Les largesses du GM avec les réserves de la BoM à la base du problème

Énième augmentation du ‘repo rate’

Encore un coup dur pour les emprunteurs. Le ‘Key Repo Rate’ est passé de 4 % à 4.5 % le 14 décembre, comme annoncé par la Banque de Maurice (BoM). Ce qui veut dire que les emprunteurs devront payer davantage d’intérêt sur leurs prêts. C’est la deuxième hausse du ‘repo rate’ en l’espace de moins de deux mois. La première hausse du ‘repo rate’ avait eu lieu le 4 novembre dernier, et ce taux était passé de 3 % à 4 %.

Dans notre dernière édition, nous avions fait état que plusieurs personnes se plaignaient du fait que les taux d’intérêt de leurs prêts auprès des banques commerciales connaissaient une hausse durant novembre. Par exemple, un emprunteur qui payait une somme de Rs 13 000 mensuellement comme intérêt, était contraint de payer Rs 16 000 mensuellement vers mi-novembre. Ou une mère de trois enfants, qui s’acquittait de Rs 2 500 comme intérêt sur son ‘personal loan’ mensuellement, avait été informée par sa banque vers la même période que le montant qu’elle devra payer prochainement sera de Rs 3 500.

Or, c’était là les répercussions de la hausse du ‘repo rate’ du 4 novembre 2022, qui avait passé de 3 % à 4 %. Et maintenant, avec cette nouvelle hausse du‘repo rate’, qui passe de 4 % à 4.5%, le taux d’intérêt des emprunts va encore connaître une autre hausse. Ce qui soulève un tollé dans le pays, surtout en cette période de fin d’année.

Pourquoi deux hausses successives du ‘repo rate’ en moins de deux mois ? La Banque de Maurice aurait-elle pu agir autrement ? L’économiste Takesh Luckho explique que la raison principale qui a été mise en avant concernant cette hausse de ‘repo rate’ est l’inflation, qui a déjà touché la barre de 12,1 % en novembre 2022, selon les chiffres de Statistics Mauritius. L’idée d’augmenter le ‘repo rate’, c’est de contrôler la masse monétaire du pays, et par conséquent l’inflation, pour essayer d’empêcher les prix de prendre l’ascenseur.

Takesh Luckho est d’accord que la poussée inflationniste est toujours présente dans le pays, ce qui est un grave problème. Mais il se demande si l’augmentation du ‘repo rate’ aura bien l’effet escompté sur l’inflation. Pour lui, ce n’est pas l’excès de liquidités en circulation qui est à la base de l’inflation à Maurice. Selon lui, il y a trois facteurs qui expliquent cette poussée inflationniste, dont le prix de l’essence, qui est très élevé, le coût du fret, qui est lui aussi très élevé, et la dépréciation de la roupie. Tout ceci provoque la flambée des prix des commodités de base.

De tous ces facteurs, c’est la dépréciation de la roupie qui est la plus grave, souligne l’économiste. Vu que nous importons beaucoup de nos produits de consommation courante, leurs prix prendront l’ascenseur si notre roupie se déprécie face aux devises étrangères, surtout en ce qui concerne le dollar américain, aggravant ainsi l’inflation. Il était alors inévitable que la Banque de Maurice augmente le ‘repo rate’, pour empêcher que la roupie se déprécie davantage. Il fait ressortir que la Banque de Maurice a dû intervenir au moins six fois ces deux dernières années pour empêcher la roupie de se déprécier davantage, ce qui est du jamais vu. Mais pourquoi la Banque de Maurice essaie d’empêcher la dégringolade de la roupie par le ‘repo rate’ ? N’a-t-elle pas d’autres moyens à sa disposition ? C’est justement là où le bât blesse…

La marge de manœuvre limitée, voire inexistante de la BoM

Il n’est un secret pour personne que la Banque de Maurice a puisé un total de Rs 158 milliards de ses réserves ces derniers temps pour financer les dépenses fiscales du gouvernement. Il l’a fait de façon répétitive, malgré les multiples mises en garde de l’agence de notation Moody’s et d’autres instances internationales à l’effet que ce n’est pas le rôle de la banque centrale d’un pays d’entreprendre les dépenses budgétaires du gouvernement.

Et maintenant, c’est la Banque de Maurice qui est en difficulté. Ses comptes sont maintenant dans le rouge. Ses actifs sont près d’atteindre la barre des Rs 10 milliards, et elle ne peut aller en dessous de cette barre, selon les dispositions la Bank of Mauritius Act. « Si la Banque de Maurice intervient sur le marché avec ses réserves, il y a une forte possibilité que ces réserves ne touchent la barre de Rs 10 milliards, et il faudrait alors procéder à sa recapitalisation. Or, cette alternative serait encore plus problématique », fait ressortir l’économiste.

Tout ceci fait qu’en ce moment, la Banque de Maurice ne peut intervenir en termes de politique monétaire pour contrôler l’inflation. La seule option qui lui reste alors : augmenter la ‘repo rate’ pour empêcher la roupie de se déprécier davantage. « Pour moi, c’est la largesse du gouvernement qui a puisé l’argent de la Banque de Maurice qui est à la base du problème », fait remarquer Takesh Luckho. « Si c’était un ‘one-off payment’ de la banque centrale au gouvernement, comme plusieurs banques centrales à travers le monde l’ont fait pour aider le gouvernement en temps de crise sanitaire, et comme une mesure en dernier recours, cela aurait été acceptable. Mais chez nous, on a continué de le faire, malgré les avertissements des instances internationales. Et aujourd’hui, par manque de fonds, on est obligé de se servir de l’intérêt comme moyen de stabiliser la roupie. »

Un futur incertain

L’économiste explique qu’avec la récession qui s’annonce aux États-Unis, le taux de change du dollar américain pourrait connaître une chute, ce qui est de bon augure, du moins pour nous. Mais s’il continue d’augmenter, cela pourra amener à une autre augmentation du ‘repo rate’, peut-être même dès janvier 2023, quand le ‘Monetary Policy Committee’ (MPC) de la Banque de Maurice se réunira de nouveau.

« L’augmentation du ‘repo rate’ est efficace à combattre l’inflation monétaire. Mais ce n’est pas l’inflation monétaire en soi qui est le problème de base à Maurice, mais bien la dépréciation de la roupie. Et si la dépréciation de la roupie n’est plus sous notre contrôle, il n’y aura aucune baisse de l’inflation dans le pays », conclut l’économiste.