L’économie mauricienne s’aggrave suivant le Coronavirus : « Une situation d’urgence économique accrue », selon l’économiste Sadek Ruhmaly

 

 

  • Des risques de licenciements dans les PMEs et le tourisme pas à écarter

Des économistes et des observateurs avertis avaient tiré la sonnette d’alarme depuis quelque temps déjà. Mais ce n’est que cette semaine que le Premier ministre a finalement reconnu publiquement la gravité de la situation. S’il évoque le Coronavirus pour justifier ses inquiétudes, la situation économique, il faut le reconnaître, n’était guère reluisante avant. Le niveau de la dette publique, par exemple, a grimpé en flèche, comme nous le dit l’économiste et consultant financier, Sadek Ruhmaly. « Le barème acceptable est de 60 % du PIB, et, au fil des années, le chiffre a explosé pour atteindre le seuil psychologique de 65 % et même au-delà si on comptabilise la dette des corps paraétatique ainsi que les Special Purpose Vehicles (SPV), que certains qualifient de ‘colourable devices to exlude from the computation of the public debt ratio to GDP’, et qui financent nos projets d’infrastructures », soutient-il. Un paramètre qui, dit-il, inquiète les investisseurs et le FMI à long terme.

Pour corser l’addition, poursuit l’économiste, « notre économie ne réussit pas à enclencher la prochaine étape du développement économique post-Commonwealth Sugar Agreement. Les craintes et le scepticisme des investisseurs, tout comme des spécialistes en économie et finances, se situent au niveau d’un essoufflement de tous les secteurs clé de l’économie : le secteur sucrier, le manufacturier, incluant le textile, l’hôtellerie et les services financiers ». L’endettement des ménages et des entreprises n’arrange en rien cette situation. Tout comme le manque de politique d’encadrement adéquat et ciblé qui a rendu chaotique le secteur informel, qui est pourtant important dans une stratégie de démocratisation de l’économie, selon Sadek Ruhmaly.

Situation d’urgence économique

La pandémie du Coronavirus, souligne notre interlocuteur, met en péril notre balance commerciale ainsi que notre balance de paiements. « Je considère que nous sommes dans une situation d’État d’urgence économique accrue », dit-il. Et de poursuivre : « la débâcle de la pandémie en Chine depuis janvier 2020 met en exergue notre dépendance quasi-absolue sur l’architecture manufacturière chinoise. Le Covi-19  a brisé le processus de production de la Chine et enclenche ainsi une rupture dans l’approvisionnement des matières premières destinée aux secteurs manufacturiers en Chine. Donc, les cours mondiaux des prix des matières premières s’effondrent, particulièrement les prix des produits pétroliers. Je suis d’opinion que cet assouplissement des prix de produits pétroliers contribuera à maintenir notre taux d’inflation à un niveau acceptable. À contrario, les risques accentués en terme de pénurie de produits en provenance des usines chinoises sont une menace sérieuse pour notre économie de consommation qui est un déterminant majeur de notre taux de croissance. Donc, un élément de taille qui pourrait déclencher une décroissance possible ».

Risques de licenciements

Selon Sadek Ruhmaly, les risques de licenciements, surtout dans le secteur des PMEs sont bien réels. « Les soucis de capital à court terme, qui posent déjà une barrière à la viabilité des PME et des acteurs de tous les secteurs clés de notre économie, pourraient engendrer des licenciements si le virus persiste au-delà de deux trimestres. Un taux de croissance en dessous de zéro pour deux trimestres consécutifs se définit comme une récession. D’où mon opinion sur l’état d’urgence économique », explique-t-il.

L’impact sur notre économie sera d’autant plus à risque si les vols vers la France sont suspendus. « Nos partenaires commerciaux principaux en Europe et en Amérique du Nord sont aussi dans un état d’urgence économique d’envergure. L’impact sur nos exportations de biens et de services, tout comme sur nos arrivées touristiques sera très profond et négatif. Notre compagnie d’aviation nationale subira un coup très dur, quasi fatal, à moins qu’une stratégie d’urgence économique ne soit mise en place dans les plus brefs délais », prévoit l’économiste. D’autant que « le ralentissement dans les dessertes aériennes enclenche aussi un bouleversement drastique dans le taux d’occupation dans nos hôtels dans toute la fourchette des produits de haute et de moyennes gammes. Le risque de licenciements dans ce secteur est aussi réel », affirme Sadek Ruhmaly.

Sadek Ruhmaly, qui était conseiller économique au PMO du temps où la Vision 2030 avait été présentée par l’ancien Premier ministre sir Anerood Jugnauth, ne passe par quatre chemins pour dire que le Premier ministre aura à prendre les taureaux par les cornes et enclencher un ‘re-engineering’ de notre modèle économique. « On ne pourra s’aventurer dans un scénario d’état d’urgence économique avec des visières », conclut-il.

Sarah Khodadin