Le Grand Argentier jongle sur la corde raide !

Budget 2018-2019

Contre toute attente, le Premier ministre et ministre des Finances, Pravind Jugnauth a choisi la date du jeudi 14 juin pour la présentation du budget 2018-2019.  Il va alors enfiler son manteau de Grand Argentier pour la cinquième fois de sa carrière politique après les budgets 2004-2005, 2010-2011, 2016-2017 et 2017-2018, Pravind Jugnauth se prépare à ce grand exercice financier dans un contexte difficile, d’autant plus que le pays vient de vivre une période d’inflation avec la hausse dans les prix des produits pétroliers et certainement ce budget sera le dernier ou l’avant dernier avant les prochaines législatives.   Quelle est sa marge de manœuvre pour cet exercice ? Quelles sont les attentes des principaux acteurs financiers ? Des éléments de réponse ici en attendant le grand show !

Marwan Dawood/ Sharone Samy

Avant les annonces et effets d’annonces sur le 14 juin prochain, l’heure est d’abord au bilan du budget 2017-2018. Pravind Jugnauth pourra surfer sur deux mesures phares qu’il avait annoncées en juin de l’année dernière et qui sont désormais une réalité dans le pays, soit le Negative Income Tax et le salaire minimal.

La première mesure représente une amélioration salariale pour plus de 25 300 personnes inscrites auprès de la Mauritius Revenue Authority alors que le salaire minimum touche 150 000 individus, qui touchent aujourd’hui un salaire de Rs 9 000 mensuellement. Ces deux mesures représentent deux avancées dans le monde du travail, que Pravind Jugnauth pourrait exploiter à fond quand il dressera le bilan de son deuxième budget sous le présent gouvernement.

Comme les années précédentes, la conjoncture économique actuelle devrait rester la priorité de Pravind Jugnauth, d’autant plus que Maurice se retrouve aujourd’hui dans l’incapacité de franchir la barre psychologique des 4 % de croissance économique, du moins pour le moment. Cet échec se traduit par l’incapacité d’attirer suffisamment d’investissements productifs afin de créer des emplois durables dans des secteurs économiques émergents. Mais avant cela, le gouvernement aura la lourde tâche de réduire considérablement la dette publique à 63 % du Produit Intérieur Brut (PIB) en juin 2018. Ce n’est seulement qu’après que ce palier sera franchi que le pays passera à une nouvelle étape de son développement, en s’éloignant de son statut de middle-income group.

L’économiste Eric Ng est catégorique dans ses analyses. « Le ministre des Finances a une marge de manœuvre limitée d’autant plus qu’il veut réduire la dette publique à 60 % du PIB en 2020 », explique-t-il. Selon lui, Pravind Jugnauth n’a pas vraiment beaucoup d’options. « Soit il réduit les dépenses, ou il réduit le déficit budgétaire ou alors il augmente les taxes. Mais à si peu de temps avant les élections, Pravind Jugnauth jongle sur la corde raide », dit-il.  Ce dernier prévoit que la croissance économique ne dépassera pas les 4 %. « Ce ne sont pas mes prévisions, mais même MCB Focus, le FMI et la Banque mondiale prévoient que le pays n’atteindra pas les 4 % en 2018 et je serais surpris que ce soit le cas en 2019 », dit Eric Ng.

En ce qui concerne la création d’emplois et le chômage à Maurice, Eric Ng estime que ce sera du « pareil au même ». Il avance que « le problème aujourd’hui n’est pas la création d’emploi mais comment les autorités gèrent le problème du sous-emploi. Le chômage chez les jeunes est un véritable problème, il faut le reconnaitre, mais quelles seront les solutions ? Attendons-voir. Mais les chiffres tourneront dans la fourchette 7,0 % et 7,5 % ».

L’âge de la retraite à 65 ans

Selon les indications, cette mesure pourrait être l’une des mesures phares de Pravind Jugnauth. Mais la prudence est de mise. Le gouvernement pourrait compter sur un rapport du Fonds monétaire international (FMI) intitulé « Pension Reforms in Mauritius : Fair and Fast-Balancing Social Protection and Fiscal Sustainability ». Le principe veut que la pension augmente parallèlement aux salaires et une éligibilité universelle maintenue à 60 ans, le FMI est d’avis que de 2015 à 2050, le poids des pensions représentera 8,1 % du PIB, contre 3,6 % au moment de la rédaction du rapport. Cependant, de 2050 à 2100, le FMI prévoit une augmentation additionnelle de 3 %, portant le chiffre à 11,1 %.  Le FMI propose alors le report de l’âge de la retraite à 65 ans, ce qui permettrait de faire des économies représentant 198 % du PIB de 2015, soit quelque Rs 6 milliards annuellement.

