Kevin Teeroovengadum : « On entame dangereusement une stagflation »

Alors que le gouvernement se la joue « business as usual » sur le plan économique, la situation ne cesse d’interpeller opérateurs économiques et économistes. Le pays se dirige vers une descente aux enfers, s’il n’y est pas déjà, avec une crise sociale qui se précise, surtout avec la flambée des prix des commodités. Une condition qui risque de s’aggraver davantage, avec une stagflation qui pointe déjà le bout de son nez.

Cette stagflation, nous explique l’économiste Kevin Teeroovengadum, serait provoquée par trois facteurs : le taux élevé de l’inflation et du chômage et la faible croissance économique. « Outre le taux élevé de l’inflation, nous savons tous que le taux du chômage est élevé, d’autant que le nombre réel est supérieur aux chiffres officiels. On doit tenir en compte des licenciements à prévoir avec l’abolition du « Wage Assistance Scheme », les entreprises qui n’arrivent pas à garder la tête hors de l’eau et les jeunes qui entrent sur le marché du travail », soutient-il.

« Normalement, il nous faut une croissance forte et une inflation moins que la croissance et le chômage pour qu’on puisse se vanter d’une économie en bonne santé. Or, c’est l’inverse qui se produit actuellement avec une faible croissance et un taux élevé de l’inflation et du chômage. D’où l’entame d’une période de stagflation », martèle Kevin Teeroovengadum. Conséquence : la population s’appauvrira davantage occasionné par l’effet inflationniste.

Une situation que le pays n’a pas connue depuis des lustres. La dernière fois que Maurice a vécu une telle crise remonte aux années 70-80. « À cette époque, la décroissance se situait dans la fourchette de -10%. Ce qui est inférieur à celle réalisée en 2020 qui s’élevait à -15%. C’est donc pire que celle que le pays a déjà vécue dans le passé. La différence est que le pays était alors un ‘low income country’ et que la crise était suivie systématiquement par une croissance. Aujourd’hui cependant, on n’a même pas une visibilité par manque de vision et de mesures concrètes pour rebooster l’économie », insiste l’économiste.

Il souligne que la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI) avaient déjà prévenu que certains pays s’en sortiraient très mal de la crise mondiale causée par la pandémie Covid-19. Malheureusement, Maurice s’y retrouve. « Notre décroissance de l’année dernière a été l’une des pires réalisées à travers le monde. Sur 180 pays, nous sommes classés parmi les ‘bottom 15’. L’économie mondiale a elle-même fait une décroissance d’environ – 4-5% alors que la nôtre était de – 15%. Cela nous donne déjà une indication de notre piètre performance », poursuit l’économiste. Il prévoit que la croissance de cette année ne serait guère reluisante. « Avec une régression de 15% l’année dernière, on aurait dû réaliser une croissance entre + 10 – 20% cette année-ci. Malheureusement, on n’atteindra même pas une croissance de 4% en 2021 », se désole Kevin Teeroovengadum.

En se basant sur les prévisions du FMI, la croissance de 3% attendue durant les prochaines années n’est pas suffisante, selon lui, pour créer la richesse. D’autant que le pays se retrouve avec deux boulets aux pieds, dont le taux élevé de l’inflation et du chômage.