Le GM veut une industrie pharmaceutique à Maurice…

Photo D'illustration

Utopie ou réalisable ?

Suite à l’annonce du ministre Padayachy lors du Budget concernant l’implantation d’une industrie pharmaceutique à Maurice, on s’est tourné vers deux scientifiques de renom, Ameenah Gurib-Fakim et le Dr. Devina Lobine, qui nous expliquent si ce projet a des chances d’aboutir dans notre petit pays.

Une industrie pharmaceutique à Maurice. Est-ce un projet réalisable ou pas ? Peut-on viser vers la création d’une nouvelle industrie manufacturière majeure pour la production de vaccins et des produits pharmaceutiques ? À l’échelle mondiale, il faut savoir que l’industrie pharmaceutique génère à elle seule plus de mille milliards de dollars par an, et qu’il a un fort taux de croissance. Mais cette industrie semble être l’apanage des pays riches et développés.

Voici ce qui avait été annoncé par le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, pendant son discours budgétaire le vendredi 11 juin dernier : « Nous pouvons créer une nouvelle industrie manufacturière majeure dans notre pays, celle de la production de vaccins et de produits pharmaceutiques. Nous encouragerons les entreprises privées à construire des usines de fabrication de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux… »

Ameenah Gurib-Fakim : « On n’a pas l’environnement favorable qu’il faut »

Nous avons sollicité l’avis de l’ancienne Présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, qui est aussi une scientifique de renom.

Celle-ci nous indique d’emblée que ce n’est pas un projet réaliste dans les années à venir. « Le développement de vaccins et de médicaments n’est pas le travail d’un jour, d’un mois, voire même d’une année. Cela nous prendra beaucoup de temps pour faire avancer ce projet », maintient-elle.

Elle souligne que premièrement, Maurice n’a pas les compétences requises pour ce projet, en termes de scientifiques de haut vol qui pourront chapeauter un tel projet.

Avons-nous les capacités pour investir dans un tel projet ? Le gouvernement a indiqué dans le Budget qu’il fournira un capital d’amorçage de Rs 1 milliard au ‘Mauritius Institute of Biotechnology’ (MIB) pour la mise en place d’une usine de fabrication pour la production locale de vaccins anticovid. Mais Rs 1 milliard sera-t-il suffisant pour ce projet ? Et d’où viendra cet argent ? Pour l’ancienne Présidente de la République, ce montant ne sera pas suffisant car une usine de production de vaccins demande beaucoup plus en termes d’investissements.

D’autre part, elle nous explique qu’il n’y a pas un environnement favorable pour ce projet. Car une industrie pharmaceutique ne peut pas être prise isolément. Elle dépendra d’un environnement favorable en termes de capacité de formation, d’industries connexes, d’investisseurs, d’entreprises, de fournisseurs, de gestionnaires, de cadre légal, de niveau technologique etc. « On n’a pas l’écosystème qu’il faut », résume Ameenah Gurib-Fakim.

Dans un premier temps, même si le gouvernement arrive à concrétiser ce projet, il faudrait aussi se demander s’il y aura un marché où l’on pourrait écouler les vaccins et les médicaments qui seront fabriqués ici. Car il faudrait aussi songer à l’aspect rentabilité…

Dr. Devina Lobine : « Ce n’est pas nécessairement impossible… »    

D’autre part, nous avons aussi sollicité l’avis de la scientifique Meenakshi Devina Lobine.

« Je ne dis pas que c’est un projet impossible mais nous devons analyser ce projet en profondeur avant d’essayer de le concrétiser », dit-elle. Pour elle, si le gouvernement arrive à trouver une bonne stratégie, avec des objectifs bien définis, ce projet pourra devenir une réalité dans l’avenir.

Celle-ci nous explique que ce projet demande beaucoup d’investissements, mais selon elle, c’est un projet qui pourra être réalisé à long terme. Toutefois, le gouvernement devra être prêt à investir massivement dans un tel projet.

Elle devait faire mention du projet ‘Biotechnological Hub’, qui a été souvent sur les lèvres des parlementaires et autres, mais ce projet est resté au même niveau depuis des lustres. Selon elle, si le gouvernement arrive à mettre le ‘Biotechnological Hub’ sur pied, cela pourra ouvrir la voie pour concrétiser le projet de l’industrie pharmaceutique.

Quid de l’expertise requise ? Elle rejoint Ameenah Gurib-Fakim sur ce point, et fait ressortir que le pays n’a actuellement pas les compétences voulues pour un tel projet. Mais cela n’empêche pas nécessairement que ce projet devienne une réalité. Il faudrait alors dès à présent commencer à former de jeunes scientifiques mauriciens. Ou encore, le gouvernement doit donner la chance aux jeunes aspirants scientifiques mauriciens d’aller étudier à l’étranger, et créer des opportunités pour ces jeunes scientifiques pour qu’ils soient intéressés à revenir travailler sur le projet.

En ce qui concerne la technologie et les infrastructures, la scientifique est une fois de plus d’accord avec Ameenah Gurib-Fakim. Elle soutient qu’il n’y a actuellement pas la technologie requise à Maurice pour la fabrication des ces vaccins et des médicaments. « Nous n’avons que les éléments de base », fait ressortir la Dr. Lobine.

Ainsi, le gouvernement aura besoin d’investissements majeurs pour la construction de laboratoires et pour l’achat des dispositifs technologiques requis pour ce développement. Tout ceci coûtera très cher, mais ce n’est pas dans le domaine de l’impossible, réitère-t-elle.

Par ailleurs, en ce qui concerne le marché, selon elle, l’Afrique demeure le continent où l’incidence des maladies infectieuses est la plus élevée. Et pourtant, l’Afrique importe 99 % de ses vaccins. Aujourd’hui, quand il y a une pandémie, l’Afrique est le dernier continent à être complètement vacciné. Donc, nous avons un marché potentiel à nos portes.

Il faut aussi savoir que lors d’une récente réunion de haut niveau organisée par le ‘Centre for Disease Control’ (CDC) africain et l’Union africaine, les dirigeants africains se sont engagés à augmenter la production de vaccins en Afrique de 1 % à 60 % d’ici 2040. Est-ce le moment opportun pour que Maurice se lance dans la production vaccinale et médicamentaire ? « Si le gouvernement mauricien veut investir dans la recherche et le développement pharmaceutique, c’est le moment d’entamer des négociations, notamment avec l’Union africaine, pour explorer le marché africain », soutient le Dr. Devina Lobine.