L’Université de Maurice classée à la 85e  place sur 100 universités d’Afrique

Un classement qui refléte les problmèmes systématiques de l’Université de Maurice

Un classement réalisé par RUFORUM Capacity Building in Agriculture, un consortium regroupant plus d’une centaine d’universités de la région africaine, a placé l’Université de Maurice (UoM) à la 85e place sur les 100 meilleures universités d’Afrique. Le classement, rendu public le 16 juillet dernier, a causé quelque peu une certaine stupeur, alors que d’autres ne semblent nullement surpris… Dans ce dossier, nous accueillons Ameenah Gurib Fakim, ancienne présidente de la République et ex-pro-vice chancelière de l’UOM, Dharam Gokool, ex-ministre de l’Éducation et ancien ‘Associate Professor’ à l’UOM’, Mervyn Courtaud, secrétaire de la Students’ Union, et Sheila Bunwaree, ancienne professeure à l’UoM. Les sujets abordés : à quel point le classement de Ruforum est valide, son importance, pourquoi l’UoM a eu une note aussi bas, et ce qu’il convient de faire.

Ameenah Gurib Fakim, ex-Présidente de la République, et ex-Pro-Vice Chancelière de l’UoM

Ameenah-Gurib-Fakim-In-Pakistan-1In countries where cronyism reigns supreme, the ranking of universities probably does not matter”

L’ex-Présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, qui a aussi été Pro-Vice Chancelière de l’Université de Maurice de 2004 à 2010, réagit sur le classement de l’UoM par Ruforum.

Primo, quelle valeur accordée à ce classement ? Elle nous explique qu’il existe trois grands classements universitaires mondiaux auxquels la plupart des gens prêtent attention : QS World Ranking of Universities ; Academic Ranking of World Universities (ARWU), auparavant connu comme l’ndex de Shanghai Jiao Tong ; et le Times Higher Education (THE) World University Rankings.

Ces trois classements utilisent différents critères pour classer les universités. Selon Ameenah Gurib Fakim, ces classements sont particulièrement complets car ils utilisent pas moins de 13 indicateurs de performance, distincts les uns des autres, selon des normes internationales strictes, pour jauger les universités de classe mondiale.

Grosso modo, ce classement se fait par rapport aux missions-clés des universités, leur niveau d’enseignement et les recherches effectuées, sans oublier le niveau d’employabilité d’un jeune diplômé issu de l’université en question.

Pour 2020, selon ces classements, parmi les 200 meilleures places se retrouvent deux universités sud-africaines (l’Université of Witwatesrand et celle de Cape Town). Parmi les 1 000 premiers, on y retrouve de nombreuses universités africaines, dans des pays comme le Nigéria, l’Égypte, l’Ouganda, la Tunisie, le Kenya, le Nigéria, entres autres, mais… aucune institution tertiaire de Maurice.

Ameenah Gurib Fakim a conclu dans ces termes : “It is clear that if our institutions are to move up the ranking, massive efforts have to be made to improve on all of the above indicators.”

Quelles est l’importance du ‘ranking’ des universités ? It depends on where you are! In some countries, getting a degree from a highly ranked institution opens up doors in accessing good jobs. These countries are probably those where meritocracy matters in climbing up the ladder. In countries, where cronyism reigns supreme, it probably does not….”                                                                                      

Dharam Gokhool, ex-ministre de l’Éducation

Dharam Gokhool 1« C’est une indication de la qualité de notre université »

Ancien ‘Associate Professor’ de l’Université de Maurice et ex-ministre de l’Éducation, Dharam Gokhool clarifie les choses. Il fait comprendre que ce classement n’est pas basé sur les critères usés habituellement. De ce fait, ce classement n’est pas un classement compréhensif pour mesurer les qualités des universités.

