Maltraitance dans les maisons de retraite : Une triste réalité

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De nos jours, de plus en plus de jeunes adultes mauriciens choisissent de laisser leurs parents dans des ‘homes’ au lieu de s’occuper d’eux à la maison. Une tendance qui prendra de l’ampleur avec l’industrialisation de la société et le vieillissement de la population mauricienne. Or, il y une véritable opacité sur la question si nos aines vivent dans des conditions humaines dans ces maisons de retraite.  Opacité car il n’y a pas d’inspectorat permanent de la Sécurité sociale qui effectue des inspections régulières dans ces homes. Les témoignages que nous avons recueillis pour la compilation de ce dossier indiquent qu’il est grand temps de lever le voile sur la maltraitance des personnes âgées dans les maisons de retraite.

 

Au lieu de laisser les parents, parfois malades, séniles ou grabataires, seuls à la maison, et alors que mari et femme sont obligés de travailler, les maisons de retraite (ou ‘homes’, comme ils sont mieux connus à Maurice) constituent souvent une solution commode et pratique.  En laissant les ainés dans ces maisons de retraite, ces derniers peuvent finir leurs vieux jours en compagnie d’autres personnes de leur âge.

Certaines personnes viennent déposer leurs parents âgés dans les maisons de retraite en voyant là un bon moyen de se débarrasser d’eux. D’autres le font par le manque de temps pour s’occuper de leurs ainés. Pour ces derniers, cela constitue une épreuve pénible que de se séparer de ses parents, ils sont néanmoins contraints de le faire par manque de temps, avec un travail qui accapare leur quotidien. Ensuite, il y a aussi l’aspect de l’intimité. Les jeunes couples veulent passer plus de moments intimes sans avoir à s’occuper de leurs vieux parents.

Toutefois, dans tous les cas de figure, les jeunes adultes croient que leurs parents seront choyés, gâtés, et dorlotés. Ou bien ils veulent y croire, et quelque part, ferment les yeux sur ce qu’il pourra advenir de leurs ainés. La question que nous abordons dans ce dossier : est-ce que les ainés laissés dans les maisons de retraite  vivent vraiment dans des bonnes conditions ?

Nous avons mené une petite enquête discrètement pour savoir dans quelles conditions nos ainés vivent dans les maisons de retraite. Certains témoignages sont troublants. Si toutes les maisons de retraite ne sont pas concernées, apparemment, il y aurait de nombreux ‘homes’ où les vieilles personnes ne coulent pas de jours paisibles mais subissent plutôt un calvaire.

Ce qui aggrave la situation, c’est le manque de transparence entourant toute cette question. Premièrement, il y a l’absence d’inspections régulières effectuées par les officiers de la Sécurité sociale. Deuxièmement, comme nous avons fait mention plus haut, certaines vieilles personnes sont quasiment abandonnées par leurs enfants, qui une fois débarrassés de ce bois mort, se soucient comme d’une guigne de ce qu’il peut bien advenir de leurs ainés. Troisièmement, les vieilles personnes sont sous la garde étroite de leurs ‘carers’ (bien que le terme ‘geôliers’ serait plus approprié dans certains cas).

Les types de ‘homes’ à Maurice

Il existe deux types de maisons de retraite pour les vieilles personnes à Maurice. Les ‘charitable homes’ sont celle qui sont gérées par le gouvernement alors que les ‘private homes’, comme leur nom l’indique, appartiennent à des privés.

Un officier du ministère de la Sécurité sociale nous indique qu’à ce jour, 27 ‘charitable homes’ sont enregistrés auprès du ministère, alors qu’environ 44 ‘private homes’ sont opérationnelles. Toutefois, le nombre des ‘private homes’ connaîtra certainement un accroissement avec le vieillissement de la population à Maurice.

Si l’État prend en charge les vieilles personnes qui sont admises dans les ‘charitable homes’, celles dans les ‘private homes’ ne reçoivent aucune aide du gouvernement. Ce sont ainsi les propriétaires de ces centres qui doivent leur fournir de la nourriture et de s’occuper de leur bien-être. Pour cela, bien souvent, ou presque dans la plupart des cas, les maisons de retraite privées engloutissent la pension de vieillesse que reçoivent leurs pensionnaires

 

Témoignages édifiants

Nous avons recueilli les témoignages d’un travailleur social qui a pu visiter de nombreuses ‘homes’, d’une employée, Lucie (prénom fictif), qui a travaillé dans plusieurs de ces ‘homes’, et de Jack (prénom fictif), un résident qui a connu un calvaire dans une home à Curepipe.

Ces pratiques d’un autre temps ont fait que Lucie a choisi de ne plus travailler dans ces ‘homes’. « C’est trop inhumain », nous dit-elle sans ambages. À la place, elle s’occupe des personnes âgées chez elle, où elle a aménagé un espace pour adoucir le sort des ainés. Elle déconseille ainsi aux enfants de quitter leurs parents dans les maisons de retraite, si d’autres alternatives sont possibles.

