Mahend Gungaparsad : « L’enfant mauricien souffre car la méthodologie adoptée n’est pas appropriée »

  • « Les ‘stakeholders’ ont des propositions valables qui permettraient de résoudre beaucoup de problèmes »

Il le dit haut et fort. La méthodologie adoptée par le ministère de l’Éducation n’est pas adaptée aux problèmes occasionnés par le contexte actuel. Le député travailliste Mahend Gungaparsad, lui-même ancien recteur, se montre très critique sur la gestion du secteur éducatif et sur la réforme qu’il qualifie de « bluff »…

Zahirah RADHA

Q : À peine la rentrée et déjà plusieurs établissements scolaires sont contraints de fermer leurs portes en raison de la pandémie Covid-19. Une “normalité” évitable ou inévitable ?

La rentrée scolaire est survenue dans un contexte où l’on n’est pas Covid-safe. L’année dernière, la situation nous était nouvelle contrairement à cette année-ci. On aurait dû tirer des leçons du premier confinement. Mais je note malheureusement qu’il y a un déficit de communication entre les autorités et la population, résultant en une angoisse grandissante parmi les parents. La ministre de l’Éducation joue aux abonnés absents quand elle est sollicitée alors qu’elle aurait dû être à l’avant-plan pour rassurer les parents, le personnel enseignant et non-enseignant et les étudiants avant même la rentrée.

Madame la ministre a jeté sa responsabilité aux chefs d’établissements scolaires. Ce que je trouve assez réducteur. Ces derniers prennent leurs précautions, mais il y a des facteurs qui sont hors de leur contrôle. D’où les cas positifs recensés en milieu scolaire. La ministre aurait dû descendre sur le terrain pour rassurer ceux concernés au lieu de faire un show devant les caméras de la MBC le premier jour de la rentrée. Que fait-elle derrière les rideaux pour apaiser la situation ? Un collège SSS se trouvant près de chez moi devait rester fermé lundi suivant l’enregistrement d’un cas positif, mais aucune communication officielle n’a été faite dessus. C’est aberrant ! Si telle est la nouvelle normalité, j’ai peur pour le secteur éducatif. Il faut un protocole de communication pour ce secteur.

Q : Vous évoquez un déficit de communication. N’est-ce pas plutôt une désinvolture de la ministre de l’Éducation qui en est la cause ?

J’ai toujours agi avec beaucoup d’élégance envers elle. Mais je partage votre avis sur cette désinvolture dont elle fait preuve. En tant qu’une mère elle-même, elle aurait dû faire preuve de plus de compassion. Je ne veux pas utiliser des jeux de mots sur son nom, Leela ou Lee Pa La, mais si une telle situation devait arriver à l’étranger, est-ce qu’un ministre aurait ainsi joué à la cachette ? Quand les autorités commencent à dégager une certaine désinvolture, cela reflète sur la société.

C’est aberrant et triste qu’elle ne peut même pas rassurer la population alors qu’elle se vante au Parlement de vouloir introduire l’« emotional intelligence ». Si tel était le cas, elle aurait dû montrer l’exemple. Personne n’aurait alors pu lui pointer du doigt. Sa désinvolture et son désintérêt sont vraiment palpables. Ce qui explique le mécontentement de la population qui n’hésite pas à se faire entendre sur les radios et les réseaux sociaux. Pourquoi cette désinvolture et ce désintérêt ? Est-ce qu’elle pense être politiquement déjà au sommet de sa gloire ? Est-ce que ce ministère ne lui donne plus d’impulsion ? Franchement, la ministre ne joue pas son rôle convenablement.

Q : Qu’est-ce qui freine toujours l’enseignement en ligne alors qu’on a eu suffisamment de temps depuis le premier confinement pour l’appliquer, le peaufiner et le rendre accessible à l’ensemble du corps enseignant et estudiantin?

Je vous remercie pour cette question qui me permet d’aborder l’enseignement en ligne. Voyons d’abord ce qui a été fait concernant l’« online teaching ». La mise sur pied de la « National E-Learning Platform » annoncée dans le budget 2019-2020 n’a pas encore été concrétisée jusqu’ici. La ministre de l’Éducation a évoqué l’ePathshala au Parlement mardi. Elle pensait peut-être épater la galerie, mais est-ce qu’on peut comparer le système mauricien à ce système en ligne qui existe en Inde ? Oublions les méthodes qui sont utilisées ailleurs et voyons plutôt le système rôdé qui existe dans les écoles privées payantes, à commencer par le pré-primaire jusqu’au tertiaire, chez nous. Avez-vous entendu des parents dont les enfants fréquentent ces écoles payantes se plaindre ? Pourquoi ce problème persiste-t-il seulement dans les écoles publiques ?

