À Maurice, les prestations sociales existent depuis assez longtemps. Le gouvernement fournit ainsi une assistance, financière ou autre, aux individus et aux ménages à faible revenu. Le Welfare State à la mauricienne, bien que ne pouvant rivaliser avec la sécurité sociale des pays européens, offre plusieurs types de prestations sociales. De temps à autre, nous suscitons l’admiration passagère des observateurs étrangers, qu’un si petit pays a les ressources nécessaires pour une sécurité sociale, qui, malgré bien des dysfonctionnements, arrive quand même à soulager une partie de la misère.

Gérées par le ministère de la Sécurité sociale, de la Solidarité nationale et des Institutions réformatrices, les prestations sociales sont légion à Maurice. Ces aides s’alignent sous les catégories suivantes: Non-Contributory Benefits, Contributory Benefits, Industrial Injury Benefits, et le Social Aid, qui prennent différentes formes.

Les prestations sociales de base

Les prestations sociales de base sont non-contributives et incluent la pension de retraite, la pension de veuve, la pension d’orphelin et la pension pour les personnes invalides. Ces pensions, dites universelles, c’est-à-dire qu’elles sont payables à toute personne qui est éligible a priori. Les prestations non-contributives constituent la base même de notre système de sécurité sociale. La logique sur laquelle repose ce système : même si une personne n’a pas contribué, il a droit à ces aides sur une base purement humanitaire et altruiste.

Le montant de ces pensions a toujours été considéré comme modique et permettait difficilement au bénéficiaire de pouvoir subvenir à ses besoins les plus élémentaires.

L’augmentation du montant des prestations de base a été l’une des mesures phares du l’ex gouvernement Lepep, un mois seulement après son installation en décembre 2014. Ainsi, les pensions de retraite, la pension de veuve et la pension d’invalidité ont été augmentées pour atteindre Rs 5 000, comme indiqué par le tableau ci-dessous.

 

Ancien montant

 

Nouveau montant

 

Augmentation

 

Pension de retraite

 

Rs 3 623

 

Rs 5 000

 

Rs 1 377

 

Pension de veuve

 

Rs 3 267

 

Rs 5 000

 

Rs 1 733

 

Pension d’invalidité

 

Rs 3 267

 

Rs 5 000

 

Rs 1 733

 

Ces derniers temps, l’universalité de ces pensions  a été remise en question, notamment si le bénéficiaire jouit d’une autre source de revenus. La pension de vieillesse a été la plus touchée : pourquoi payer une pension à une personne âgée qui possède d’autres sources de revenus, comme un plan de retraite privé, voire un important capital comme une lump sum octroyée par une firme privée ? Le débat sur le ciblage revient en force.

Il ne faut pas oublier que les pensions de base, surtout avec le vieillissement de la population mauricienne,  peuvent constituer un fardeau pour l’État, qui a une obligation légale de les payer. L’âge de la retraite sera ainsi probablement étendu. Ainsi, les retraités toucheraient leur pension à l’âge de 65 ans et non plus à 60 ans. Une annonce de Pravind Jugnauth qui ravive l’inquiétude des retraités.

  • Martine, une retraitée de 60 ans, ne dépend que sur sa pension de vieillesse, qu’elle affirme est loin d’être suffisante pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins. « Nou bizin survivre nou aussi. Kan ou gagn 60 ans, pas tou dimoune ki encore ena so la santé. C’est ene l’âge kot nou bizin repos », nous dit-elle. Elle dit être pleine d’inquiétude quant à une éventuelle augmentation de l’âge de la retraite.

Le ciblage : le débat est lancé

Le ciblage est à nouveau sur le tapis. Le ciblage désigne la remise en question des pensions dites universelles. Ainsi, sous un système dit ciblé, seules les personnes qui auraient réellement besoin d’une pension pour pouvoir subvenir à leurs besoins seraient éligibles. Par exemple, actuellement tout citoyen mauricien au-dessus de 60 ans est automatiquement éligible à la pension de vieillesse ; tandis que sous le système de ciblage, d’autres critères interviendront pour déterminer l’éligibilité du bénéficiaire. Par exemple, si cette personne a une autre source de revenu indépendante, comme un plan de pension privé, elle ne pourrait plus toucher la pension de vieillesse octroyée par l’État.

