Malgré des fees de Rs 49 million : Aucun plan de redressement proposé par les administrateurs

Air Mauritius pas encore sorti de la zone de turbulence

À quel jeu joue Sattar Hajee Abdoula ? C’est la question qu’il convient de demander à la lumière du rapport présenté par les deux administrateurs d’Air Mauritius, nommément Sattar Hajee Abdoula lui-même et Arvindsingh Gokool ? Pour les 17 mois qu’ils ont assumé les responsabilités d’administrer la compagnie nationale d’aviation, ils ont empoché presque Rs 49 millions, sans qu’aucun plan de redressement ne soit proposé. Une situation dénoncée avec force par ceux qui ont suivi de près ce dossier. Pourtant, cela aurait dû faire partie intégrante de la mission des administrateurs. Comme cela se fait ailleurs dans le monde quand des compagnies aériennes se trouvent sous administration volontaire. Mais chez nous, certains semblent être atteints du virus « bez kas » sans qu’ils n’assument pleinement les responsabilités de la tâche qui leur est confiée. Pire, les administrateurs n’ont même pas diagnostiqué les problèmes qui ont mené au krach du paille-en-queue, puisque le rapport n’en fait pas état.

Les deux administrateurs tiennent principalement la Covid-19 responsable de la mauvaise performance de MK. Une explication qui ne tient pas la route. La pandémie a certes aggravé la situation, mais elle est loin d’être la seule cause qui fait Air Mauritius piquer du nez. Car la compagnie était, selon nos informations, techniquement insolvable avant que la Covid-19 ne pointe le bout de son nez. C’est pour cela que le fameux « Transformation Steering Commitee » avait été mis sur pied en janvier 2020 sous la présidence de Sherry Singh pour supposément remettre la compagnie d’aviation nationale sur les rails. Celle-ci avait déjà déraillé depuis décembre 2018, puisqu’elle avait affiché des pertes colossales de l’ordre de Rs 1, 2 milliard. Ce chiffre aurait atteint les Rs 2 milliards l’année suivante, soit en 2019, si un exercice que certains qualifient de « colmatage » n’avait pas été effectué dans le but de sauver les meubles.

C’est ainsi qu’en juin 2019, une assemblée spéciale avait été tenue le 10 juin, au moment même où le ministre des Finances prononçait son discours budgétaire, pour avaliser, trois décisions majeures, dont la vente des actions de MK dans le ‘Pointe Coton Resort Hotel’ à Rodrigues et la vente de 20% des actions à AML pour un montant de Rs 405 millions entre autres. Ce « colmatage » avait permis à Air Mauritius de réduire ses pertes, l’amenant à Rs 990 millions, annoncées en juillet 2019, comparées à la précédente perte de Rs 1, 2 milliard. Mais MK entamait déjà, à cette époque, une pente descendante à une vitesse vertigineuse. Sans que cela n’inquiète outre mesure la direction d’Air Mauritius qui a pris, en août de la même année, un engagement financier de l’ordre de 320 millions de dollars pour l’acquisition de deux avions A350-900. Un lourd fardeau pour une compagnie dont les finances étaient déjà au rouge. En janvier 2020, enter Sherry Singh avec son « Transformation Steering Committee ». Mais la pandémie et le premier confinement avaient chamboulé son plan de transformation, s’il en avait un ! Les pertes massives révélées durant cette période ayant contraint Air Mauritius de se mettre sous administration volontaire.

Fausses rassurances sur la solvabilité de MK

L’administrateur Sattar Hajee Abdoula ne pouvait être étranger à la situation délicate dans laquelle se trouvait Air Mauritius puisque c’est la compagnie Grant Thornton, dont il est le CEO, qui avait présenté cet exercice de « colmatage » du 10 juin 2019. En tant que « valuer », n’était-il pas de son devoir d’assurer la solidité financière des compagnies, principalement celle d’Air Mauritius, impliquées dans les transactions approuvées lors de cette assemblée générale spéciale tenue loin des regards inquisiteurs, l’attention de la population étant braquée sur le budget que présentait le gouvernement ? S’il avait rétabli les faits et les chiffres, la direction d’Air Mauritius n’aurait peut-être pas pu faire croire que le « working capital » de la compagnie était suffisant pour les douze prochains mois. Ce qui est d’ailleurs écrit noir sur blanc dans un rapport soumis par MK à SEM le 16 août 2019 dans le cadre de la transaction majeure que MK prévoyait d’entreprendre pour l’acquisition des deux Airbus au coût de 160 millions de dollars chacun.

« The working capital available to MK and its subsidiary companies (the MK Group) is sufficient to meet their day to day operations for a period of twelve (12) months from the date of this document … », peut-on y lire. Rien que de la poudre aux yeux. Car en dépit de ces rassurances, Air Mauritius s’est retrouvée insolvable six mois plus tard, plus précisément en décembre 2019.

Fabrice David : « Ki zot ine fer pendant un an ? »

Le député travailliste Fabrice David explique que selon les dispositions de l’Insolvency Act, un administrateur doit enquêter sur les affaires de la compagnie mise sous administration. Toutefois, les administrateurs d’Air Mauritius ont avoué dans leur rapport qu’ils n’ont procédé à aucun bilan, audit ou analyse des comptes de la compagnie d’aviation nationale et sur sa situation financière. « Qui zot ine fer pendant un an ? », s’interroge le député. En outre, selon lui, il y a des « incohérences totales » dans le rapport des administrateurs. Pour couronner le tout, il n’y a aucun plan de redressement ou de restructuration avec un nouveau ‘business model’.

Qui plus est, le député constate qu’il y a des dépenses qui ont été encourues alors que les administrateurs étaient là, avec beaucoup de zones d’ombre. Il exige que les administrateurs, ainsi que le gouvernement, fournissent tous les détails sur les ‘administration fees’ et sur la rémunération des administrateurs. Il explique que normalement, une fois le travail des administrateurs terminé, il devrait y avoir un nouveau conseil d’administration (‘Board of Directors’). « Le CEO nommé est un ancien conseiller du Bureau du Premier ministre. Ils n’ont pas compris comment une compagnie d’aviation internationale fonctionne. Air Mauritius a besoin d’un CEO fort, qui est redevable au niveau de l’aviation internationale », nous explique notre interlocuteur.

Il nous indique que les administrateurs ont vendu deux avions A319, au coût de 6 milliards de dollars US. Il y aussi deux autres avions A340 qui ont été vendus en pièces détachées, et que pendant deux ans, on pourra espérer collecter 350 000 dollars, selon notre interlocuteur. Il se demande si, au lieu de vendre ces avions, on n’aurait pas pu les faire voler et ainsi engranger des revenus. Fabrice David se dit très inquiet pour l’avenir d’Air Mauritius, surtout par rapport aux employés, menacés de licenciements.

Il s’insurge aussi que c’est à trois jours de la réouverture de nos frontières le 1er octobre 2021 que le « Watershed Meeting » se tient. « Nous rouvrons nos frontières au monde entier, et à toutes les compagnies d’aviation des autres pays alors que notre propre paille-en-queue est sous administration volontaire ». Le député David s’interroge sur l’image que nous projetons à la communauté internationale. Pour redresser Air Mauritius, Fabrice David demande un nouveau conseil d’administration avec un CEO qui a une compétence dans le domaine de l’aviation, qui est reconnu internationalement, et qui viendra de l’avant avec un véritable plan stratégique pour l’avenir de la compagnie.