L’angoisse !

Les signes de sécheresse ne sont pas encore visibles. Partout l’île est encore bien verte. C’est quand on s’approche des réservoirs que l’on découvre la gravité de la situation. La nappe d’eau rétrécit et laisse derrière elle une vue lunaire.  Les réservoirs affichent actuellement un faible taux de remplissage et les grosses pluies d’été se font toujours attendre.  Résultat : les coupures d’eau affectent des milliers de familles depuis des mois et deviennent de plus en plus draconiennes.  Aujourd’hui une grande partie de la population n’est approvisionnée en eau que pendant quelques heures au quotidien et la quantité d’eau qui coule dans les robinets s’amenuise de jour en jour. Le constat est simple : si les grosses pluies n’arrivent pas bientôt, le pays connaîtra l’une des pires sécheresses de son histoire, juste après celle de 2011. 

 

 

Selon Ram Dhurmea, Divisional Meteorologist à la station de Vacoas, les grosses pluies sont attendues dans la 2e semaine de février. En attendant, on devra s’y faire avec les pluies fines seulement, qui ne tomberont qu’occasionnellement.

Aucune déclaration du directeur de la CWA, Yousouf Ismaël, au Sunday Times, en dépit de nos nombreuses demandes.

 

Maurice classée comme pays à risque de la sécheresse

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L’ex-ministre de l’Environnement, Alain Wong, lors de la COP 22 au Maroc en novembre dernier (Ndlr : 22e conférence des Nations Unies sur le changement climatique), avait mis l’accent sur le danger auquel Maurice pourrait faire face d’ici 2030 : une pénurie d’eau grave et chronique. D’ailleurs, Maurice a été classée 13e dans le 2016 World Risk Report. Cette liste comporte différents pays qui sont les plus à risque des désastres naturels. Alain Wong avait, par ailleurs, rencontré des bailleurs de fonds des pays potentiellement donateurs afin de les convaincre d’investir dans l’énergie renouvelable à Maurice mais aussi principalement pour refaire complètement le système de collecte et de distribution d’eau dans le pays.

Il nous précise que le changement climatique mondial et le gaspillage d’eau augmentent le risque d’une sécheresse. «  L’île Maurice est petite et nous pourrons sortir la tête hors de l’eau facilement», selon lui. « Mais pas d’arrogance et plus de coopération de la part des personnes ou institutions concernées », insiste-t-il. Il partage l’avis de nombreux abonnés de la CWA. Il faudrait essentiellement revoir tout le réseau de collecte et de distribution d’eau à Maurice. Au cas contraire, nous risquons gros.

 

Est-ce que nous aurons suffisamment d’eau avec la croissance du pays ?

Selon l’hydrologue Farook Mowlabuccus, un ex-officier de la Water Resouces Unit, durant les mois d’octobre à décembre (les périodes sèches selon lui), la pluie se fait toujours rare. Ce problème auquel nous faisons face en ce moment est, selon lui, dû à l’accroissement des demandes ménagères et industrielles. Il précise également que la quantité d’eau disponible est restée la même, mais la population s’accroît d’année en année. Ainsi, le réservoir de Mare aux Vacoas, qui est vidée par un seul canal.

En 1996, un plan a été mis en place à la Water Resources Unit  afin d’éviter une pénurie d’eau dans le pays, notamment par la construction de cinq barrages d’ici 2040. À savoir que deux d’entre eux ont déjà abouti, ceux de Midlands et de Bagatelle.

Quant aux coupures d’eau quotidiennes, avec nos réservoirs remplis à 50 %, c’est quelque peu normal mais nous sommes encore loin du worst case scenario, selon notre interlocuteur. En outre, il est certain qu’avec le Bagatelle Dam, quelques régions seront soulagées pendant des périodes sèches. « Les autorités font leur travail », selon lui. Toutefois, notre interlocuteur se dit inquiet des pertes excessives de la Central Water Authority. « Il faut revoir et réparer ces infrastructures afin de pouvoir réduire ces pertes. »

  • Les pertes d’eau dues au réseau de la CWA jugées « excessives »

Cependant, l’hydrologue estime que le volume d’eau disponible à Maurice devrait quand même être revu pour la population actuelle. Nous devons nous confronter à la grande question : est-ce que nous aurons suffisamment d’eau avec l’évolution industrielle, touristique et ménagère entre autres ?

