile de faire ce ciblage, car la MRA dispose déjà de toutes les informations sur les gens, comme on en a vu dans le sillage de la Covid-19 avec l’introduction du ‘Wage Assistance Scheme’ (WAS). Ainsi, les autorités auraient pu facilement cibler ceux qui méritent de meilleurs soutiens. 

Q : Le gouvernement ne veut probablement pas froisser une section de la population, ne croyez-vous pas ?

Pensez-vous que celui qui touche un million de roupies par an sera déçu s’il ne reçoit pas une compensation de Rs 1000 par mois ? Je crois que c’est un faux débat. En France par exemple, il y a un ciblage en ce qu’il s’agit de la distribution du chèque énergie. Je ne vois pas pourquoi cette politique de ciblage ne peut pas être appliquée à Maurice. C’est là qu’on voit l’inefficience du système à Maurice. On aurait pu recanaliser ces aides vers ceux qui en ont le plus besoin, comme les travailleurs qui touchent en-dessous de Rs 25 000 par mois.

Q : Ces aides que vous préconisez n’auraient-elles pas dû être aussi accompagnées d’une baisse des prix des carburants ?

Absolument !

Q : Que pensez-vous de l’explication officielle à l’effet qu’il faut renflouer les caisses de la STC pour financer la pension ?

C’est un peu komsi pe tire dans poche droite pe met dan gauche et tire devant mette derrière. Pour moi, c’est clair qu’ils ne sont que dans un « fighting mode ». Cela n’a pas de sens. Le prix du pétrole avait commencé à augmenter en décembre de l’année dernière. Vers février et mars, le prix à l’international avait atteint le seuil de 125 dollars. Mais depuis mai, le prix a continuellement baissé depuis mai pour se chiffrer tout dernièrement à 80 et même 75 dollars. Cela fait quand même une grande différence. Les autorités auraient dû répercuter cette baisse au niveau du prix affiché à la pompe chez nous. Le prix aurait dû être bien en-dessous de Rs 60/ litre au lieu de Rs 74/ litre. Le problème, c’est que le gouvernement tente, d’un côté, de donner l’illusion que tout va bien et de l’autre, pe dire ou non pas pou kapave réduire prix parski nou bizin kas. Il doit décider une fois pour toutes si tout va bien ou pas. S’il y a un problème, il faut être franc et transparent envers les Mauriciens.

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