Majoration du prix des carburants pour acheter des vaccins : Une ‘stratégie’ qui laisse planer des doutes

Le ministre des Finances, Renganaden Padayachi, devait annoncer une hausse de Rs 2 sur le prix de l’essence et du diesel pour financer l’achat des vaccins. Or, cette décision aura un impact non-négligeable sur les Mauriciens, non seulement les automobilistes mais aussi sur les chauffeurs de taxi et les utilisateurs du transport en commun. Et il apparait de plus en plus évident que le gouvernement aurait pu trouver d’autres alternatives pour financer l’achat de vaccins anticovid, comme nous allons vous le démontrer dans ce dossier. Bref, c’est là une stratégie qui présente plusieurs failles. Le gouvernement doit-il revoir sa décision ?

Le prix du carburant sera taxé de Rs 2 sur chaque litre de diesel et de l’essence à partir du 1er juillet 2021. Ce qui fait que l’essence se vendra à la pompe à Rs 50,40, tandis que le diesel  coûtera Rs 41,90.

Cette hausse avait été annoncée par le ministre des Finances, Renganaden Padayachi, durant la présentation budgétaire vendredi dernier 11 juin mesure prise, selon le ministre pour financier l’achat des vaccins anticovid, qui seront dans un premier temps gratuits pour tous.

C’est là une décision qui n’est pas vue d’un bon œil par la population et les opérateurs économiques, qui se demandent en effet si on n’aurait pas pu trouver d’autres moyens pour financer l’achat des vaccins, au lieu de puiser dans les poches des automobilistes.

Cette hausse survient après l’augmentation du prix de l’essence en avril dernier, qui était passé de Rs 44 à Rs 48.40 le litre (une hausse de Rs 4.40), alors que le prix du diesel était resté inchangé à Rs 35.

Selon la presse internationale, deux facteurs ont contribué à l’augmentation du prix de carburant à l’étranger. Premièrement, il y a une situation tendue entre les États-Unis et l’Iran sur le nucléaire. Deuxiemement, l’Arabie saoudite, le plus grand producteur de pétrole au monde, était prête à imposer un prix de USD 80 dollars le baril.

Sunil Dwarkasing : « Le gouvernement aurait pu utiliser d’autres moyens pour financer les vaccins »

Selon Sunil Dowarkasing, consultant environnemental pour l’ONG Greenpeace, le gouvernement aurait pu utiliser d’autres moyens pour financer les vaccins. Pourquoi puiser dans les poches des consommateurs ?

Qui paie et qui ne paie pas ? « Cette hausse de Rs 2 par litre d’essence ou de diesel serait-elle appliquée uniquement pour les transports terrestres, ou bien les transports aériens et les transports maritimes sont-ils aussi concernés par cette décision ? Les avions et les navires qui font escale sur le territoire mauricien vont-ils être surtaxés par les nouveaux prix de l’essence ou du diesel ? On cherche toujours réponse à cette question. On se demande pendant combien de temps cette mesure sera-t-elle en vigueur ? », souligne Sunil Dowarkasing.

Il devait aussi ajouter qu’il n’y a aucune cohérence dans les mesures qui ont été annoncées. Les vaccins ne sont pas gratuits car les consommateurs de l’essence et du diesel paieront et subventionneront l’achat des vaccins.

On aurait pu utiliser les fonds spéciaux et autres fonds extrabudgétaires.  D’après certains rapports, le solde au 30 juin 2021 indique une somme de 847 millions de roupies dans le « National Covid-19 Vaccination Program Fund ». Cette somme, qui se clôturera à Rs 612 millions en juin 2022, indique qu’il y aura donc assez d’argent pour acheter des vaccins pour une autre année.

La consommation du carburant

Le tableau ci-dessous (selon les calculations de Sunil Dowarkasing) présente la consommation du carburant par secteur en kilotonnes. On peut constater que les différents moyens de transport n’utilisent pas la même quantité de carburant.

AnnéeTransport terrestre Transport maritime Aviation Secteur manufacturier 
2019388 kt11 kt153 kt203 kt
Source : STC

Selon les chiffres avancés par lui pour Maurice :

De 2018 à 2019, la consommation du carburant pour les transports terrestres est passée de 368 kt à 388 kt (+ 5,4 %) ; pour le transport maritime, il y a eu une augmentation de 10 %, passant de 10 à 11 kt ; pour la consommation du carburant d’aviation, il y a eu une diminution de 163 kt à 153 kt (- 6,1 %). Quelque 203 kt (19,5%) ont été utilisés par le secteur manufacturier en 2019.

Quelles catégories seront prélevées ?

