Navin Ramgoolam s’oppose à une politisation du dossier et réclame des consultations avec l’opposition parlementaire

Chagos : « Surpris » par la déclaration de Philippe Sands

Les propos de Philippe Sands, avocat britannique qui défend Maurice sur le dossier Chagos depuis 2010, ont pris l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam de court. Cela parce que l’avocat, également auteur du livre « The last colony : A Tale of exile, justice and Britain’s colonial legacy », a soutenu que « c’est lui (ndlr : SAJ) qui nous a ordonné de trouver un moyen d’aller de l’avant devant la Cour International de Justice (CIJ) alors qu’en 2010, nous avions déjà décidé que c’était impossible ». Cette déclaration, parue dans l’Express du lundi 16 janvier 2023, n’ont pas été digérés par le Dr Navin Ramgoolam qui a décidé de mettre les points sur les i.

« La question d’un recours à la CIJ avait été évoqué au cours des discussions que j’ai eues en 2010. Cette année-là, mon gouvernement avait pris la décision de trouver une solution à la question chagossienne par voie judicaire, vu la mauvaise foi des Britanniques, qui, malgré l’assurance que m’avait donnée le Premier ministre Gordon Brown à l’effet que le Royaume Uni n’irait pas de l’avant avec l’établissement d’un ‘Marine Protected Area’ autour des Chagos, ont quand même déclaré un MPA en avril 2010. Nous avons donc logé dans un premier temps, en décembre 2010, une contestation de la déclaration britannique devant un tribunal d’arbitrage institué sous la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer », rappelle l’ancien Premier ministre travailliste.

Le Dr Ramgoolam souligne ainsi que c’est son gouvernement qui avait non seulment fait appel à Philippe Sands, mais avait aussi, pour la toute première fois, chargé un spécialiste et un haut cadre des Affaires étrangères à cordonner le dossier Chagos. « Le gouvernement avait retenu les services d’un panel d’avocats, dirigé par Me Philippe Sands, et ayant une grande expérience des contentieux internationaux. J’ai également proposé à un spécialiste du droit international, Me Milan Meetarbhan, d’agir comme notre ambassadeur aux Nations Unies et j’ai demandé qu’un haut cadre du ministère des Affaires étrangères soit détaché auprès du PMO afin de coordonner tout le dossier Chagos. Malgré le fait que ce dossier avait été une des priorités du gouvernement mauricien pendant des décennies, c’était la première fois qu’un fonctionnaire de haut niveau était chargé de s’occuper à plein temps de tout ce qui touche à la question chagossienne », explique Navin Ramgoolam.

L’ancien Premier ministre rappelle aussi toutes les actions entreprises par son gouvernement sur le dossier Chagos. « En Janvier 2011, le gouvernement mauricien a proposé à l’Union Africaine d’adopter une résolution soutenant la souveraineté mauricienne sur les Chagos ainsi que toute démarche entreprise sur cette question au sein des Nations Unies par l’Etat mauricien. Cette résolution fut adoptée au sommet de l’UA à Addis. Il est clair que la proposition mauricienne qui mentionnait spécifiquement le soutien aux actions entreprises à l’ONU concernait une éventuelle résolution devant l’assemblée générale que nous envisagions déjà. Dès sa prise de fonction en janvier 2011, le nouvel ambassadeur mauricien à l’ONU avait commencé une campagne de sensibilisation par rapport à une éventuelle demande à l’assemblée générale. Il a eu plusieurs rencontres avec des ambassadeurs à New York et en particulier ceux du groupe africain ainsi que les représentants des îles du Pacifique et des Caraïbes pour les sensibiliser à la question chagossienne.

Il a également eu des rencontres avec les officiers du Secrétariat de l’ONU concernant les modalités régissant l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée générale, d’une résolution demandant l’avis consultatif de la CIJ », précise-t-il. Ce qui a permis au gouvernement mauricien « d’obtenir le soutien énergique du Président de l’assemblée générale qui était disposé à fast-track la résolution », selon le Dr Ramgoolam.

« Entretemps, l’avis de nos conseillers juridiques a aussi été recherché. La question a été discutée à plusieurs reprises et à un certain moment, il a été décidé que James Crawford, un éminent membre du panel d’avocats (Professeur à Cambridge et qui devait par la suite être nommé juge à la CIJ), et l’ambassadeur Meetarbhan travailleront sur la rédaction d’un projet de résolution de l’assemblée générale. On avait déjà un premier projet de résolution quand le gouvernement avait décidé, sur l’avis de nos avocats, de suspendre les initiatives à l’assemblée générale afin de ne pas gêner les travaux du tribunal d’arbitrage qui étaient en bonne voie », poursuit Navin Ramgoolam.

Ces démarches expliquent les intentions de son gouvernement d’aller devant la CIJ, selon Navin Ramgoolam. « Il était donc clair qu’il y avait déjà une décision sur le recours à l’assemblée générale pour demander un avis consultatif de la CIJ après la décision finale du tribunal d’arbitrage sur le droit de la mer. Cette décision fut rendue en mars 2015 et le nouveau gouvernement a poursuivi la stratégie adoptée déjà depuis 2010 par mon gouvernement et a repris les efforts en vue d’obtenir l’accord de l’assemblée générale pour demander un avis consultatif de la CIJ, d’autant plus que la décision du tribunal nous était favorable », poursuit-il.

Navin Ramgoolam réfute ainsi les propos de Philippe Sands. « Quand le Prof. Sands vient dire que nos avocats nous avaient dit dès 2010 que le recours à la CIJ était « impossible » et que c’est seulement en 2015 que le PM lui a demandé de trouver un moyen d’aller devant la CIJ, cela est inexact ». Et d’ajouter qu’il « est vrai que quand nous avions discuté de ce recours bien avant 2015, nos conseillers nous avaient dit que ce serait « difficile » en raison de la composition de la Cour. Mais au niveau du gouvernement mauricien, ce recours faisait partie de la stratégie adoptée en 2010, il y avait déjà un début de la campagne pour obtenir le soutien nécessaire pour permettre un tel recours. Si cette campagne avait été suspendue afin de ne pas porter préjudice au déroulement de l’action entreprise devant le tribunal d’arbitrage, il était manifestement clair que la prochaine étape après la conclusion de l’arbitrage serait la demande d’une résolution de l’AG cherchant l’avis consultatif de la CIJ », souligne-t-il.

Navin Ramgoolam dénonce, dans la même foulée, toute tentative de politiser ce dossier. « À un moment où l’État mauricien entame des négociations sur la reconnaissance de la souveraineté mauricienne sur les Chagos, un consensus national sur la souveraineté mauricienne est plus que jamais nécessaire. Il faut éviter qu’il y ait des déclarations de part et d’autre qui créent des controverses inutiles et divisives qui menacent ce consensus. Dans la conjoncture actuelle, Il ne faut pas politiser ce débat ou en faire une question partisane », dit-il. Il va même encore plus loin et réclame des consultations avec les partis de l’opposition parlementaire. « Je demande que dans le cadre des négociations sur le Chagos, le gouvernement consulte les partis politiques représentés au Parlement et les tient régulièrement au courant des développements afin de favoriser un élan national sur une question d’intérêt national », conclut le Dr Navin Ramgoolam.