Le ‘mismatch’ entre les diplômes et les offres d’emploi

Revoir notre stratégie pour mieux orienter les jeunes

Il n’est un secret pour personne que beaucoup de jeunes sont affectés par le chômage de nos jours. Mais plus spécifiquement, on a constaté que le chômage gagne du terrain chez les les détenteurs de diplômes et de degrés. Y a-t-il ainsi un ‘mismatch’ entre les jeunes diplômés dans un domaine spécifique et les offres d’emplois ? En tout cas, le pays doit considérer l’implémentation d’une politique d’orientation des jeunes.

Au premier trimestre 2021, les jeunes chômeurs âgés de 16 à 24 ans étaient estimés à 18 600 (8 900 hommes et 9 700 femmes), contre 17 300 (9 000 hommes et 8 300 femmes) au premier trimestre 2020.

La question a déjà été soulevée s’il y a un ‘mismatch’ (décalage) au niveau de l’éducation tertiaire. C’est-à-dire, est-ce que les universités octroient des diplômes dans un domaine où le jeune n’arrive pas à trouver du travail ? Les jeunes s’orientent-ils vers des secteurs déjà saturés ?

On retrouve ainsi beaucoup de jeunes qui exercent des emplois qui ne sont pas en rapport avec leurs études universitaires ou qui ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications.

Plusieurs programmes ont été mis sur pied par le gouvernement pour venir en aide aux jeunes diplômés chômeurs. Toutefois, on peut remarquer que les emplois offerts aux jeunes dans le cadre de ces programmes ne sont pas des emplois permanents, et que ces derniers sont embauchés soit pour un stage, pour une période de probation, ou sous un contrat à durée fixe.

Peu avant les dernières élections générales, le gouvernement avait annoncé la création de 5 000 nouveaux emplois dans le secteur public pour améliorer la qualité des services, qui s’était dégradée par l’absence d’embauche durant ces dernières années. Mais on se demander quand est-ce que ces recrutements prendront effet.

Le ‘career guidance’ doit être inclus dans le cursus scolaire

L’ancien ministre de l’Éducation, Armoogum Parsuramen, fait ressortir qu’il y a bien eu un ‘mismatch’ entre les études tertiaires et le marché de l’emploi.

C’est par manque d’informations qu’il y a ce décalage. Les étudiants veulent étudier telle ou telle matière mais ne savent pas vraiment quels sont les secteurs d’avenir. « Une planification est donc nécessaire avant d’opter pour une quelconque filière », affirme-t-il.

Selon lui, il y en a un travail majeur à faire en ce sens. « En ce qui concerne ce ‘mismatch’, il faudra revoir notre stratégie pour pouvoir remplir les postes vacants dans les différents secteurs d’emplois », explique Armoogum Parsuramen.

Dans un premier temps, il faut voir quelles sont les offres d’emplois dans les secteurs émergents pour les jeunes diplômés.

Il faudra ensuite avoir un encadrement pour mieux canaliser les élèves vers une filière universitaire prometteuse pour qu’ils puissent augmenter leur chance d’avoir un emploi. « Les étudiants doivent bien choisir la filière universitaire qui leur permettra de maximiser leurs chances d’avoir un travail », dit-il.

Dans cette optique, il préconise que le ‘career guidance’ soit inclus dans le cursus scolairepour mieux guider les étudiants vers les filières universitaires qui sont en demande dans le marché de l’emploi.

Selon lui, outre la voie universitaire, le ‘career guidance’ devra aussi préparer le jeune à intégrer le monde de l’emploi, par exemple, en le préparant à affronter un entretien d’embauche. « Il faudrait aussi inculquer aux jeunes comment faire preuve de leurs atouts pour intégrer les différents secteurs d’emploi », explique-t-il. « Avoir un certificat n’est pas le seul moyen d’avoir un travail. Tout aussi important est la capacité de s’intégrer et d’acquérir de l’expérience pour pouvoir vraiment rejoindre le monde du travail. »

Selon lui, actuellement, le gouvernement doit impérativement se pencher vers la création de nouveaux secteurs d’emplois afin de mieux aider les jeunes diplômés à avoir un travail d’avenir. Il fait rappeler que dans le passé, des compagnies ‘offshore’ et dans d’autres secteurs avaient été créées pour donner de l’emploi à de jeunes diplômés.

« Il n’y a pas vraiment de ‘mismatch’ »

Le ‘Chief Operating Officer’’ de Business Mauritius, Pradeep Dursun dresse avant tout un tableau du marché de l’emploi à Maurice. Il constate que la demande des emplois a évolué dans plusieurs secteurs, et qu’il y a un travail majeur à faire afin d’éradiquer le chômage. Il précise toutefois qu’il n’y a pas vraiment de filières prioritaires, car les choses évoluent. Il se dit confiant que d’autres secteurs émergents seront créés pour les jeunes dans l’avenir.