Selon le site web de la STC pour l’année 2019/2020, le pays a utilisé 100 000 tonnes d’essence, 121 000 tonnes de diesel, 50 000 tonnes de carburant pour le ravitaillement maritime et les machines industrielles, 130 000 tonnes de carburant pour les chaudières à vapeur et diesel et 135 000 tonnes de combustible pour les chaufferies industrielles.

En ce qui concerne les véhicules, fin juin 2020, il y avait 589 228 véhicules immatriculés à la National Land Transport Authority (NLTA). En avril 2021, le marché automobile mauricien a connu une croissance rapide et a presque atteint les niveaux d’avant la pandémie. En effet, 802 unités avaient été vendues en avril (+389 %). Au total, il y a environ 590 030 véhicules immatriculés en avril 2021. Nous pouvons supposer que 500 000 véhicules circulent en moyenne sur nos routes quotidiennement.

Le tableau ci-dessous élabore trois hypothèses en utilisant 500 000 véhicules comme référence.

ScénarioNb de litres utilisésRevenus générés  (par jour)Revenus générés  (par mois) Revenus générés  (par an) 
1 litres utilisés500,0001 million de roupies30 millions de roupies360 millions de roupies
2 litres utilisés1,000,000 2 millions de roupies60 millions de roupies720 millions de roupies
3 litres utilisés1,500,0003 millions de roupies90 millions de roupies1milliard & 80 millions de roupies
Source : STC

En supposant qu’un véhicule utilise 3 litres de carburant par jour (soit de l’essence soit du diesel), le pays générera un minimum de 1 milliard de roupies au bout d’un an, soit le double du montant nécessaire à l’achat de vaccins.

Pourquoi la taxe MID n’a-t-il pas été utilisée à la place pour acheter des vaccins ?

La commission Maurice Ile Durable (MID) avait été démantelée depuis que le MSM avait pris le pouvoir en 2014, mais le prélèvement MID existe toujours. Selon la réponse donnée à la question parlementaire B/850 le 10 juillet 2018, prélevée sur l’essence, cette taxe s’élevait à Rs 86 585 869, tandis que sur le diesel, elle s’élevait à Rs 89 883 699. Cumulé, le prélèvement MID a rapporté Rs 176 469 568.

Raffick Bahadoor : « Un impact nuisible sur les chauffeurs de taxi » 

Raffick Bahadoor, le président de la Taxi Proprietors Union, nous exprime son mécontentement par rapport à cette hausse.

Selon lui, ce sera difficile pour les consommateurs d’absorber cette hausse pendant plusieurs jours. Selon lui, arrivé à un moment, les gens ne voyageront plus par les taxis.

« Nous devons quand même travailler un minimum pour pouvoir gagner notre pain. Maintenant, nous devons travailler beaucoup pour  pouvoir gagner ce minimum », avance Raffick Bahadoor. « Déjà avec la pandémie, nous n’avons pas pu travailler, et maintenant avec cette hausse, les chauffeurs de taxis arrivent à peine à joindre les deux bouts. Si nous augmentons nos tarifs, cela va grandement affecter notre travail », devait-il lancer.

Il a déjà soumis une lettre au Premier ministre et au ministre des Finances par rapport à ce problème, et les taximen sont en attente d’une réponse.

Sunil Jeewoonarain : « Le prix du ticket d’autobus sera impacté par cette hausse »

Sunil Jeewoonarain, le secrétaire de la Mauritius Bus Owners Cooperative Federation, avance que cette décision sera néfaste dans tous les sens pour les opérateurs d’autobus, et pour le public en général.

Le prix du ticket d’autobus sera impacté par cette hausse. Si le prix du diesel augmentera par Rs 2, cela se répercutera sur le prix du ticket d’autobus. Selon lui, le gouvernement doit revoir sa stratégie.

Selon lui, les opérateurs d’autobus n’auront d’autre choix que d’augmenter le prix du ticket,  sinon ils courront à la faillite. Il avance que pendant le confinement, les opérateurs d’autobus ont souffert et qu’ils n’ont pas eu de soutien financier du gouvernement. Ils ont dû se débrouiller par eux-mêmes pour survivre.

Il souligne que lorsqu’il y a une hausse du prix du carburant, le gouvernement doit allouer des subsides aux opérateurs d’autobus individuels. Or, tous les opérateurs ne reçoivent pas cette allocation.

Il estime que dans les jours à venir, les passagers feront face à une hausse du prix du ticket d’autobus si le prix des carburants prend l’ascenseur. Il lance un appel au gouvernement de revoir cette décision et de ne pas ignorer les conséquences de cette hausse.

Bhim Sunassee : « Un impact qui n’est guère encourageant »

Selon le président de la Petroleum Retailer’s Association, Bhim Sunassee, cette hausse aura un grand impact sur la population, notamment les automobilistes mauriciens, vu qu’elle représente une augmentation du coût de la vie.