[Moustass Leaks] Un État dans l’État : Les dessous d’un système d’influence occulte

La saison 10 des ‘Missie Moustass Leaks’ met en lumière l’ampleur présumée de l’influence exercée par Kobita Jugnauth, épouse du Premier ministre sortant, sur les rouages de l’État. Ces enregistrements soulèvent des questions fondamentales sur la gouvernance et la transparence des institutions démocratiques de l’île.

Les écoutes téléphoniques révèlent un système clientéliste de contrôle des nominations dans plusieurs institutions clés de l’État mauricien. Sans mandat officiel ni légitimité démocratique, Lakwizinn apparaît comme centrale dans le processus de sélection des candidats à divers postes stratégiques, notamment au sein de la Local Government Services Commission et de la Very Important Person Security Unit (VIPSU). Du moins, c’est ce que révèlent les Moustass Leaks. Les candidats seraient systématiquement évalués en fonction de leur affiliation politique. Les sympathisants du MSM bénéficieraient d›un traitement préférentiel, tandis que les personnes suspectées de liens avec l’opposition seraient écartées, indépendamment de leurs compétences.

Tout cela semble confirmer ce que nous révélions déjà dans notre édition du 27 octobre dernier Sunday Times concernant le système d’ingérence alléguée établi par l’épouse du Premier ministre dans les nominations publiques. En effet, ces bandes sonores, qui documentent l’implication directe de Kobita Jugnauth dans les processus de sélection au sein de diverses institutions, font écho à un schéma plus large d’influence occulte, illustré notamment par les révélations de Sherry Singh sur la purge politique menée à Air Mauritius. L’ancien proche des Jugnauth a en effet fourni une liste manuscrite, qui aurait été annotée par Kobita Jugnauth elle-même, et qui classifierait les employés de la compagnie nationale selon leurs affiliations politiques présumées, aboutissant à des licenciements ciblés sous couvert d’une restructuration. Ces nouvelles révélations démontrent l’ampleur d’un système où “Lakwizinn” s’est arrogé un pouvoir décisionnel considérable, court-circuitant les processus démocratiques établis.

Les conversations dévoilées soulèvent également des préoccupations concernant l’importance accordée aux appartenances communautaires dans la sélection des candidats. Le cas de la VIPSU, unité chargée de la protection des personnalités importantes, en est un exemple significatif. Kobita Jugnauth, parait-il, aurait écarté certains candidats en raison de leur appartenance ethnique, témoignant ainsi d’une politique de nominations guidée par des critères identitaires et non par les compétences.

Des questions d’éthique

La révélation de ces enregistrements pose de sérieuses questions éthiques. Les nominations et promotions au sein de l’État, censées refléter une politique transparente et équitable, apparaissent ici comme contrôlées par une élite restreinte, Lakwizinn, qui oriente les décisions en fonction de ses intérêts. Cette mainmise soulève des inquiétudes quant au respect des principes de bonne gouvernance et de séparation des pouvoirs dans un pays démocratique.

L’implication directe alléguée d’une figure non-élue comme Kobita Jugnauth dans les affaires d’État remet également en question le rôle des conseillers officiels et des instances de régulation. La transparence et la responsabilité, principes essentiels de toute administration publique, semblent ainsi compromises par cette influence officieuse qui échappe aux contrôles habituels.

A noter que cette ingérence présumée rappelle notamment le scandale qui a secoué la Corée du Sud en 2016. L’affaire Choi Soon-sil avait alors révélé comment une confidente de la présidente Park Geun-hye, sans mandat officiel, influençait les décisions gouvernementales et les nominations. Ce scandale avait conduit à des manifestations massives et ultimement à la destitution de la présidente Park Geun-hye en 2017, illustrant les conséquences potentielles de l’influence occulte de personnes non élues sur les institutions démocratiques.

Incidence diplomatique

Après la fuite d’une conversation impliquant la Haute Commissaire britannique à Maurice, Charlotte Pierre, des enregistrements attribués à Kobita Jugnauth révèlent des propos cinglants envers Nandini Singla, la Haute Commissaire de l’Inde. Ces extraits laissent entrevoir une forte exaspération attribuée à l’épouse du Premier ministre sortant envers la diplomate indienne, particulièrement agacée par sa rencontre avec l’opposant Navin Ramgoolam.

Selon les enregistrements, Kobita Jugnauth aurait également été irritée par une remarque de Sooroojdev Phokeer la comparant physiquement à la Haute Commissaire, une observation qu’elle aurait perçue comme offensante. « Mari vilain sa fam la », aurait-elle dit à son interlocutrice.

Dans une conversation présumée avec Anooj Ramsurrun, directeur de la MBC, Kobita Jugnauth ordonne d’éviter toute couverture médiatique mettant en avant Nandini Singla lors d’un événement officiel. Elle insiste pour que la diplomate indienne soit « ignorée », manifestant ainsi sa volonté de minimiser sa visibilité.

Les propos désobligeants attribués à Kobita Jugnauth envers la Haute Commissaire indienne pourraient créer un malaise diplomatique avec l’Inde, un partenaire stratégique de Maurice.