Lettre pratiquée au PMO : Silence radio de lakwizinn

Quatre ans après la démission d’Ameenah Gurib-Fakim comme Présidente de la République, voilà que le rapport d’un expert réunionnais en graphologie vient remettre cette affaire sur le tapis. Selon l’expert, ce ne serait nul autre que Ken Arian, alors conseiller au PMO, qui aurait écrit une lettre anonyme au Premier ministre, faisant état de graves allégations contre Ameenah Gurib-Fakim. Lettre qui aurait été le catalyseur la forçant à soumettre sa démission comme Présidente. La question sur toutes les lèvres : que sait exactement Pravind Kumar Jugnauth au sujet de cette lettre ? L’ancienne Présidente parle, elle, d’un « complot » qui visait à la faire partir.

Cette affaire remonte en mars 2018 alors que la Présidente de la République d’alors, Ameenah Gurib-Fakim, pataugeait en pleine gadoue, suivant les dénonciations de la presse sur son utilisation abusive de la ‘Platinum Card’ du ‘Planet Earth Institute’ (PEI), connexe avec l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho, pour financer ses achats personnels.

En pleine tourmente, une lettre anonyme, en date du 20 mars 2018, avait atterri sur le bureau du Premier ministre, contenant de graves allégations  contre Ameenah Gurib-Fakim. La lettre devait faire état de plus de treize allégations contre l’ex-Présidente. Notamment, sur ses dépenses extravagantes couvertes par la ‘Platinum Card’ octroyée par PEI, sur le fait que des procédures avaient été accélérées en faveur de l’Angolais Alvaro Sobrinho pour qu’il puisse obtenir les permis nécessaires, ou encore sur les largesses de ce dernier en faveur de certains politiciens ou de hauts fonctionnaires mauriciens, entre autres.

Cette lettre anonyme, long de cinq pages, saisie à travers un ordinateur, est adressée au Premier ministre, mentionnant au passage qu’une copie avait été envoyée au leader de l’Opposition, quoique ce dernier avait indiqué au Parlement qu’il n’avait jamais reçu cette lettre. Celle-ci est signée par ‘Un patriote indigné’. L’auteur de cette lettre semble savoir que sa démarche pourra « nous mener à un assainissement de la situation et arrêter cette hémorragie, comme il l’écrit »

Cette lettre, bien que saisie à travers un ordinateur, contiendrait plusieurs ratures et griffonnages au stylo. Par exemple, l’auteur de la lettre suggère l’institution d’une commission d’enquête avant de biffer au stylo cette suggestion. Puis il demande de référer la lettre à l’ICAC avant de biffer le mot ‘ICAC’ au stylo par « institution compétente ».

Que sait le Premier ministre exactement ?

D’emblée, le Premier ministre devait attacher beaucoup d’importance à cette lettre. Il devait la soumettre à la commission anticorruption (ICAC) avec célérité. Il devait la mentionner durant une conférence de presse au ‘Prime Minister’s Office’ (PMO) le 23 mars, à peine quelques jours après la démission d’Ameenah Gurib-Fakim comme Présidente de la République.

En réponse à la PNQ du leader de l’Opposition le 27 mars, le Premier ministre devait ainsi indiquer au Parlement que : « I decided to refer to ICAC an anonymous letter, which besides the Leader of the Opposition, I too had received. » Mais le leader de l’Opposition devait indiquer qu’il n’avait reçu aucune lettre en ce sens. Le PM devait alors expliquer que sur la lettre, il est mentionné qu’une copie avait été envoyée au leader de l’Opposition. Pravind Jugnauth devait indiquer qu’il n’avait aucun problème à déposer cette lettre au Parlement avant se raviser quelques instants plus tard, indiquant que la lettre était sujette à une enquête de l’ICAC. Un homme prudent, le Premier ministre… Et valeur du jour, cette lettre n’aurait jamais été déposée sur la table de l’Assemblée nationale, malgré la clôture de l’enquête de l’ICAC.

Mais voilà que quatre ans plus tard, le rapport d’un expert réunionnais en documents et en graphologie, qui est actuellement en circulation, met le feu aux poudres à nouveau. Cet expert, Patrice Balletti, est attaché comme tel à la Cour d’appel de St. Denis à la Réunion.

L’expert s’est livré à une analyse comparative d’une copie de la lettre anonyme au PM (ou plutôt sur les gribouillages au stylo) et des lettre officielles écrites par Ken Arian (qui contiendrait aussi des annotations au stylo). L’expert  est catégorique : il s’agirait de la même personne dans les deux cas. Ce dernier a en outre utilisé des techniques sophistiquées comme l’imagerie multispectrale pour déterminer que ces documents ne sont pas des faux.

Or, à l’époque où cette lettre anonyme avait atterri sur le bureau du Premier ministre, Ken Arian était encore conseiller auprès du Premier ministre.

Un bras de fer opposait Ameenah Gurib-Fakim, qui ne voulait pas démissionner de son poste de Présidente de la République, et le Premier ministre. Et pile poil, au bon moment, ce dernier reçoit une lettre anonyme dénonçant certains frasques concernant la Présidente et susceptible d’intéresser l’ICAC. Car comme le prévoit la ‘Prevention of Corruption Act (PoCA), l’ICAC peut initier une enquête par voie de dénonciation anonyme. Surtout si c’est le Premier ministre en personne qui leur remet cette lettre…

Machination

Dès lors, les interrogations fusent : y a-t-il eu une machination au sein du bureau du Premier ministre ? L’ex-conseiller Ken Arian avait-il été poussé à rédiger cette lettre, et si oui, par qui ? Pourquoi le Premier ministre a-t-il accordé une telle importance à cette lettre ? Pourquoi n’a-t-il pas confronté la présidente avec cette lettre mais s’est empressé d’aller la remettre aux mains de l’ICAC ? Pourquoi ne l’a-t-il pas déposée devant la commission Caunhye ? Ken Arian est-il encore un ‘fit and proper person’ à être le CEO d’Airport Holdings Ltd ?

Des ‘monkey tricks’ qui ont laissé un gout amer dans la bouche de l’ancienne Présidente. Selon elle, le Premier ministre se serait basé sur cette lettre pour la forcer à la démission. Elle a aussi expliqué qu’elle avait demandé de voir cette lettre pendant ces quatre dernières années, sans succès. Elle se demande actuellement si Ken Arian a agi seul. Dans le cas contraire, elle n’hésite pas à parler de « complot » visant à faire à partir un chef d’État. Elle a aussi indiqué qu’elle ne compte pas en rester là, vu qu’on a voulu la détruire sur le plan personnel et professionnel.

Du côté du gouvernement, selon certains recoupements, il ne s’agirait que de fausses allégations et une déposition sera consignée très prochainement à la police. Un ‘move’ que souhaite vivement les protagonistes dans cette affaire.

Notons aussi que la commission d’enquête présidée par le juge Asraf Caunhye, mis sur pied le 16 mai 2018 pour enquêter sur Ameenah Gurib-Fakim, n’a pas encore rendu son rapport. Cette commission devait enquêter sur l’implication de l’ancienne présidente avec ‘Planet Earth Institute’ et avec Alvaro Sobrinho, si elle avait violé ou pas la Constitution ou s’il y a eu «unlawful, improper or indecorous use of the Office of the President », entre autres.