« Mais n’empêche, c’est une indication de la qualité de notre université », lance-t-il. « En tant qu’ancien ministre de l’Éducation, ce classement ne m’etonne pas ! »

Et l’ancien ‘Associate Professor’ de justifier ses dires. Il explique que le gouvernement a mis l’accent sur la quantité d’étudiants, et non pas sur la qualité. Pour faire en sorte qu’encore plus d’étudiants puissent avoir accès à l’université, les critères pour pouvoir intégrer l’université ont subi un ‘dumbing down’ et sont devenus médiocres. Au fil des années, si on analyse les résultats, on peut ainsi constater que les étudiants passent leurs examens sur un score moyen de 40 à 50 %. Selon Dharam Gokhool, il faut revoir les critères pour accéder à l’université. Il fait ressortir que ce problème commence à la base, c’est-à-dire à partir du primaire et du secondaire (cette dernière étape etant le ‘pont’ vers les universités).

Il dénonce aussi les « recherches » de l’Université de Maurice. Les académiques font des recherches uniquement pour leur promotion. « It’s oriented towards academic promotion and not for improving the quality of knowledge and education”, dénonce Dharam Gokhool.

Pour mettre fin à ce problème, les strategies de recherche devront être revues. Il existe deux types de recherches, le Development Research et le Fundamental Research. Le ‘Development Research’ constitue les recherches sur les problèmes de société, mais qui malheureusement ne se font pas chez nous. Il plaide pour que l’on mise plus sur ce type de recherche.

Finalement, il aborde l’aspect de la visibilité de l’université. Sur 100 académiques, il y aura seulement 2 ou 3 qui viendront de l’avant pour parler des problèmes de société dans les médias. Ainsi, à l’UoM, bien peu d’académiques le font.

En outre, avec les lois passées par ce gouvernement, il y a beaucoup de contraintes et les universitaires ont peur de parler.

Pour couronner le tout, la direction de l’Université a un manque de stratégie pour soutenir le personnel académique. Selon lui, « Il faudrait qu’il n’y ait aucune menace sur les ‘’academic freedoms’ pour que l’université puisse avancer. »

 Le classement de Ruforum

Pour son classement, Ruforum a choisi  les universités qui répondaient aux critères ci-dessous :

  • Si l’Université en question est accréditée par une organisation appropriée liée à l’enseignement supérieur dans chaque pays.
  • Si l’Université offre au moins quatre ans d’études menant à des diplômes de premier cycle (degré), ou menant à des diplômes de deuxième ou de troisième cycle (maîtrise ou doctorat).
  • Si l’Université offre ses cours principalement dans le cadre de l’enseignement traditionnel, en face à face, et non uniquement par des formatons à distance.

L’éducation tertiaire gratuite : un leurre ?

Une source de l’UoM nous explique qu’indépendamment de ce classement, l’Université de Maurice est confrontée à de réels problèmes systémiques. Le ministère a, pour plaire au public, opté pour un enseignement gratuit. « Or, dans une large mesure, c’était déjà gratuit. Ils ont supprimé les frais d’admission. Les cours payants ont été supprimés. Mais ils n’ont pas assez de financement pour subventionner tous les étudiants. C’est donc un leurre. Les étudiants pauvres et ceux de la classe moyenne en sont les victimes. Ils sont obligés d’aller à CTI ou à Uclan ou à Medine, tout en en payant des sommes exorbitantes », nous dit-elle.

Sheila Bunwaree, ancienne professeure à l’UoM

sheila bunwaree« Si nous étions parmi les dix premiers, il n’y aurait pas eu de remise en cause sur la validité des indicateurs »

Sheila Bunwaree, ancienne professeure à l’Université de Maurice , plaide pour la prudence face au classement de Ruforum. Toutefois, elle ne mâche pas ses mots en ce qui concerne certains aspects de l’UoM.

Alors que les classements universitaires tels que Shanghai Academic Ranking of World Universities (ARWU), le Times Higher Education (THE), The Webometrics Ranking, pour ne nommer que quelques-uns, sont généralement utilisés pour mesurer et comparer la performance des universités, il est nécessaire d’être prudent, fait-elle rappeler.
Il existe de nombreuses preuves, issues de travaux de recherche universitaires, qui traitent des avantages et inconvénients du classement mondial des universités. « Le contexte et la réalité sur le terrain sont des influenceurs importants de la notation, il faut donc éviter de sauter aux conclusions », dit-elle. Il est également important de replacer le débat sur les classements universitaires dans un contexte plus large, sur qui contrôle les connaissances, leur production et leur distribution.

