L’avocat du diable

Quand un Maneesh Gobin, d’habitude si volubile, devient subitement gaga sur le dossier Franklin, c’est qu’il y a définitivement anguille sous roche. Son silence gênant face aux questions pressantes de la presse mercredi est, en fait, très parlant. Pour deux raisons. D’abord, il indique clairement que c’est le début de la fin du règne mafieux du MSM. Ensuite, il signifie que le gouvernement MSM sait qu’il est coincé. Tout ce qu’il aurait dit aurait pu se retourner contre lui, surtout quand les autorités réunionnaises, également concernées par l’affaire Franklin, privilégient, elles, la transparence et le droit à l’information, contrairement au gouvernement mauricien qui se réfugie dans un silence coupable, en l’absence d’une ‘Freedom of Information Act’ promise mais oubliée intentionnellement.

Si Maneesh Gobin est venu de l’avant pour tenir une conférence de presse, ce n’était sans doute pas parce qu’il voulait assurer la transparence sur la demande d’extradition de Franklin faite par l’île sœur. Au contraire, il lui fallait, selon toute probabilité, se faire l’avocat du diable. Mais en venant de l’avant pour défendre la réputation du Premier ministre face à ses détracteurs qui circulaient des photos de lui en compagnie du suspect Rikesh Sumbhoo, l’Attorney General n’a fait qu’enfoncer le clou dans le cercueil gouvernemental. Puisqu’il a lamentablement failli dans sa mission devant la tournure des événements. C’était presque burlesque de voir l’aboyeur de service faire un walk-out de sa propre conférence de presse, la queue entre les jambes.

C’est aussi très évocateur que le Premier ministre n’ait pas mis de temps pour bondir de sa chaise suivant la circulation des photos de lui en compagnie de Rikesh Sumbhoo. C’est par le biais de son avouée Shamila Sonah-Ori, celle qu’il voulait nommer à la tête de l’‘Electoral Supervisory Commission’ (ESC) et de l’‘Electoral Boundaries Commission’ (EBC), qu’il a émis un communiqué pour prévenir et menacer ses détracteurs. Preuve que Pravind Jugnauth a eu mal. Très mal. D’autant que ces photos, comme celles où il se trouvait en compagnie de Geanchand Dewdanee, arrêté dans le sillage de la saisie record de 135 kilos d’héroïne en mars 2017, ne corroborent pas avec l’image qu’il veut projeter de lui-même en prétendant vouloir « kas le rein trafiquants ». Si le chef du gouvernement et son Attorney General sont à ce point sur la défensive sur l’affaire Franklin, c’est que celle-ci relève vraisemblablement d’un ‘hot potato’.

Pravind Jugnauth sera jugé, non pas sur ses paroles et promesses, mais sur la base de ses actions. Et jusqu’ici, rien ne prouve qu’il a pris, durant ces huit dernières années, des actions concrètes pour combattre le trafic de drogue. La campagne électorale du MSM en 2014 avait été teintée d’allégations de financement par l’argent provenant des barons de la drogue, surtout au no. 3. Pravind Jugnauth avait été lui-même accusé de financer l’importation de la drogue par le caïd Veeren Peroomal. La commission Lam Shang Leen, mise sur pied par le Premier ministre, n’a pointé du doigt que des personnes du MSM. Tout ceci n’est pas en faveur de Pravind Jugnauth et de son ambition affichée d’en vouloir finir avec le commerce de la mort. D’ailleurs, la connexion du MSM avec des barons de la drogue ne date pas d’hier. C’est un secret de polichinelle qu’à chaque fois que le MSM est au pouvoir, le trafic de drogue est en plein boom. On se souviendra de l’affaire Amsterdam Boys et de la commission Rault dans les années 80. Le papa a passé la main au fils au royaume du soleil, mais certaines choses sont décidément restées les mêmes.

Posons à Pravind Jugnauth quelques questions : Combien de trafiquants ont été arrêtés et mis derrière les barreaux suivant les saisies records dont se vantent le gouvernement et la police ? Comment une tractopelle ayant à son bord 95 kilos d’héroïne a-t-elle pu franchir la douane avec une facilité déconcertante le même jour que le Premier ministre accueillait l’arrivée du premier tram sur le même navire en 2019 ? Pourquoi l’ADSU n’a-t-elle pas été démantelée, malgré une recommandation en ce sens par le rapport Lam Shang Leen ? Pourquoi une ‘Special Striking Team’ (SST) a-t-elle été mise sur pied pour faire de l’ombre à l’ADSU pendant que celle-ci est toujours maintenue en service ? Quels sont les liens entre Franklin et l’ASP Ashik Jagai ? Pourquoi la SST n’a-t-elle pas arrêté Franklin pour trafic de drogue jusqu’ici ? Franklin finance-t-il certains membres du gouvernement ? Pourquoi les autorités mauriciennes n’ont-elles pas réagi face à la demande de coopération de la Réunion ? Outre des saisies effectuées çà et là, le MSM dispose-t-il d’une vraie stratégie pour combattre le trafic de drogue ? Le MSM a-t-il un vrai bilan dans ce combat ? Entre dire et faire, il y a un monde de différence…