De son coté, Jack a dû s’enfuir de la maison de retraite où il espérait couler des jours paisibles pour aller vivre chez des proches. « Les pensionnaires qui habitent les maisons de retraite subissent un martyr au quotidien », nous dit Jack. « Les jeunes pensent que leurs parents sont bien traités mais la réalité est tout autre. »

Sous le couvert de l’anonymat, le travailleur social, qui est bien au courant de la situation, nous dit d’emblée que de nombreux pensionnaires ne vivent souvent pas dans de bonnes conditions, et cela au sein de nombreuses  maisons de retraite.

« Bien souvent, ils sont maltraités, et subissent même de la violence.  Ils vivent dans des conditions parfois inhumaines, sans ventilation, dans des chambres sombres. Ils ne peuvent raconter leur calvaire car ils sont toujours sous surveillance. Même si leurs proches leur rendent visite, les employés effectuent des rondes pour s’assurer qu’ils ne pipent mot quant à leur situation », nous dit-il.

Une nourriture inadéquate

Dans plusieurs maisons de retraite où il a travaillé, le travailleur social nous explique que les pensionnaires ont droit à un maigre petit déjeuner le matin, suivi d’un déjeuner à midi, toujours aussi famélique. Puis, le diner est servi à 17 heures pile. Après cela, les pensionnaires n’auront absolument rien à se mettre sous la dent jusqu’au lendemain matin.

Selon Jack, les pensionnaires sont souvent victimes de malnutrition. Il nous fait le récit du calvaire qu’il avait lui-même subi au quotidien : « Vu que nous sommes des vieilles personnes, on ne nous offre pas une nourriture adéquate. Par exemple, le riz n’est jamais cuit au point, et reste immangeable la plupart du temps. Les gens ne voudront pas y croire s’ils savaient la qualité de la nourriture qu’on nous offre », nous dit-il.

La violence est omniprésente

Selon Jack, les pensionnaires sont souvent forcés à effectuer des travaux de ménage. Or, ils sont souvent maltraités, voire frappés s’ils refusent d’effectuer ces travaux. « Il y a des fois où la punition est bien plus sévère », nous dit-il. Il nous décrit des cas où des vieilles personnes ont été ainsi ligotées à des chaises et ont dû passer la journée ainsi. « Alors qu’elles devraient se reposer à cet âge, elles sont contraintes à se casser les reins pour alimenter les profits des gérants », nous dit Jack.

De son côté, Lucie nous affirme que dans certaines ‘homes’ où elle a travaillé, « Les résidents reçoivent souvent une bonne raclée à coups de savate ou avec un bâton. »

 

« L’hygiène est presqu’inexistante dans certaines maisons de retraite »

Selon Jack, les maladies se répandent souvent dans les ‘homes’. Comme certaines personnes souffrent de la grattelle, leurs vêtements devraient être lavés séparément. Or, ce n’est pas le cas. Ceux en charge de la lessive mélangent tous les vêtements. Ce qui fait que tous les résidents commencent à attraper les mêmes maladies.

De son côté, Lucie parle sur la literie. Elle nous dit que les personnes âgées ne peuvent même pas profiter d’un sommeil réparateur car ce n’est pas un matelas qui leur est offert pour dormir, mais plutôt un morceau d’éponge sale recouvert avec des draps. Qui plus est, comme les rats envahissent souvent ces lieux, le morceau d’éponge devient de la nourriture pour les rongeurs ! « L’hygiène est presqu’inexistante dans certaines maisons de retraite », nous dit notre interlocutrice.

Toujours selon Lucie, les vieilles personnes sont souvent forcées à dormir à l’aide des somnifères. « Les préposés qui sont responsables des médicaments donnent aux vieilles personnes récalcitrantes des somnifères pour que ces dernières retournent se coucher. Or, ces médicaments peuvent avoir un effet sur leur sante ». Mais c’est là une pratique courante », déclare Lucie.

 

Absence de suivi médical

Le travailleur social nous indique que dans les maisons de retraite où il a travaillé, il n’y a aucun suivi médical régulier des pensionnaires, alors même que les résidents souffrent de plusieurs maladies gériatriques. Les visites des médecins sont quasiment inexistantes dans plusieurs ‘homes’. Il nous décrit des cas où pour prendre leurs médicaments, les personnes âgées doivent boire de l’eau venant directement du robinet, ce qui les rend parfois plus malades.

 

Les gérants ne sont souvent pas qualifiés

A Maurice, apparemment, on prend n’importe qui pour s’occuper des personnes âgées. Aucune formation n’est dispensée, et l’absence d’un système d’accréditation des gérants et de leurs préposés est au cœur du problème.

Jack nous dit pour sa part que l’absence de personnes compétentes et bien formées se fait sentir. « Zot kumadir ban travailleurs marrons. Zot travail zis pou enn ti cash mais zot pas tro conn gère nou bien », déplore-t-il. Il nous décrit plusieurs cas où les vêtements et l’argent des résidents ont été volés par les les employés des maisons de retraits.