L’aventure du premier billet de Rs 100 de Maurice

L’aventure des nouveaux billets de Rs 100 démarra en juin 1982, lorsque le gouvernement fraîchement installé confia au ministre des Arts et de la Culture, Rama Poonoosamy, la mission de piloter le projet d’une nouvelle famille de billets.

La première proposition soumise, sous l’ancien régime, par Mark Shepherd de la firme britannique Bradbury Wilkinson, visait à illustrer la diversité mauricienne à travers des enfants supposément de différentes ‘communautés’ et des édifices religieux en arrière-plan. Elle fut rapidement rejetée, l’une des raisons étant que visiblement, les enfants n’étaient pas des Mauriciens.

Le ministre décida alors de confier la tâche à un graphiste mauricien. C’est ainsi que je fus sollicité, alors chef du département de design au Collège des Ondes, après des études de graphisme à Paris.

Pour répondre aux exigences de sécurité propres aux billets de banque, je fus épaulé par le maître graveur Terry Thorn de Bradbury Wilkinson. Ensemble, nous avons travaillé selon le cahier des charges soumis par le Ministre Rama Poonoosamy. C’est à dire représenter paysages, faune, flore et éléments culturels afin de donner aux billets une identité authentiquement mauricienne. Nous avons fait le tour des forêts du pays afin de prendre des photos et recueillir des éléments de notre flore, tels que le bois carotte, l’aloès verra, entre autres, présents sur le billet de Rs 100.

Au recto de ce premier billet de Rs 100, les nénuphars du jardin botanique de Pamplemousses, avec en bas une bordure de fleurs de nénuphars et de bougainvilliers stylisés. Les bords verticaux comportant des motifs de tronc et de feuilles de papayer, ainsi qu’un nattage de feuilles de palmiste. Le charretier, métier en voie de disparition, y figure également.

Au verso, le choix se porta sur les terres aux sept couleurs de Chamarel, pour sa beauté singulière, symbole d’harmonie.

En voyant l’œuvre finale, le ministre Rama Poonoosamy nous félicita tout en proposant qu’on y ajouta un élément ‘secret’ sur le billet. Il nous demanda également de concevoir un nouveau billet de Rs 50.

Ce billet de Rs 50 met à l’honneur les objets culturels façonnés à la main, en argile : les petites lampes, les diyas, alignées comme pour célébrer le Divali, ainsi que les objets de culte, tels qu’un contenant appelé en tamoul  le touakal, utilisés pour les rituels d’encensement. Les bords verticaux sont illustrés par un alignement décoratif de cruches et de lampes en terre cuite. Présent aussi, au recto, un couple de Pigeon des Mares.

Le verso met en valeur la faune et la flore mauriciennes, des cerfs, avec à l’arrière-plan un arbre du voyageur (Ravenala), le papillon Papilio manlius, l’hibiscus genevii et, pour clore l’ensemble, un majestueux Kestrel, le Falco punctatus devenu par la suite notre oiseau national.

Le ministre Rama Poonoosamy devait qualifier d’œuvre d’art ce magnifique billet de Rs 50. Plus tard, le ministre fut invité à Londres pour une semaine par Bradbury Wilkinson, il déclina l’invitation et proposa que le graphiste mauricien qui travaille déjà sur les billets de banque visite les ateliers de Bradbury Wilkinson pour se perfectionner davantage.

Je passais ainsi trois semaines aux ateliers de Bradbury Wilkinson Security Firm, à Surrey en Angleterre, pour aussi illustrer les maquettes des billets de Rs 100 et Rs 50 en respectant les zones réservées aux éléments de sécurité, comme le fil en argent incrusté à l’avance dans les billets et le filigrane représentant le dodo.

J’assistais les experts à traduire mes maquettes en gravure, sculptant les motifs à l’aide d’outils mécaniques, dont un poinçon en acier. Ce procédé, appelé taille-douce, permet de créer des traits fins et profonds qui retiendront l’encre.

J’étais émerveillé par le résultat donnant un relief perceptible au toucher et difficile à contrefaire.

Une session de travail avec les officiers d’Interpol pour me former à la détection des contrefaçons est venu clore mon séjour à Bradbury Wilkinson. De retour à Maurice, j’attendais avec impatience la mise en circulation de ces billets que j’ai eu l’honneur de créer avec le soutien de spécialistes et l’encouragement de Rama Poonoosamy. 

Je souhaite toujours qu’un ou qu’une autre graphiste mauricien/ne ait un jour le privilège de concevoir d’autres billets mauriciens, ne serait-ce que pour renouveler la famille actuelle.

Palmesh Cuttaree