Je pense personnellement qu’en parallèle avec le « staggered time-table », les classes auraient dû se poursuivre en ligne afin de ne pas perturber les cours. Ce qui m’embête toutefois c’est qu’un enseignant se trouvant au sein de l’école ne peut pas rester connecté avec ses élèves parce qu’on ne dispose pas d’un bon système de connexion au wifi. C’est d’ailleurs la PTA qui s’acquitte des frais d’internet dans plusieurs établissements scolaires. C’est malheureux. A-t-on tiré des leçons du premier confinement ? Que fait-on des élèves qui n’ont pas les moyens de suivre les classes en ligne ? A-t-on fait un survey pour voir, par exemple, si les ‘champions’ qui ont été formés sur l’enseignement en ligne ont pu disséminer ce qu’ils ont appris aux autres enseignants ? Qu’est-ce qui a été fait pour les enseignants qui sont « technology-shy » ? Y a-t-il un suivi concernant les cours télévisés ? On annonce des mesures en fanfare, de gros budgets sont votés mais à la fin du jour, l’élève mauricien n’en bénéficie toujours pas.

Même les tablettes qui sont données aux élèves du primaire sont gardées à l’école. A-t-on montré d’ailleurs à ces derniers comment manier ces outils ? Beaucoup d’élèves ont des difficultés pour les utiliser. J’ai proposé que ces élèves soient soutenus par des « support teachers ». Est-ce que la ministre le fera ? Vous parlez de désinvolture. Moi je dis qu’elle est désintéressée. Sinon, elle aurait déjà trouvé les solutions qu’il faut.

Q : A-t-on un système éducatif archaïque, d’autant que même à l’université, les examens ne peuvent se faire en ligne ?

Je ne sais pas à quel point c’est archaïque. Ce que je sais par contre, c’est que partout ailleurs les examens se font en ligne pour protéger les étudiants contre la pandémie Covid-19. En Angleterre, presque tous les examens, incluant le LLB, ont été faits « online ». Pourquoi n’arrive-t-on pas à le faire à Maurice ? Pourquoi insiste-t-on pour que des étudiants viennent sur le campus alors que des cas positifs y ont été enregistrés récemment ? Vu sous cet angle, je dirais certainement que le système est archaïque. L’ironie cependant, c’est que les dirigeants eux-mêmes affirment qu’il nous faut nous adapter au « new normal » et qu’il nous faut ‘shifter’ au « new mode of learning and teaching ». C’est illogique.

Q : Est-ce, selon vous, pour pallier aux manquements des autorités que la vaccination a été rendue obligatoire pour les universitaires et peut-être pour les collégiens bientôt ?

Je le vois différemment. Je n’ai aucun problème avec la vaccination aussi longtemps qu’elle est faite pour protéger l’individu. Je souhaite néanmoins vous faire part d’un cas que j’ai soulevé au Parlement, mardi. Un étudiant de l’Université de Maurice, qui souffrait auparavant du syndrome Guillain Barre mais qui s’était ensuite rétabli, a fait une rechute après qu’il s’est fait vacciner contre la Covid-19. Pourtant, il a suivi tout le protocole mis en place avant de se faire vacciner, ayant même obtenu le feu vert du ‘Vaccination Board’. Sans ce vaccin, cet étudiant ne se retrouverait pas sur un lit d’hôpital aujourd’hui. C’est chagrinant.

On aurait dû penser aux répercussions que le vaccin obligatoire pourrait avoir sur les étudiants avant de l’appliquer. Le temps nous dira si c’est pour pallier aux manquements des autorités que le vaccin a été rendu obligatoire. C’est un gouvernement qui parle beaucoup pour la galerie, mais qui, concrètement, ne fait rien. L’implémentation des mesures reste très problématique. Raison pour laquelle les étudiants n’ont pas une éducation comme il se doit.

Q : Pensez-vous qu’avec l’implémentation de la nouvelle réforme, ces lacunes seront rectifiées ?

On nous a dit que la réforme a été introduite pour pallier aux manquements de l’ancien système. Nous concédons qu’il y avait effectivement des manquements. Mais qu’est-ce qui a changé avec cette réforme ? Est-ce que la compétition ou les tensions dont font face les enfants ont été réduites ? Est-ce qu’elle permet le développement holistique de l’enfant ? La ministre vous dira peut-être oui. Mais tel n’est pas le cas. La compétition est toujours bien présente, surtout pour avoir accès aux académies. La réforme comporte beaucoup de lacunes qu’il faut peaufiner, mais je ne vois rien venir en ce sens.

Suite à une question parlementaire que j’ai adressée à la ministre de l’Éducation mardi, elle m’a répondu qu’elle n’allait pas remplir les 2000 places laissées vacantes dans les collèges régionaux suite aux transferts des étudiants dans les académies parce qu’elle voulait maintenir le « teacher-pupil ratio ». D’un côté, elle veut que chaque école soit « performing » et de l’autre, elle leur enlève leurs meilleurs éléments pour les envoyer aux académies.

Le « lateral transfer », permettant le transfert des élèves d’un collège régional à un autre, aurait dû être permis selon moi, d’autant que les transferts font partie de notre culture. Peut-être la ministre de l’Éducation a-t-elle peur que certains collèges privés puissent en être affectés. Elle n’a pas tort. Mais il faut quand même qu’elle se penche sur les manquements de cette réforme. La ministre de tutelle parle beaucoup, mais rien de concret n’en émane. Je lui demanderai de bien réfléchir avant de lire les notes que lui donnent ses conseillers.

