Médias : Oui à révision des salaires Pas au prix d’une liberté massacrée

ANALYSE

Nous ne l’avons pas vu venir aussi vite que cela, bien que nous eussions eu vent qu’une loi était en préparation concernant la presse. Ainsi donc, après la PRB accordée aux fonctionnaires et la hausse promise – mais pas encore concrétisée – de la pension du troisième âge, les conditions des salaires et d’emplois des professionnels des médias seront aussi revues. L’annonce a été faite par le ministre du Travail, Soodesh Callychurn, vendredi. Sans doute pour que le ‘feel good factor’ atteigne enfin les journalistes, dans l’espoir qu’ils se montreraient plus indulgents envers le pouvoir. Mais le gouvernement risque sans doute de se heurter à un mur s’il pense que les journalistes courberont l’échine et agiront comme des ‘boot lickers’, d’autant que le ‘timing’ de cette révision est des plus suspects.

Objectivement parlant, le ‘Newspapers and Periodicals Employees (Remuneration) Regulations’ a fait son temps. Revu pour la dernière fois en 2001, il fallait que ces règlements soient mis à jour plus de deux décennies plus tard, au vu du coût de la vie et des nouvelles exigences du métier journalistique, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux qui a grandement chamboulé le paysage et les conditions de travail médiatiques. La presse a toujours été considérée comme un service essentiel, dépassant donc le cadre du travail conventionnel de 9h à 4h et exigeant souvent une présence sur le terrain même en cas d’intempéries. Mais ces huit à dix dernières années ont vu un changement radical dans le traitement des informations, provoqué essentiellement par la révolution des réseaux sociaux.

Dès lors, l’urgence des médias de fournir des informations instantanées pour se crédibiliser et se fidéliser auprès des lecteurs et des followers avides d’informations gratuites accentue la pression sur les professionnels du métier, en sus des ‘deadlines’ à respecter. Outre la rédaction des articles pour le journal ou pour les nouvelles à la radio, les journalistes sont aussi appelés maintenant à alimenter les websites et les réseaux sociaux, doublant ainsi leur volume de travail. Le ‘live coverage’ de certains événements ne sont pas toujours sans heurts pour des journalistes et photographes qui doivent souvent s’exposer à des dangers ou faire face à des hostilités durant l’exercice de leurs fonctions.

Pas plus tard que la semaine dernière d’ailleurs, notre photographe a vu son téléphone portable être endommagé par une femme qui ne voulait pas que les journalistes et photographes présents prennent des images alors qu’il ne faisait qu’assister à une opération menée par des services de secours pour retrouver le corps d’une dame noyée. Outre des menaces physiques donc, il y a aussi eu des dégâts matériels. Autant dire que les conditions de travail ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans de cela. Une révision des salaires et des autres conditions s’imposait évidemment. Le gouvernement ne nous fait donc aucune faveur. Sauf que, connaissant le fonctionnement du gouvernement en place, nous sommes convaincus qu’il a d’autres desseins plus sinistres en tête.

En effet, les nouvelles conditions que comptent introduire le ministre Callychurn auront de lourdes conséquences sur le coût de production qui, après les augmentations vertigineuses du prix du papier et d’autres, montera encore en flèche, d’autant qu’il sera aussi impacté par la hausse du prix de l’électricité depuis le 1er février. Les médias, dont certains sont lourdement endettés, pourront-ils faire face à ce nouveau coup de massue, surtout dans un contexte où la vente des journaux a drastiquement baissé dû à la disponibilité de l’information gratuite en ligne et à la circulation gratuite et jusqu’ici incontrôlable des journaux électroniques ainsi que la chute des revenus provenant des publicités ?

Le gouvernement n’est pas sans savoir que la presse passe par une période extrêmement difficile Certains journaux, comme ‘Sunday Times’, n’opère plus qu’électroniquement depuis plusieurs mois, alors que d’autres ont été contraints à revoir leur pagination à la baisse et leur prix à la hausse. Raison pour laquelle la démarche subite du gouvernement de Pravind Jugnauth de revoir les conditions des employés des médias est suspicieuse. Vise-t-il à forcer les patrons de presse à se plier en quatre pour lui plaire afin d’obtenir des publicités gouvernementales, utilisées comme un outil entre les mains du pouvoir, afin de leur permettre de garder la tête hors de l’eau, tout en restant conforme à la loi ? Est-ce une façon pour le gouvernement de tirer les ficelles de la presse comme bon lui semble ? Ces questions se posent, car le régime actuel ne fait rien pour rien.

D’ailleurs, qu’ils jouissent de meilleures conditions salariales – qui devraient relever de leurs dus et non pas d’une faveur – ou pas, les professionnels des médias, du moins la grande majorité d’entre eux, ne sont pas à vendre. Nous en sommes convaincus. Car ils sont quotidiennement exposés aux magouilles et scandales du pouvoir, à la mauvaise gouvernance et aux injustices commises sous ce gouvernement. Ils n’oublieront pas comment certains de leurs confrères ont été menacés, intimidés, insultés et persécutés par ce gouvernement. On a vu, durant ces deux mandats du MSM, plus de journalistes défiler aux Casernes centrales que ceux au gouvernement qu’ils ont dénoncé, la plupart du temps avec preuves à l’appui.

Pour que nous, les professionnels des médias, puissions d’ailleurs travailler en toute sérénité et en toute indépendance, il faut que le gouvernement puisse nous garantir la liberté d’expression et d’information, contrairement aux lois réfractaires et anti-démocratiques qu’il n’a de cesse d’introduire depuis qu’il est au pouvoir, comme l’IBA et l’ICT Acts, entre autres. Il faut aussi que nous puissions travailler sans que des membres et des proches du régime ne nous insultent, menacent et intimident, comme c’est courant sous le règne du MSM de Pravind Jugnauth. Il nous faut aussi un meilleur cadre légal où, par exemple, la diffamation criminelle n’est plus considérée comme un délit de presse, comme c’est le cas ailleurs dans le monde.

Il nous faut également un ‘Press Council’ libre et indépendant à la place du ‘gimmick’ qu’est le ‘Media Trust’. Il nous faut aussi l’introduction d’une ‘Freedom of Information Act’ – promise par le MSM mais reléguée aux oubliettes – afin d’avoir accès aux informations que veut nous cacher le gouvernement en place. Il nous faut que la télévision privée soit introduite. Que le gouvernement ne cherche surtout pas à nous berner. Car pour que nous puissions fonctionner librement et en toute indépendance, sans faveur ni frayeur, il nous faut beaucoup plus que de l’argent.

Zahirah RADHA