Petites et moyennes entreprises

Amar Deerpalsing, président de la fédération des petites et moyennes entreprises (PME), n’y va pas de main morte. « Nous n’attendons rien du ministre des Finances ! Regardez les trois derniers budgets pour voir ce qui a été annoncé et ce qui a été implémenté pour les PME. Rien ! On ne veut pas se faire mener en bateau encore, puisqu’il ne propose rien de concret comme à chaque fois », dit-il.

Secteur privé

Pour le patronat, les attentes sont grandes. Plusieurs souffriraient des répercussions du salaire minimal. Business Mauritius, le think tank du secteur privé, affiche néanmoins l’optimisme. Toutefois, s’il y a bien un sujet qui inquiète les pontes de Business Mauritius, mais également la communauté des planteurs, c’est l’écroulement du prix du sucre sur le marché mondial, soit à Rs 11 000 la tonne. Il faut faire ressortir que depuis début 2017, le prix de la tonne de sucre blanc sur le marché londonien a chuté de 35 %, soit de 550$ à 360$ aujourd’hui.  De plus, le secteur privé espère que le Premier ministre sera porteur d’initiatives qui soulageront le fardeau des entreprises en ce qui concerne le salaire minimum.

Société civile

Rashid Imrith, syndicaliste de la FSSP, nous livre ses attentes. « Que la Vision 2030 de sir Anerood Jugnauth soit respectée ! Il y a des ministères qui n’ont pas été à la hauteur en ce qui concerne la Vision 2030 et pour cela, il faut que le Premier ministre vienne avec des solutions et des initiatives  pour que ces ministères puissent définir leur objectifs, afin de permettre aux fonctionnaires de faire le travail sur le moyen et le long termes », dit-il. Rashid Imrith demande également que le rapport du PRB soit rendu public en 2019, au lieu de 2020, pour permettre l’implémentation du rapport en janvier 2020 et non 2021. Le syndicaliste s’aventure sur le salaire minimum et constate qu’il y a une disparité au niveau des salaires dans la fonction publique. « Quand salaire ine sorti Rs 7 800 pou vine Rs 9 000, relativité salaire ine agrandi lor bane grade d’après section 9 National Wage Consultative Council Act et besoin procède à enn reajustement pour corrige disturbance salary relativities causé par salaire minimum », affirme Rashid Imrith.

Quelques réactions :

Pour Saheed Thupsee, président de l’ONG Aaleemee Society, le budget devra se montrer à la hauteur tout en respectant les attentes du petit peuple. En tant que travailleur social, il souhaite que le budget soit en faveur des personnes touchées  par la pauvreté, “ mo penser li ti pou bon, si ena enn baisse au niveau l’alimentation, la nourriture ine vine cher avek linflation, de plus li ti pou bon ki li revoir subside concernant bane materiaux de construction, afin ki bane ti dimounes kapav ena enn toit décent,” nous dit-il. Saheed Thupsee tient à ce que le budget accorde aussi son importance aux PME, car la plupart de ces personnes sont des artisans et leur donner un petit coup de pouce ne serait pas de refus, “ bizin prend en consideration bane PME, sa bane dimoune la travay dans lartisanat ek dans zot lakaz, mo penser ti bizin ena enn fonf de roulements avek enn taux d’intérêts de 3%, sa ti pou enn grand aide pou zot,” fait-il ressortir.

En ce qu’il s’agit de la marge de manoeuvre, pour Saheed Thupsee, c’est très limitée, “ li pena grand manœuvre mais mo penser ki bizin ena plis grand developpema, le ministre bizin ajuster liem ek restructure autour li, sa pou permet redresse la situation, bizin ena nuvo lidee, tou zafer nu pe importer, mo penser pou relance l’économie, li ti kapav adopter nuvo stratégie,” dit-il.

Ally Lazer, président de l’Association des Travailleurs Sociaux de Maurice tient lui à ce que le budget soit en faveur des gens les plus demunis de la société, car certains prix devront connaitre une baisse pour améliorer le pourvoir d’achat. “ Mwa mo souhaité ki Welfare State continier, ki budget apporte enn latension special a bann dimounes pauvre ek mo esperer, ki prix l’essence ek diesel baissé parski li pas possible, au final mo souhaiter ki enn parti budget accorder à comabt contre la drogue, donne bann centre bann faciliter pou exercer kuma bizin, parski nu pays cest enn paradis, dimoune pe enkor fouille dans poubelle en 2018, bizin ena so solution,” fait-il ressortir.

Pour Jayen Chellum, secrétaire général de l’ACIM, si le budget n’est pas en faveur des attentes de la population, le gouvernement qui est déjà pas très populaire risque de se retrouver en difficulté. Pour lui la marge de manœuvre du Grand argentier est très restreint, “ li pris au depourvu, mo penser ki li pena bel atout, mais li bizin pense a la population ek so bann attente si li envi remonte la pente, le combat contre le chomage bizin enn bane premier mesure phare, ek en tant ki representant association des consommateurs, nous demander ki tire tou taxe lor bann produit alimentaire ek au final nu esperer ena enn baisse lor lessence,” dit-il.