Pour les universités des pays en développement qui se lancent à la poursuite des meilleurs dans le monde, cela constituent une perte de temps et d’énergie. « Savez-vous que nous ne figurons pas du tout sur le Times Higher Education Index ? », nous dit l’ancienne professeure.

Commentant sur l’indice utilisé dans le cas de l’Université de Maurice, certaines personnes  à la tête semblent suggérer qu’il y a un défaut méthodologique, car les mesures sont inclinées en faveur du trafic Web et de la visibilité et, d’une manière ou d’une autre, liées à la taille du campus, et au nombre d’étudiants. « Je suppose que si nous étions parmi les premiers dix, il n’y aurait pas eu de remise en cause sur la validité des indicateurs utilisés », fait toutefois ressortir Sheila Bunwaree.

Selon cette experte en Sociology and Developmental Studies, l’Université de Maurice dispose d’un vivier de talents et d’expertise, qui reste malheureusement insuffisamment inexploité. « Nous avons des problèmes systémiques et tout mettre à la porte de l’administration universitaire serait injuste », dit-elle.

L’Université étant un important site de connaissances (production et distribution), et compte tenu des nombreux défis auxquels le pays fait actuellement face, l’Université a une occasion unique et historique de repenser son rôle pour s’assurer d’apporter une contribution significative au maintien de l’économie et de la société.

« On a besoin de plus d’investissements dans la recherche, une révision du cursus pédagogique dans divers domaines, une consolidation des liens université-industrie, les innovations et une plus grande collaboration entre les institutions de recherche à travers le monde », conclut-elle.

 Mervyn Courtaud, secrétaire de la Students’ Union de l’UoM

Mervyn Courtaud«Il est temps de rappeler à certains les points forts de l’institution »

Mervyn Courtaud, le secrétaire de la Students’ Union de l’UoM essaie de relativiser les choses.

Selon lui, pour ce palmarès, seul le ‘Webometrics’ a été considéré ! C’est-à-dire qu’on porte un jugement sur une université en se basant uniquement sur les informations contenues dans son portail, et le trafic. Certains médias ont aussi tenté de jouer avec toute la réputation de l’UoM.

« C’est vrai que nous avons beaucoup à faire mais certes nous avons eu un très beau parcours par rapport à l’évolution de notre campus. Avec les récentes publications – la mentalité négative s’installe parmi beaucoup d’acteurs de l’institution – cela est très dommageable, car elle amène à stagner, puis à faire régresser le changement », nous dit-il.

« Avec l’expérience d’être un UOMER (tout en étant aussi le porte-parole de quelque 10,000 étudiants), je peux dire que plusieurs autres facteurs ou critères aident à démontrer la “richesse” d’une université. L’UoM est un chantier, non seulement avec des formules continues pour l’amélioration de l’éducation tertiaire, mais aussi elle représente l’avenir et l’espoir de sauvegarder notre petite île, à travers les milliers de gradués chaque année qui exercent dans les domaines économiques, sociaux et politiques du pays », poursuit-il.

Le jeune universitaire explique qu’il est réceptif aux critiques – et tout comme le ‘Higher Management’ qui est prêt à nier les faits rapportés par les médias – il est temps de rappeler à certains des points forts de l’institution. Il faut essayer de voir les choses sous un angle multidimensionnel, avec un engagement pour la recherche, le cadrage de la performance académique, l’échelle de l’innovation au niveau des infrastructures et la plus importante, un rôle socioéconomique pour l’UoM.

« Je dois dire qu’une grande composante se révèle avec les stratégies adoptées à l’UOM pour sauvegarder sa reputation : la formulation des programmes pour les besoins du marché, les projets communautaires avec les étudiants, la recherche industrielle et les partenariats aux niveaux national et international », nous fait comprendre le porte-parole des étudiants de l’université de Maurice.

Ainsi, tout en déplorant la façon de voir ce classement comme le tableau de l’English Premier League, il est important de valoriser l’intégrité de l’Université de Maurice. Il est aussi primordial de tomber sur une bonne méthode d’assurance qualité.

« On ne peut éviter les classements car c’est un exercice important pour les organismes d’intérêt éducatif – mais il est important de bien comprendre les métriques et de faire une évaluation réaliste ! », conclut Mervyn Courtaud.