 

Le dessalement de l’eau de mer est-il une solution possible à Maurice ?

Nous avons obtenu l’opinion de l’océanographe Vassen Kauppaymuthoo sur le dessalement de l’eau à Maurice. Selon lui, dessaler l’eau de mer à Maurice n’est pas une solution. Premièrement, cela coûterait plus cher à l’État car seuls les pays riches tels que l’Arabie saoudite parmi quelques autres ont recours à cette pratique. Deuxièmement, il faudrait des personnes de hautes compétences techniques pour pouvoir produire de l’eau potable à partir de l’eau de mer, car il y a le risque de maladie lors de la consommation d’eau dessalée. En dernier lieu, cela pourrait déboucher sur un problème environnemental car les ressources marines à Maurice sont déjà fragilisées. Le risque de pollution n’est aussi pas à écarter.

  • Tout dépend des grosses pluies en février

Toutefois, l’océanographe pense que le problème d’eau dans le pays peut être résolu. D’abord, il faudrait rétablir le système de remplissage et la distribution. «  Les qualités du réseau de la CWA sont à revoir ».

 

« Dilo malpropre ek la boue »

Nasseer Sheik Rossun est un ex-éleveur de bœufs. Après la fièvre aphteuse qui a touché le pays, il ne peut plus élever des animaux. Même s’il le pouvait, les coupures d’eau seraient un véritable casse-tête pour ce dernier. D’ailleurs, cet habitant de Vallée-des-Prêtres nous affirme que les coupures d’eau dans la région se font de plus en plus fréquentes. « Kot nou, dilo pé arrêté souvent, bonheur avant 8 h. De 8 h à 17 h dilo pa coule ditou. Ek kan dilo la coulé, li malpropre, nous gagne dilo rouge, rempli ek la boue. »

 

« Mo bann plantations affectées »

À St Julien d’Hotman, Taleb Boodoo, agriculteur de profession, nous explique que chez lui, dans son village, il y a rarement des problèmes d’eau. « Pour le moment la pluie pa pé trop tombé mem. Mais nous kav dire ki kot nous, nous pa pé gagne oken problème dilo. » Néanmoins, il nous explique que la chaleur et le manque de pluie sont des problèmes pour ses plantations. « Bann plant la sec vite surtout qui en ce moment climat là chaud ».

« 5 ans de cela, ene leçon »

Murthun est un pépiniériste et entrepreneur de travaux. Il a à sa charge sept employés qui s’occupent de ses pépinières à Rivière-des-Anguilles. Il nous explique qu’il n’est pas trop inquiet de cette situation actuelle.

La dernière fois qu’il a vécu un problème de ce genre, c’était il y a cinq ans, lors de la sécheresse qui avait touché Maurice : « Cinq ans de cela, ti éna alerte rouge et nous pas ti pé gagne droit servi de l’eau CWA akoz ti éna la sécheresse. Dépi sa, mone apprann la leçon, foder pas gaspillé ». Aujourd’hui, il a 40 citernes de type Bowser à sa disposition et se dit confiant que pour sa part, il n’aura aucun souci à se faire par rapport à la fourniture d’eau.

 

Impact sur les prix des légumes

Du côté des maraîchers au Marché Central, certains se disent inquiets de la situation si d’ici une semaine la pluie ne s’annonce pas. Pour l’instant, même si les prix des légumes restent inchangés au marché, l’inquiétude est bel et bien présente.

Selon un revendeur de pommes d’amour, les légumes ont besoin d’une quantité importante d’eau dans les champs tandis qu’avec la culture sous serre, ils peuvent subsister avec une quantité réduite d’eau. D’ailleurs, il estime que si le problème de pluie persiste d’année en année durant les périodes dites sèches, ce serait préférable d’abandonner l’agriculture sur une grande superficie qui demande plus d’eau et de se mettre à tout cultiver sous serre, ce qui coûtera néanmoins plus cher.

Par ailleurs, la récolte des fines herbes telles que le thym et le persil a été très abondante ces derniers temps en raison des pluies fines dans certaines régions. Par contre, lors des grosses pluies de février comme prévues par le météorologiste que nous avons interrogé, cela serait un bouleversement. « ¾ bann fines herbes gate akoz bann gros lapli », témoigne un marchand de légumes.

