Lucien Finette : « Les procédures n’ont pas été respectées »

« Je me demande comment se fait-il que cette personne ait pu copier autant de papiers ? Normalement, tous les documents doivent être cachés et protégés. Et chaque papier doit se trouver sur un ordinateur différent »

Lucien Finette, ancien pédagogue et ex-directeur de la ‘Mauritius Examinations Syndicate’ (MES), revient sur la fuite des papiers d’examens du PSAC et du NCE. Si des accidents peuvent arriver, il faut néanmoins que les autorités tiennent un langage de vérité et rectifient le tir, dit-il.

Zahirah RADHA

Q : Question de brûlante actualité : la fuite des papiers d’examens du PSAC et du NCE. Y a-t-il lieu, ou pas, de s’inquiéter ?

Bien sûr qu’il faut s’en inquiéter ! Heureusement qu’on en soit au courant. Il faut maintenant se demander s’il y a d’autres choses dont on ne connait pas. Des fois, en voulant trop faire, on finit par défaire. C’est ce qui s’est passé. En voulant rassurer tout le monde, les responsables se sont finalement emmêlés les pinceaux. Je note beaucoup de contradictions dans ce qu’ils disent.

Il faut dire que ces choses peuvent arriver. Raison pour laquelle toutes les dispositions doivent être prises pour qu’elles ne se produisent pas. Ou si des problèmes surviennent, il faut s’assurer que leur impact soit minimisé. Le plus important aussi, c’est qu’on tienne un langage de vérité. La communication est primordiale dans une telle situation. Ce n’est pas correct de venir dire que cette affaire n’est pas grave alors qu’elle l’est.

Il y avait également eu des problèmes quand j’étais directeur de la MES, mais moi, j’acceptais les faits et je les corrigeais. Cette affaire est grave parce que beaucoup d’erreurs ont été commises. Tous les boulons de sécurité ont sauté.

Q : Le fait que ces papiers n’étaient pas encore finalisés, comme l’a dit la ministre de l’Éducation, minimise-t-il la gravité du problème ?

Pas vraiment. La préparation des papiers d’examens est un long processus qui prend du temps. C’est pour cela qu’il faut s’y prendre en avance. On est maintenant à deux mois des examens, et il y a probablement encore de ‘fine-tuning’ à faire. Une vérification est aussi requise pour s’assurer que les papiers sont équilibrés, balancés et qui sont équivalents au ‘blue-print’ qui existe. Et puis, une grande partie de l’impression de ces papiers est faite en Angleterre avant qu’ils ne soient renvoyés à Maurice. Survient ensuite l’étape qui consiste à les classer selon les écoles.

Je ne pense pas que c’est important de savoir si les papiers étaient finalisés ou pas. Le problème concerne le processus. Celui-ci ne doit pas laisser de la place pour la moindre intervention humaine. Dès qu’il y en a eu, le processus est corrompu.

Q : « Les boulons de sécurité ont sauté », dites-vous. Est-ce aussi facile d’avoir accès à ces papiers ?

Moi, quand j’étais à la tête de la MES, je refusais toujours d’avoir accès à ces papiers. Je ne les regardais pas. Pour vous dire à quel point la confidentialité est importante quand il s’agit des papiers d’examens. La rigueur doit être observée et les procédures doivent être suivies à la lettre. Normalement, c’est un/e ‘Confidential Secretary’ (CS) d’expérience qui tape les questionnaires. Il y a ensuite trois personnes qui peuvent ouvrir et fermer cette salle. Celle-ci est d’ailleurs surveillée par quelqu’un en permanence. Quand vous entrez dans cette chambre forte, vous êtes complètement coupé de l’extérieur. Avant de pouvoir y entrer, il faut faire une entrée dans un ‘log book’, en y incluant le nom, la raison et l’heure de l’accès. Mais il est clair que tout ce processus n’a pas été respecté.

Q : Il y a donc eu négligence ?

Oui. Cela peut arriver. Les procédures doivent être renouvelées chaque année. Sinon, une habitude s’installe et cela donne lieu à des négligences. Dans le présent cas, les procédures n’ont pas été respectées. Il y a eu un laisser-aller. Or, un laisser-aller est catastrophique quand il s’agit d’examens.

Q : La direction a-t-elle une part de responsabilité dans ce qui s’est passé ?

Oui, parce que les procédures déjà établies n’ont pas été suivies. C’est pour cela qu’une enquête est nécessaire pour savoir comment renforcer la sécurité. Et puis, écoutez, tous ceux qui avaient de l’expérience s’en vont maintenant à la retraite. On peut remplacer les personnes, mais pas leur expérience. La directrice est elle-même nouvelle. Il faut qu’il y ait un ‘preparedness plan’ sur dix ans pour préparer ceux qui prennent la relève.

Q : Maintenant que les papiers doivent être retravaillés dans un délai relativement court, la qualité des questionnaires n’est-elle pas compromise ?

Définitivement ! Et puis, comme je l’ai dit dès le début, il y a des contradictions. D’un côté, on dit qu’il n’y a pas eu de fuite mais d’une tentative de fuite, et de l’autre, on refait les questionnaires. C’est contradictoire. Il y a des moyens pour les faire plus vite. Il faut peut-être faire appel à des retraités qui ne sont plus dans le système. Mais sont-ils à jour concernant le syllabus ? Il y a des questions qui sont en suspens. C’est pour cela que je dis qu’il vaut mieux dire toute la vérité.

Q : Une affaire de cette envergure n’aurait-elle pas dû être clarifiée et des dispositions prises bien avant même que l’opposition ne la dénonce ?

