Nominations des proches de Lakwizinn à la SBM : Rishikesh Hurdoyal, la preuve que le népotisme et le secteur bancaire ne font pas bon ménage

La nomination du frère du ministre de la Fonction publique, Rishikesh Hurdoyal, continue de faire des mécontents. Pas seulement à la ‘Mauritius Shipping Corporation Ltd’ (MSCL) où il a récemment été nommé comme chairman, mais aussi dans le secteur bancaire bien qu’il ait déjà été éjecté de la SBM où il avait précédemment été nommé. Certains estiment qu’il n’aurait jamais dû bénéficier d’une nouvelle nomination étant donné que sa responsabilité serait hautement engagée dans le prêt accordé au milliardaire indien B.R. Shetty. En effet, Rishikesh Hurdoyal faisait partie du ‘Board of Credit Committee’ de la State Bank of Mauritius et avait été l’un des trois directeurs indépendants à avoir approuvé ce loan qui s’est, au final, révélé être catastrophique pour la SBM Holdings Ltd.

Rien que pour l’année 2019, Rishikesh Hurdoyal a perçu des honoraires totalisant Rs 1, 310, 000 de la SBM. C’est ce que révèle le dernier rapport annuel de cette institution publié en juillet 2020. Selon le même rapport, il ressort que le frère du ministre Vikram Hurdoyal siégeait également sur le ‘Risk Management Committee’. Ce sont, en outre, des postes qui devaient logiquement être occupés par des professionnels du secteur bancaire ou des finances afin d’assurer la bonne performance du groupe. Or, Rishikesh Hurdoyal est un avocat d’affaires. Ce qui ne le rend pas forcément qualifié pour occuper les fauteuils dans lesquels il avait été propulsé à la SBM Tower. Les seuls critères qui l’ont rendu éligible pour siéger sur ses deux comités sont sa proximité avec le Premier ministre et ses liens de parenté avec le ministre de la Fonction publique. Le résultat a finalement été dévastateur pour la seconde plus importante banque commerciale du pays.

Rishikesh Hurdoyal sert d’ailleurs d’exemple à ceux qui veulent à tout prix faire comprendre au Premier ministre que des nominés inaptes et inappropriés ne doivent pas être imposés à la SBM Tower. Ils dénoncent, dans la même foulée, les récentes nominations à la tête de la SBM Holdings Ltd. Ces nouveaux venus  tombent dans la même catégorie que Rishikesh Hurdoyal et ne pourraient assurer de faire mieux que ce dernier. D’ailleurs, les Arouf, Jhungeer et consorts sont des « political exposed persons » (PEPs) et ne peuvent pas être définis comme directeurs indépendants, surtout que des cas de conflit d’intérêts peuvent surgir. Jusqu’à présent cependant, Pravind Jugnauth s’est montré peu enclin à vouloir changer cet état de choses. Ce qui ne fait qu’exacerber la tension qui règne, certains craignant même un éventuel naufrage de cette importante institution bancaire…

 

 


Questions à…

Sudhir Sesungkur, ancien ministre des Services financiers 

 « Un relâchement dans la supervision de notre système bancaire »

 

Q : L’ingérence politique à la SBM est vivement dénoncée par des professionnels du secteur bancaire.  Cette situation vous interpelle-t-il ?

Certainement ! Regardez où l’ingérence politique a mené un fleuron comme l’Air Mauritius.  La SBM a perdu plus de Rs 6.6 milliards en 24 mois ! Tandis que des Mauriciens éprouvent d’énormes difficultés à avoir un emprunt pour des sommes nettement inférieures, il y en a d’autres qui bénéficient des prêts par milliards.

Les membres du « credit committee », dont fait partie M. R. Hurdoyal, doivent assumer le tort immense qu’ils ont causé à la Banque. Et au lieu de les sanctionner, ces gens sont récompensés par les décideurs. C’est de la pure provocation. Il n’est un secret pour personne que cette situation a créé une panique parmi les clients ainsi que des employés. Il y a des centaines de milliers de gens qui ont leurs économies dans cette banque, d’autres ont investi dans ses titres alors que sa valeur a fortement chuté.

