L’affaire peut durer entre quatre ou six ans

‘Judicial Review’ demandée par Roubina Jadoo-Jaunbocus

Roubina Jadoo-Jaunbocus a déjà déposé son application accompagnée d’un affidavit la semaine d’avant pour demander une ‘judicial review’ contestant rapport de la commission antidrogue qui avait sévèrement critiqué ses agissements. Elle a assigné comme défendeurs le président de la commission, Paul Lam Shang Leen, et les deux assesseurs, Sam Lauthan et Ravind Domun, tandis que l’État, représenté par l’Attorney-General, et le secrétaire de la commission, ont été assignés comme codéfendeurs. Nous invitons les lecteurs à suivre avec nous les méandres de cette longue procédure, très longue même…

Une ‘judicial review’ est une action en justice où un citoyen ou une entité privée qui sont lésés par la décision d’un organisme public (l’État ou un service gouvernemental ou leurs préposés ou agents) demande réparation en cour. La ‘judicial review’ s’assure que l’État et le gouvernement agissent dans le cadre de la loi et constitue une garantie importante pour la protection des droits fondamentaux des  citoyens.

Un citoyen peut demander une ‘judicial review’ dans les cas suivants : si la décision de l’autorité en question est illégale ou anticonstitutionnelle ; si l’autorité na pas respecté les procédures la régissant ; si la décision est irrationnelle, disproportionnée, déraisonnable, arbitraire ou capricieuse ; ou encore si l’autorité a outrepassé ses pouvoirs légaux.

Toutefois, la raison la plus commune pour demander une ‘judicial review’ est le ‘breach of natural justice’ : c’est-à-dire quand il ya des doutes sur l’impartialité de l’autorité décisionnaire ou encore si l’autorité décisionnaire a rendu une décision préjudiciable mais sans donner une chance à la personne affectée par la décision la possibilité de s’expliquer. C’est ce que Roubina Jadoo-Jaunbocus reproche à la commission sur la drogue.

La commission, dans son rapport, lui reprochait d’avoir rendu visite à plusieurs prisonniers à la prison centrale, y compris à des trafiquants notoires, sans que ces derniers n’aient retenu ses services, ce qui est strictement interdit par le Code de conduite du barreau.

Toutefois, selon Roubina Jadoo-Jaunbocus, plusieurs détenus, condamnés pour la plupart  à de très longues peines de prison, se seraient constitués en un ‘Detainee Work Team’, en vue de demander une rémission de leurs sentences suite à des jugements sur la constitutionalité des longues peines de prison. Elle aurait été conduite auprès de ces prisonniers qui s’étaient réunis dans le ‘lecture hall’ de la prison. Quelque temps après, ces derniers aurait ensuite compilé un ‘dossier’ qu’ils auraient envoyé à l’avocate à son étude. « Ce sera à la Cour de déterminer si dans ce cas-ci, on peut effectivement parler de ‘unsolicited visits’, comme décrit par la commission à la page 228 de son rapport », nous explique un homme de loi qui a voulu garder l’anonymat.

Dans sa demande de ‘judicial review’, Roubina Jadoo-Jaunbocus fait ressortir que la commission aurait dû lui donner l’occasion de s’expliquer et de présenter le ‘dossier’ remis par les prisonniers. Ce qui, pour elle, constituerait une ‘breach of natural justice’. Idem pour l’appel téléphonique qu’elle aurait reçu du caïd Veeren Peroomal et pour les accusations de blanchiment d’argent. La commission ne lui aurait pas donné l’occasion de s’expliquer ou de la confronter aux documents incriminants.

Ce que demande l’avocate : que la Cour suprême émette une déclaration que la commission a agi en ‘breach of natural justice’, ceci afin de laver son honneur.

Le ‘leave stage’ : la ‘bataille des affidavits’

Il faut savoir qu’un procès en ‘judicial review’ ne peut être entendu directement. Le requérant doit d’abord obtenir le ‘leave’ de la Cour suprême, qui est essentiellement une autorisation pour que le requérant puisse aller de l’avant. « Contrairement à un procès ordinaire où un plaignant réclame des dommages et intérêts, une ‘judicial review’ implique le gouvernement ou l’État, d’où l’importance que la cour donne son aval », nous fait comprendre l’homme de loi.

L’affaire sera vraisemblablement appelée devant le chef-juge lui-même en septembre. Les défendeurs assignés par Roubina Jadoo-Jaunbocus seront convoqués et devront informer la Cour s’ils comptent résister l’application de l’avocate. « Il est plus que probable que les défendeurs vont résister, car ils apporteront sans doute des arguments de poids pour contrer les affirmations de la requérante », nous explique l’avocat. Dans ce cas, ils auront un mois à déposer leurs contre-affidavits.

Débute alors une ‘bataille des affidavits’. La requérante aura un mois pour déposer un autre affidavit en ‘rebuttal’. Les parties adverses auront un autre mois pour présenter à leur tour un ‘rebuttal’. L’affaire se termine normalement là, mais avec la permission de la cour, les deux parties pourront présenter d’autres affidavits. La bataille des affidavits prendra vraisemblablement fin début 2019.

Une audience est tenue devant deux juges de la Cour suprême, qui se baseront uniquement sur les affidavits des deux parties, qui détermineront s’il faut donner la ‘leave’ ou non. En toute probabilité, cette audience aura lieu en 2019 même. « A priori, les chances de Roubina Jadoo-Jaunbocus d’obtenir la ‘leave’ sont plutôt bonnes car elle a soulevé d’importants ‘grounds’»,  nous confie notre interlocuteur.

Le ‘merit stage’

Une fois la ‘leave’ obtenue, le plus difficile commence, notamment le ‘merit stage’, où le procès en ‘judicial review’ est pris sur le fond. Il sera entendu par deux autres juges de la Cour suprême (jamais par les deux juges qui ont octroyé la ‘leave’). Avec un peu de chance, le procès peut être pris en 2019 même, et les deux parties pourront appeler des témoins et soumettre leurs plaidoiries devant la cour.

Normalement, un procès en ‘judicial review’ prend une bonne année et il est probable que le procès s’échelonnera sur une bonne partie de 2020, tandis que le jugement sera rendu en toute probabilité en  2020 ou 2021.

L’appel au Privy Council : entre deux et trois ans…

Tous les appels après l’exercice de ‘judicial review’ doivent obligatoirement être entendus devant le Privy Council à Londres. Toutefois, la partie qui veut faire appel ne pourra aller devant le Privy Council directement et devra demander cette fois-ci la ‘leave to appeal’ devant deux autres juges de la Cour suprême. Il dispose de 21 jours pour donner avis d’appel. En temps normal, la ‘leave’ est octroyée dans trois mois. L’’appellant devra démontrer qu’il soulève des points de droits ‘of public importance’ avant que la ‘leave’ ne lui sera octroyée. Si la Cour suprême ne donne pas la ‘leave to appeal’, l’appellant doit alors demander une ‘special leave to appeal’, auprès du Privy Council, ce qui prendra normalement encore trois mois.

Une fois la ‘leave’ ou ‘special leave’ obtenues, tous ceux concernés devront s’armer de patience… En tout et pour tout, jusqu’à ce que le procès soit entendu par les Law Lords et que le jugement final soit rendu, il faudra compter jusqu’à deux ou trois ans. Ainsi, le jugement final sera rendu entre 2022 et 2025…