« Lutchmeenaraidoo sera obligé de démissionner »

Innocenté dans l’affaire de couvertures, Vishnu Bundhun, ancien ministre de la Sécu, jette aujourd’hui un regard sévère sur cette période cruelle où il se vit fragilisé, marginalisé et peut-être même emberlificoté par son parti auquel a toujours été loyal. Mais la loyauté et la sincérité ont des limites. Palpez son état d’âme.

 Sanjay BIJLOLL

 

Q : Monsieur Vishnu Bundhun, vous avez été éloigné,  par la force des choses,  du champ politique pour une histoire de couvertures alors que vous étiez ministre. Quels en sont vos sentiments aujourd’hui?

R : Je dois vous dire que lorsque j’étais ministre de la Sécurité sociale, cette histoire de couvertures a été montée de toutes pièces et ce avec le concours d’un journaliste. Si ce dernier a la conscience claire, il pourra lui-même mesurer les conséquences que cette affaire a eues sur la vie d’un politicien, de sa famille et de ses mandants qui l’entourent jusqu’à présent. Comme dit l’adage : “If you can’t beat them join them”.

Au niveau de mon ministère, j’avais essayé de me battre, mais j’étais devenu une victime. On avait fomenté un complot avec l’aide d’un fournisseur, des officiers de  mon ministère et du journaliste en question. Tout contrat alloué par le ministère est l’affaire des officiers, qui  sont responsables des publicités dans des journaux et des appels d’offres. Ils sont en contact avec les fournisseurs ; le ministre est la dernière personne qui est mise au courant des conditions de l’allocation d’un contrat qui est décidé par le ‘Tender Board’. Tout a été fait dans les bureaux des officiers.

 

Q : Pouvez-vous nous en dire plus ?

R : Je me souviens d’une question parlementaire, posée par le leader de l’opposition, Paul Bérenger,  qui avait fait référence au précédent contrat alloué concernant la mauvaise qualité des couvertures distribuées aux personnes âgées. J’avais donné l’assurance à l’Assemblée nationale que tout se ferait d’après les termes et conditions du contrat après avoir obtenu un certificat de bonne qualité des couvertures octroyé par le Mauritius Standards Bureau (MSB). J’avais demandé aux officiers de mon ministère de faire en sorte qu’avant la distribution des couvertures d’envoyer quelques échantillons au MSB. Ce qui avait été fait. Jusque-là, il n’y avait aucun problème. Or, dès qu’on a eu le résultat de cet organisme, je me souviens qu’un PAS était venu me voir pour me dire que j’avais raison, car le MSB avait certifié des manquements au niveau des échantillons. A partir de là, j’avais tenu le Cabinet au courant pendant trois semaines en vue de  trouver une solution. Cela avait fait beaucoup de bruit dans les couloirs et ailleurs. Et on savait que des sanctions sévères allaient êtres prises à l’encontre de certaines personnes.  C’est à partir de là qu’on ourdit un complot contre moi avec le concours des officiers, d’un fournisseur et du journaliste.

 

Q : Aujourd’hui réhabilité, avez abandonné la politique active ?

R : Dès le premier jour du complot, je suis resté député et j’ai œuvré pour la circonscription no 10 (Montagne Blanche/ Grande Rivière Sud-Est) et ce, jusqu’à présent. Je suis toujours en contact avec mes mandants. C’est mon passe-temps préféré.  Si vous voulez faire un constat, allez-vous enquérir auprès de mes mandants et vous apprendrez des choses.

Tous les candidats du Parti travailliste et ceux qui ont fait l’alliance avec mon parti ont sollicité ma présence sur l’estrade ou dans les réunions privées pour se faire élire. Même jusqu’à présent, je reste contact avec les membres du CLP du no 10.

 

Q : Il serait intéressant quand même de savoir comment s’est effectuée cette traversée du désert. Vous nous en parlez ?

R : Je n’ai pas connu vraiment une traversée du désert. Tout simplement on ne m’avait pas accordé un ticket. Mais je suis toujours en contact avec la circonscription no 10. J’ai repris de l’emploi comme éducateur après 2 000. Maintenant, je suis très actif dans cette circonscription et je suis membre de l’exécutif du PTr. Je continue à défendre les couleurs de mon parti.