Une banque doit être au-dessus de tout soupçon. Tout comme les personnes qui la dirigent.  Le public s’attend à ce que leur argent soit en de bonnes mains et en sécurité.  Il faut souligner que le métier d’une banque est hautement technique et requière une connaissance approfondie de la finance et de l’économie. Sous la Section 46 de la Banking Act 2004, les administrateurs doivent être « fit and proper » pour ce job. Or, je constate que la plupart des membres du conseil d’administration n’ont pas la compétence et l’expérience nécessaires pour diriger une banque de cette taille.

 

Q: N’est-ce pas le rôle de la BoM d’intervenir pour assurer qu’il n’y a pas de violation des règlements ou de la loi ?

Je trouve qu’il y a un comme un relâchement dans la supervision de notre secteur bancaire.  Non seulement y a-t-il une nette augmentation de la perte liée au ‘Non-Performing Assets’ (NPA), mais il y a aussi la faillite de banques, Banyantree et Century étant les dernières en date.  Il y a une baisse dans le niveau des services alors que les coûts (‘charges’ et ‘commissions’) augmentent en flèche. Nous notons aussi une recrudescence des cas de fraudes électroniques (hacking, phishing etc).  Des clients sont également embêtés inutilement par le système de MCIB.  Je me demande ce que fait la BoM.

Normalement, la banque centrale exerce une supervision du secteur bancaire notamment pour s’assurer de l’efficacité du dispositif de gouvernance et du contrôle interne, la solidité de la situation financière, et l’efficacité du système de gestion des risques. Le naufrage bancaire de la Royal Bank of Scotland et récemment la faillite de la Yes Bank en Inde, doivent être toujours présent dans la mémoire gens.  Ces banques qui ont échoué ont mis en péril les épargnes de leurs clients.  Au niveau local, qui ne se souvient pas de la faillite de la Delphis Bank ou de la fermeture de la Bramer Bank et la panique des déposants ?  L’impact de la faillite d’une banque pourrait être très dur. Un laisser-aller peut nous coûter cher si notre système financier se déstabilise soudainement.

Les banques centrales sont en principe les gardiennes de la stabilité du système bancaire et selon l’article 5 (b) de la ‘Bank of Mauritius Act 2004’, la BoM a la responsabilité de règlementer et de superviser ce secteur afin de maintenir la confiance du public.  Depuis quelque temps, la Banque de Maurice (BoM) est devenue méconnaissable. Cette institution de notre pays, qui était jadis très respectée pour son professionnalisme, sa rigueur et son indépendance, est très critiquée pour ses mauvaises décisions en série, les paiements de dividendes, le prêt de Rs 60 milliards, la dilapidation de nos réserves, la création de la MIC, etc.  Alors que le FMI exige que les banques centrales opèrent en toute indépendance et maintiennent leur crédibilité, la BoM est, elle, devenue comme un département du ministère des Finances et se préoccupe davantage pour trouver de l’argent pour financer les largesses du gouvernement.

 

Q: Que proposez-vous pour remédier à cette situation ?

Nous constatons, de plus en plus un dysfonctionnement au sommet de l’État et une tendance du PMO à tout contrôler, soit à travers des comités présidés par le Premier ministre lui-même ou à travers la nomination des personnes qui lui sont proches sur des conseils d’administration, tout en faisant fi aux règles élémentaires de la bonne gouvernance. Lakwizinn élargit ses tentacules et veut tout accaparer. De ce fait, les institutions ne fonctionnent plus en toute indépendance.

Or, il est impératif que les institutions importantes du pays soient indépendantes.  Leur réputation et leur crédibilité sont deux valeurs précieuses qu’il faut préserver à tout prix. Il faut également que des gens compétents et expérimentés soient nommés,  et non pas les copains ou agents politiques, car la mauvaise gouvernance peut nuire.

Si Maurice se trouve, aujourd’hui, sur la liste noire c’est parce que l’UE a des doutes sur l’efficacité et le fonctionnement de nos institutions clés, dont la FIU, la Police et l’ICAC, entre autres. Les institutions comme la BoM et la FSC sont extrêmement importantes pour le développement de notre secteur financier et doivent être au-dessus de tout soupçon. Notre système doit être conforme aux règles internationales en matière de la bonne gouvernance et de la transparence.  La gouvernance devrait être un aiguillon de haute performance, un souffle d’énergie ; elle doit contribuer à la création de valeur durable.  Car nous ne devons pas oublier que les institutions régulatrices internationales nous suivent de près.