Dès le départ, cette affaire a été mal gérée. C’est le réflexe humain de cacher. La lettre qu’Eshan Juman a révélée est quand même ‘damning’. Elle révèle clairement pourquoi cet employé, qui occupe un poste de responsabilité, étant un ‘Senior Research Officer’, a été suspendu de la MES. Auparavant, si le protocole de confidentialité concernant les examens n’était pas respecté, on était passible à une amende de Rs 200 000 ou Rs 250 000 et/ ou à un emprisonnement. N’oubliez pas que la MES elle-même avait vu le jour suivant des fuites. Il y a donc eu des précédents. D’où le besoin d’être vigilant.

Et puis, qu’est-ce que cela veut dire qu’il y a eu tentative de fuite ? Qu’on a essayé, mais qu’on n’a pas réussi ? La lettre mentionne pourtant que 38 papiers ont été retrouvés sur cette clé USB. Tout le monde doit prendre ses responsabilités. Or, tout le monde patauge. Je pense que la ministre de l’Éducation n’a pas voulu affoler les parents, mais il y avait une façon de le faire. Quand vous faites le contraire de votre objectif, cela ne rassure pas. Vous ne pouvez ainsi pas empêcher aux parents de penser qu’il y a d’autres choses qui se passent.

Je me demande comment se fait-il que cette personne ait pu copier autant de papiers ? Normalement, tous les documents doivent être cachés et protégés. Et chaque papier doit se trouver sur un ordinateur différent. Si, par exemple, moi je fais le questionnaire de français, je ne peux pas avoir accès à des papiers relevant d’autres matières. D’ailleurs, les vérifications et les corrections se font sur une ‘hard copy’, avant que le/la CS ne fasse les changements nécessaires sur l’ordinateur. J’ai l’impression qu’il y a eu un laisser-aller. Ce n’est pas normal.

Et maintenant, je vois que selon l’enquête de la police, il n’y aurait rien sur cette clé USB retrouvée sur l’employé suspendu. Comment est-ce possible ? La lettre ne mentionne-t-elle pas clairement qu’il a été suspendu parce que des documents ont été retrouvés sur la clé USB qu’il avait en sa possession ? Est-ce la même clé USB qui a été examinée par la police ? Il faut dire qu’une clé USB ne coûte pas cher…

Q : Cette affaire peut-elle donner lieu à des contestations plus tard ?

Bien sûr. Il y a aujourd’hui une certaine banalisation et on donne l’impression que ces examens n’ont plus d’importance. Mais les parents sont très à cheval sur les principes parce qu’ils investissent beaucoup dans l’éducation. À Maurice, les parents se saignent pour l’éducation de leurs enfants. Les autorités doivent maintenant se rattraper et corriger les erreurs.

Elles doivent dire s’il y a un deuxième set de questionnaires. Je ne sais pas si elles en ont, mais normalement, il doit y en avoir parce que les risques d’accidents sont bien réels. Si elles n’en n’ont pas, c’est très grave.  Moi, j’avais déjà fait refaire des questionnaires en deux jours parce qu’en envoyant des papiers à Rodrigues, j’avais remarqué qu’une des enveloppes était déchirée. Cambridge avait envoyé les nouveaux questionnaires sur le prochain vol puisqu’il était déjà en possession d’un deuxième set de papiers.

On ne peut pas accuser l’opposition de vouloir faire de scandale. Ce n’est pas sérieux. Ce n’est pas ainsi qu’on gère. Le scandale est dans la fuite des papiers d’examens, et non pas dans les réactions de l’opposition. Cela doit servir de leçon aux autorités pour qu’elles se ressaisissent et pour qu’elles revoient les procédures et leur façon de faire.

Q : Quel regard jetez-vous sur la MES ? N’est-elle pas léthargique ?

C’est le mot juste pour la décrire. A l’époque, le CPE était un peu notre vitrine. Mais il n’existe plus de nos jours. Je ne crois pas dans la promotion automatique. J’estime qu’il faut donner la chance et les moyens à tout le monde de réussir. La promotion automatique entraîne une certaine banalisation et à un moment donné, on est rattrapé par l’échec. Le secteur de l’éducation doit être dynamique et il faut qu’il s’adapte perpétuellement aux nouvelles exigences de la société.

Q : Pensez-vous que le système éducatif est balkanisé alors qu’à un moment donné, on ambitionnait de faire du pays un ‘Education Hub’ ?

Oui, mais c’est le cas un peu partout et dans toutes nos institutions. Franchement, il y a encore un long chemin à faire concernant l’‘Education Hub’. Je voulais personnellement commencer par la correction. Nous devons tabler sur nos forces. La correction, nous savons comment la faire. [Ndlr : Il poursuit en énumérant certaines actions qu’il avait prises en tant que directeur de la MES].

Q : Que faut-il finalement faire pour réformer et redynamiser notre secteur éducatif qui concerne l’avenir de nos jeunes ?

Tout le système doit être revu. La réforme doit d’abord commencer par le HSC qui demeure l’objectif final de notre système d’éducation. Le système des lauréats doit être revu. Il n’est plus d’actualité et est très injuste. Je crois aussi dans la régionalisation. Les écoles n’ont pas besoin d’un syllabus commun. Les matières enseignées dans les écoles peuvent être diversifiées. Par exemple, une école se trouvant sur la côte dans le Nord du pays peut donner des cours sur tout ce qui touche à l’océan et à l’économie bleue. Une école dans le centre du pays peut, disons, dispenser des cours sur l’administration. Il peut y avoir une spécialité dans chaque région. Il faut aussi que les écoles aient une certaine autonomie financière et qu’elles peuvent faire des projets et des recherches.  

La Covid-19 aurait pu être l’occasion qu’il nous faut pour repenser le système éducatif et de changer notre type d’enseignement. Il faut qu’on y réfléchisse sérieusement.  Il y a un travail énorme à faire.