Il rejoint l’analyse d’Armoogum Parsuramen et préconise lui aussi qu’il faudrait encadrer les étudiants pour les informer des secteurs d’avenir qui offrent de l’emploi afin que ces derniers puissent mieux sélecter leur filière universitaire. Dans ce sens, le ‘career guidance’ a un rôle important dans l’orientation des jeunes. Pour Pradeep Dursun, cette planification est importante avant que les jeunes ne finalisent les filières universitaires dans lesquels ils veulent s’aventurer.

Toutefois, selon lui, il n’y a pas vraiment de ‘mismatch’. « De nos jours, les jeunes savent parfaitement quelle filière choisir pour pouvoir s’intégrer dans le monde du travail », maintient-il.

Il dit que les jeunes choisissent des filières dans lesquelles ils se sentent le plus à l’aise et où ils ont déjà une notion. Ainsi, ils ne vont pas tenir en compte quel secteur est plus prometteur en termes d’emplois car leur choix a déjà été fait. Par exemple, des jeunes choisiront la comptabilité, la médecine ou le secteur de la technologie, des filières où ils se sentent à l’aise.

Selon lui, il est faux de dire que certains secteurs sont saturés car il y aura toujours des possibilités d’ouvertures pour les jeunes. Certes, ce ne sera pas dans l’immédiat que ces jeunes seront recrutés par des compagnies car en ce moment, nous passons par la crise de la pandémie et il faut se concentrer à booster l’économie du pays.

Il revient sur le fait que les jeunes ne trouvent souvent pas d’emploi dans leur secteur de prédilection, mais dans d’autres secteurs. Pour lui, les jeunes doivent prendre cela comme un tremplin pour acquérir de l’expérience, d’autres compétences et d’autres aptitudes. « Cela  aidera ces jeunes à s’intégrer dans le monde du travail », soutient-il.

  • « Difficile de s’intégrer dans un travail pour lequel on n’a pas été formé »

Kushum, 25 ans, diplômée en journalisme à l’Université de Maurice, travaille aujourd’hui comme ‘Direct Sales Advisor’ dans une banque.

Après ses études universitaires, cette jeune fille croyait qu’elle allait décrocher rapidement un emploi dans son domaine de prédilection mais cela n’a pas été le cas. Comme plusieurs de ses amis à l’université, elle voulait devenir journaliste mais malheureusement n’a pu trouver de travail dans ce domaine jusqu’ici.

Kushum nous raconte qu’elle avait attendu plusieurs mois pour trouver un emploi dans la filière qu’elle avait choisie mais en vain. Par la suite, elle a dû se rabattre vers le secteur bancaire.

« Je ne peux dépendre éternellement de mes parents. Ils ont assez fait des sacrifices pour moi. Je travaille ici en attendant de trouver un emploi dans mon domaine », ajoute-t-elle. Pour elle, cette situation est frustrante car elle doit apprendre les rouages d’un travail pour lequel elle n’a pas suivi de formation ou n’a pas d’engouement.

Selon elle, le gouvernement doit pouvoir trouver une solution pour ces jeunes qui terminent leurs études universitaires mais qui n’arrivent pas à trouver un emploi dans le domaine qu’ils ont choisi. « On doit savoir ou caser tous ces jeunes car on ne peut pas dépenser autant d’argent pour les études universitaires mais que par la suite, les jeunes se retrouvent dans des secteurs qui ne sont pas en rapport avec leurs études. Ces derniers éprouveront beaucoup de difficultés à s’intégrer dans un travail pour lequel ils n’ont pas été formés », s’insurge Kushum.

  • «  Décourageant ! »

Meenakshi, âgée de 24 ans, vient de terminer ses études en ‘Business Management’ à l’université Charles Telfair. Elle se retrouve dans la même situation que Kushum.

Elle travaille aujourd’hui dans un centre d’appel, un travail qu’elle n’aime pas vraiment faire mais qu’elle fait par la force des choses, car c’est difficile d’avoir un travail en ce moment.

Elle croyait que la filière ‘Business Management’ lui permettrait d’avoir un emploi relativement facilement dans le domaine de la gestion. Elle pensait rejoindre le secteur de l’hôtellerie après ces études mais a fini par se retrouver dans un centre d’appel.

Elle pense que le gouvernement doit soutenir davantage les jeunes diplômés et propose un réseau réunissant le gouvernement et les compagnies susceptibles de procurer des emplois. « C’est parfois décourageant lorsqu’on n’arrive pas à trouver un emploi qu’on n’aimerait faire », souligne Meenakshi. « Ce n’est pas vraiment mon domaine, mais je m’efforce à m’adapter au centre d’appel», lâche la jeune fille, résignée.