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Les horaires de coupures à travers l’île

Port Louis et les régions avoisinantes

 6 heures d’approvisionnement au quotidien (5 h – 8 h) (17 h – 20 h)

  • Le Nord

Petit Raffray, Péreybère, Cap Malheureux, Calodyne

12 heures d’approvisionnement au quotidien (3 h – 9 h) (15 h – 21 h)

Goodlands, St Antoine, Roche-Terre et Grand-Gaube

 9 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 8 h 30) (16 h – 20 h 30)

Grand-Baie, Pointe-aux-Canonniers, Mont Choisy

19 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 21 h)

 Congomah

 12 – 15 heures d’approvisionnement au quotidien

Upper Les Mariannes

3 heures d’approvisionnement au quotidien (9 h – midi)

  • L’Est

Nouvelle Découverte, Espérance, Bonne Veine, Verdun, La Laura, L’Avenir

 10 heures d’approvisionnement au quotidien (3 h – 8 h) (15 h – 20 h)

 Curepipe et les régions avoisinantes

 10 heures d’approvisionnement au quotidien (3 h – 9 h) (15 h – 21 h)

 Highlands, Moka, St Pierre, Alma

 16 heures d’approvisionnement au quotidien (3 h – 11 h) (15 h – 23 h)

Route Bassin, Palma, La Louise, Beau-Bassin, Rose-Hill, Plaisance, Stanley, Sister Marie Clémence, Pigeot, DePlevitz, Giroday, St Jean, Quatre-Bornes

 8 heures d’approvisionnement (4 h – 8 h) (16 h – 20 h)

Upper Morcellement Bismic et Anna, Flic-en-Flac, Morcellement St Jacques, Upper Safeland, Morcellement Palmyre         

10 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 9 h) (16 h – 21 h)

Cité Chebel, Cité Barkly, Coromandel, Belle Étoile

8 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 8 h) (16 h – 20 h)

 Cascavelle, Beaux Songes, Sodnac

 24 heures d’approvisionnement au quotidien

Petite Rivière-Noire, La Gaulette, Case Noyale, Îlot Fortier, Cotteau Raffin

10 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 9 h) (16 h – 21 h)

Roches-Noires / Tamarin

Carlos / Tamarin

5 heures d’approvisionnement au quotidien (10 h – 15 h) (22 h – 3 h)

La Preneuse, Grande Rivière Noire, La Mivoie

 6 heures d’approvisionnement au quotidien (4 h – 7 h) (16 h – 19 h)

Le Morne, Dilo Pouri

 6 heures d’approvisionnement au quotidien  (5 h – 8 h) (17 h – 20 h)

 

Un problème planétaire

De nos jours, plus d’un tiers de l’humanité, soit plus de 2 milliards d’habitants survivent avec moins de 5 litres d’eau par jour, moins de 1700 litres par an. C’est ce qu’on appelle le ‘stress hydrique’. Dans la zone qui s’étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan, c’est-à-dire  dans plus de 20 pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, chaque habitant doit se contenter en moyenne de  moins de 3 litres d’eau par jour, soit moins de 1000 litres d’eau douce par an, une situation dite de « pénurie chronique ». Impossible dans ces conditions d’avoir une bonne hygiène et de vivre dans l’opulence. L’eau douce est donc une denrée rare pour des milliards d’habitants.

Dans ces pays pauvres, quatre millions de  personnes meurent chaque année de maladies liées au manque d’eau. 6000 enfants meurent chaque jour dans le monde pour avoir consommé une eau non potable alors que leurs maladies sont faciles à soigner.

Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la Terre devrait en effet connaître une élévation des températures comprise entre 1,5 et 3 degrés au cours du siècle prochain. Si la consommation d’eau de boisson et d’irrigation sera certainement appelée à augmenter, des effets indirects, plus difficiles à maîtriser, pourraient également se manifester : hausse des pertes par évaporation et moindre réalimentation des nappes phréatiques, apparition plus fréquente d’événements météorologiques extrêmes comme les orages (pouvant entraîner une surcharge des réseaux d’épuration), modification des zones climatiques et des saisons susceptible d’avoir des incidences prononcées sur l’approvisionnement en eau. Même dans les régions où le volume total des précipitations annuelles ne changera guère, des problèmes risquent de se poser si ces précipitations sont concentrées en hiver ou si elles délaissent les zones agricoles. Un problème planétaire.