Q : Le moment était-il propice pour l’implémentation de cette réforme survenue en pleine pandémie ?

Pouvez-vous imaginer que des enfants ont été contraints de prendre des examens du PSAC et du NCE en pleine pandémie alors que d’autres ont préféré ne pas y participer ? Il faut penser à leur santé mentale et l’impact psychologique que cela a eu sur leurs parents et eux-mêmes. Elle aurait peut-être dû les remettre à plus tard dans un souci d’équité et de chances égales. Mais elle est bien têtue. Elle prétend ne pas céder aux lobbies, mais moi je trouve qu’elle fait la sourde oreille au bon sens.

Q : Le système ne crée-t-il pas en quelque sorte deux catégories d’étudiants ?

Le pédagogue brésilien Paulo Freire, qui m’a toujours inspiré, évoque la « pedagogy of the oppressed », en soutenant que le système qu’on met en place perpétue souvent des inégalités. Vous avez raison de dire que le système favorise deux catégories d’étudiants. Ceux qui sont issus des familles aisées arriveront toujours à faire face aux difficultés, peu importe lesquelles, car ils ont des moyens financiers et intellectuels, entre autres.

Par contre, les enfants issus des familles défavorisées sont les plus affectés, surtout en cette période de pandémie. Oublions les tablettes. Il faut d’abord assurer qu’ils aient un repas chaud car ils ne pourront jamais se concentrer en classe s’ils ont le ventre vide. Je me souviens d’ailleurs que la ministre de l’Éducation avait répondu avec désinvolture aux questions posées en ce sens par mes amis Osman Mahomed et Shakeel Mohamed au Parlement. Il a fallu que je soulève la même question à la ministre de la Sécurité sociale Fazila Jeewa-Dawreeawoo pour qu’elle me rassure qu’elle s’y pencherait.

Dans un deuxième temps, il faut aussi assurer qu’il y ait un accompagnement en parallèle avec l’octroi des tablettes et la connexion à l’internet. Les conditions dans de nombreuses familles sont telles que les enfants n’arrivent même pas à faire leurs devoirs correctement, faute de logistiques. C’est donc important qu’on offre un service équitable à tous les enfants qui sont ainsi affectés pour qu’on puisse combattre ces inégalités. Raison pour laquelle l’enseignement en ligne reste problématique pour beaucoup de ces enfants. Le taux d’échec augmentera si rien n’est fait pour le résoudre.

Raison pour laquelle, selon moi, que le SeDEC a proposé au ministère de l’Éducation de prendre sous ses ailes les écoles se trouvant dans les zones d’éducation prioritaires où le taux d’échec est vraiment élevé. Ce qui prouve, à mon avis, la faillite totale du ministère de l’Éducation. Au final, la réforme, censée accroître le taux de réussite et améliorer la qualité de l’éducation, ne sert à rien. Ce n’est que du bluff.

Q : Que proposez-vous pour résoudre les problèmes actuels liés surtout au contexte de la pandémie ?

Je pense que la ministre doit s’asseoir avec toutes les parties concernées pour en discuter au lieu d’écouter que ce que lui siffle un groupe de personnes à l’oreille. Les ‘stakeholders’ ont des propositions valables qui lui permettraient de résoudre beaucoup de problèmes. Elle doit aussi être plus attentive aux préoccupations de la population. Elle doit réaliser que le nombre de cas positifs à la Covid-19 est en hausse et qu’il lui faut agir maintenant, quitte à revoir sa décision dans deux semaines. Elle aurait pu, bien entendu, passer à l’enseignement en ligne si elle avait des alternatives crédibles, acceptables et pédagogiquement rôdées. Ce qui n’est pas le cas malheureusement. Le problème ne sera même pas réduit à moitié avec le « staggered time-table » qui ne permet qu’une heure quinze minutes par matière.

Il faut trouver des solutions et c’est à la ministre de l’Éducation de venir de l’avant pour nous dire ce qu’elle peut faire pour que les enfants puissent bénéficier du système. S’il y avait effectivement en place un système bien rôdé comme l’ePathshala ou autre à Maurice, l’enfant mauricien ne souffrirait pas. Or, l’enfant mauricien est en train de souffrir parce que la méthodologie qu’elle a adoptée n’apporte pas de solutions dans un moment pareil.

Q : Peut-on toujours se rattraper pour mettre en place un système rôdé pour éviter d’autres problèmes à l’avenir ?

Il n’est jamais trop tard, surtout si on est ouvert d’esprit et si l’on a la volonté de bien faire. Les enseignants, les enfants et les parents mauriciens ont toujours fait preuve de volonté pour s’adapter aux nouvelles situations pourvu qu’on les ‘empower’, qu’on communique avec eux, qu’on leur donne les moyens nécessaires et qu’on les motive de le faire. Mais encore une fois, je ne vois rien venir en ce sens.