 

Q : Est-ce que, pendant cette période, vous aviez le sentiment d’être abandonné par  l’état-major du PTr, votre leader, Navin Ramgoolam, vos amis, vos mandants et vos agents ?

R : Au moment où m’avait demandé de ‘step down’, j’étais confiant que j’allais gagner mon affaire, car, à l’intérieur de moi, je savais que je n’avais rien fait de mal. Or, la politique est ainsi faite.

Mon parti et leader, qui était le Premier ministre, m’avaient demandé de ‘step down’. Je n’avais d’autre choix que de me plier à leur décision. Mais je suis resté au parti  et j’ai participé à toutes ses activités. A l’époque, je savais que ma présence dérangeait certaines personnes au sein du PTr. Or, moi, j’avais la foi et une conviction ferme … Je mettais au défi  tous ceux qui pensaient que je m’étais trempé dans cette affaire de couvertures. Mon innocence a été par la suite reconnue.

On vous demande de ‘step down’ et que, après, si vous êtes blanchi, on va vous réhabiliter. Pour moi, c’est creux, sans authenticité aucune. Car après, quand vous avez été effectivement blanchi, on ne vous réhabilite pas vraiment …

 

Q : Cést-à-dire ?

R : J’étais, par exemple, membre du Bureau politique assistant secrétaire du PTr , mais je suis resté tout simplement un membre exécutif. Pourtant je jouissais d’une grande popularité auprès des habitants du no 10. Et on ne m’a jamais donné un ticket pour les élections de 2 000 à 2014. On m’avait pourtant demandé d’« occuper le terrain », ce  qui coûte beaucoup en termes d’argent, d’énergie, de temps et de sacrifices au niveau de la famille. Mais, en retour, on vous dit de continuer à travailler, la prochaine fois vous aurez un ticket. J’ai adhéré au PTr il y a quarante ans et je continue  œuvrer pour son épanouissement..

Il y a une limite  tout, même à la sincérité et à la loyauté. L’exaspération prend le dessus lorsqu’on dépasse les limites.

 

Q : Aujourd’hui, on peut dire que vous êtes devenu un observateur politique. Quelle lecture faites-vous de la situation dans le pays ?

R : Je ne suis pas un observateur politique, mais je suis la politique à plein temps en tant que membre exécutif du PTr. Au niveau des CLP, on organise régulièrement des réunions et des activités à travers le pays. Les Mauriciens bénéficient de l’éducation et du transport gratuits. Les parents préfèrent que leurs enfants poursuivent leurs études tertiaires avec l’espoir que ces derniers trouveront un emploi. Actuellement, on note un ou deux gradués dans une même famille. Faute d’emploi, les gradués chômeurs demandent de l’argent de poche à leurs parents, dont beaucoup sont des bénéficiaires des prestations sociales. Imaginez- vous ce que ressentent les familles ?

La situation se dégrade à tous les niveaux. Lorsqu’on se réveille le matin, on ne sait pas ce qui va se passer dans la journée. Le taux du chômage est inquiétant dans le pays et la création d’emplois se fait toujours attendre. Tous les jours, il y a des accidents de la route. Outre  l’instabilité politique dans le pays, la nomination des proches des politiciens dans le secteur public est mal perçue parmi les Mauriciens. Par ailleurs, les investisseurs ne font plus confiance à Maurice. Les conventions entre Maurice et les autres pays ne sont pas respectées. Bref, le pays se trouve dans une situation chaotique.

 

Q : Que pensez-vous de l’affaire Dayal ?

R : Selon les informations et articles que j’ai lus et entendus, il semblerait que c’est un cas de corruption. L’homme d’affaires a fait un long enregistrement à plusieurs niveaux, et tout le monde a écouté les conversations entre les  deux personnes concernées. Or, Dayal conteste. C’est à lui de confirmer si c’est lui ou une autre personne qui aurait conversé avec l’homme d’affaires en question.

 

Q : Et quid de l’affaire Lutchmeenaraidoo ?

R : La population ainsi que Vishnu Lutchmeenaraidoo doivent comprendre les déclarations du Premier ministre, sir Anerood Jugnath, mercredi dernier au Château  Labourdonnais. Vishnu Lutchmeenaraidoo ne peut pas rester au gouvernement.

 

Q : Pensez-vous qu’il restera ‘back bencher’ avec la nomination d’un éventuel ministre des Finances ?

R : Non. Avec tous les commentaires internes au niveau du MSM, Vishnu Lutchmeenaraidoo sera obligé de démissionner et provoquer une élection partielle au no 7 (Piton/ Rivière-du-Rempart).

 

Q : On sent une certaine fébrilité dans les rangs de la majorité, qui ne parvient pas à freiner les scandales. Qu’en pensez-vous ?

R : Le moins que je puisse dire, c’est qu’on  a des informations qu’il y a d’autres scandales qui vont certainement faire surface au niveau d’autres ministères.

 

Q : Que répondez-vous à ceux qui disent qu’en termes de scandales, fraudes, corruption, favoritisme, népotisme, protection du clan, petits copains/copines et proches « tous gouvernements et tous politiciens pareil » ?

R : Je ne partage pas entièrement votre idée. Il y a des politiciens qui sont propres, intègres et honnêtes et qui aiment travailler pour l’épanouissement de notre pays.

Dans n’importe quel gouvernement, on constate qu’il y a des personnes qui ont des affinités avec des ministres, députés ou fonctionnaires. Or, la loi est claire quand il s’agit de conflits d’intérêts, il faudra établir des paramètres et travailler d’après la loi.

On critiquait le PTr, mais je vous dis qu’au niveau de mon parti, Navin Ramgoolam ne tolérait pas ses ministres. Moi, je ne possède pas un campement. Un jour, soit après les élections au no 7, j’ai demandé au Bureau du Premier ministre la permission d’utiliser un campement à Trou-aux-Biches. Or, Navin Ramgoolam m’avait non. Mais à présent, les ministres sont libres de nommer leurs proches et font ce qu’ils veulent. Et ils bénéficient de plusieurs avantages.

 

Q : Si une partielle devait avoir lieu demain, pensez-vous que l’opposition aurait une chance de l’emporter ?

R : Je pense que l’opposition remportera l’élection partielle. Le PTr sous le  leadership de Navin Ramgoolam a remporté presque toutes les élections partielles qui ont eu lieu aux nos 7, 9 et 20. Je connais la force de frappe des partisans du PTr. A présent, là où on passe à travers l’île, on constate l’impopularité du gouvernement.

 

Q : Après la victoire sans bavure de l’Alliance Lepep aux dernières législatives, auriez-vous imaginé une telle situation où cette alliance commence à se douter d’elle-même ?

R : Permettez-moi de vous dire que les candidats de l’Alliance Lepep ont été choisis à la va-vite car elle n’avait pas de candidats, originaires des alliés politiques. Le ML n’avait pas des structures et on avait limité le nombre de tickets au PMSD. De plus, le MSM a eu recours à des candidats qui étaient des fonctionnaires qui n’avaient aucune expérience  pour organiser des activités politiques. Une fois élus, ils ne savent pas ce qu’ils doivent faire au niveau de leurs ministères.

En se basant sur les récents événements qui ont secoué le pays, n’importe quel dirigeant politique aura des doutes et il dira que la situation politique laisse à désirer.

 

Q : Beaucoup de ‘die hard’ rouges sont prêts à relancer le PTr à condition que Navin Ramgoom s’en va ou cède sa place à un autre. Partagez-vous leur idée ?

R : Après les sorties publiques de Navin Ramgoolam à Kewal Nagar, à Sébastopol en septembre 2015, lors de la célébration du 80e anniversaire du PTr à Réduit et tout dernièrement à Rivière-du-Rempart, il n’y a pas de doute que la base travailliste lui fait toujours confiance. Aussi longtemps que le leader des ‘rouges’ n’est pas trouvé coupable par une  cour de justice, il ne peut quitter le leadership du parti. Il a été élu leader du PTr jusqu’à 2017. Attendons voir la suite, mais je vous dirais que personne n’est indispensable dans ce monde.

 

Q : Que feriez-vous si demain le leader des ‘rouges’ vous accorde un ticket ? L’accepteriez-vous et quelle circonscription choisiriez-vous ?

R : Si on m’avait donné un ticket au no 10, j’aurais été élu en 2 000 et même après.  Je connais ma force et ma popularité dans cette circonscription. Je n’ai pas de doute que j’aurais été élu en 2014. Or, je continue mon travail. C’est le leader qui décide de l’octroi de tickets. Si on me’n donnais un pour les prochaines élections générales, je l’accepterais volontiers.