Pour le prochain budget, le Premier ministre, Pravind Jugnauth envisagerait de remettre ce système sur pied, concernant certaines prestations sociales, en dépit de l’échec de 2004, lorsqu’il y avait une tentative, rapidement avortée, d’imposer le ciblage. À l’issue d’un congrès du MSM en novembre dernier, Pravind Jugnauth avait affirmé que ce sont les plus démunis qui ont le plus besoin d’une pension, et que les ressources de l’État devraient être concentrées sur ces personnes, au lieu d’être diverties sur ceux qui n’en auraient pas besoin.

Les syndicats sont bien connus pour être contre le ciblage. Nous avons voulu avoir l’avis de l’un deux. Rashid Imrith, le président de la Fédération des syndicats du secteur public, est absolument contre toute forme de ciblage. Il pense que toute la population, sans exception, a le droit d’être remboursée pour toutes ses contributions à la société durant sa vie active. Il affirme aussi que c’est un contrat social passé entre l’État et le bénéficiaire, et l’État n’a pas le droit de rompre ce contrat. Il est d’avis que le targeting rabaisse les bénéficiaires.

Quant à l’extension de l’âge d’éligibilité pour la pension de vieillesse à 65 ans, « c’est inacceptable », selon Rashid Imrith, qui déplore que des personnes qui ont trimé toute une vie dans des conditions souvent difficiles puissent être forcées de travailler encore cinq ans.

L’aide sociale

L’aide sociale est allouée à toute personne qui se trouve dans une situation d’incapacité, temporaire ou permanente, et ne peut gagner suffisamment pour vivre. L’incapacité peut être physique ou mentale, ou pour cause de maladie ou après un accident, et doit être dûment certifiée par un médecin. Est aussi incluse toute personne  qui n’a pas de moyens suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses dépendants, par exemple les dépendants des prisonniers ou encore les épouses abandonnées, plus particulièrement celles avec des enfants à charge. Dans les autres cas, les bénéficiaires de l’aide sociale sont les personnes vulnérables et nécessiteuses qui sont confrontées à des problèmes d’ordre financier, d’environnement personnel ou de santé.

Différentes conditions s’appliquent, selon les situations. L’aide sociale n’est pas nécessairement à durée indéterminée.

Quelques formes d’aide sociale :

  • Spouse Allowance
  • Child Allowance
  • Frais d’examen
  • Allocation loyer
  • Allocation aux victimes de catastrophes naturelles
  • Allocation aux victimes d’incendie
  • Allocation aux pêcheurs
  • Allocation riz et farine
  • Remboursement des frais de transport
  • Allocation funéraire.

L’assistance de l’État peut aussi se traduire en matériel ou accessoires sous le cadre de social aid. Par exemple, des lunettes, des fauteuils roulants ou des appareils auditifs peuvent être fournis au bénéficiaire.

Le montant de ces prestations est déterminé à partir des ressources du demandeur d’après un means test. L’aide sociale est généralement ajustée en fonction de la compensation octroyée pour l’augmentation du coût de la vie.

Quelques chiffres

En juin 2016, 266 903 personnes ont bénéficié d’une pension ou d’une autre forme d’aide sociale (toutes catégories confondues), comparé à 259 918 pour juin 2015, soit une hausse de 6 985 bénéficiaires.

La pension la plus commune et dont le nombre de bénéficiaires augmente continuellement est celle de la vieillesse : de 2015 à 2016, il y a eu 8 567 nouveaux bénéficiaires.

Le gouvernement a dépensé Rs 28 060 millions sur la sécurité sociale en 2014, ce qui représente 28 % du total des dépenses publiques.

(Source : Statistics Mauritius.)                                   

Azad Jeetun, économiste : « Inexact de dire que les prestations sociales peuvent constituer un fardeau pour le gouvernement » 

Azad Jeetun, économiste, nous confie que les allocations sociales sont un mal pour un bien. Il explique que c’est normal que le gouvernement débourse pour les plus faibles et les plus démunis. « Il est indispensable pour un gouvernement de dépenser de l’argent sur ces gens-là. »  Pour lui, il y a plusieurs fonds qui recueillent continuellement de l’argent, comme le National Pension Fund (NPF) et le National Solidarity Fund (NSF), ce qui allège considérablement l’argent que le gouvernement doit débourser en terme de prestations sociales. Les prestations sociales allègent la pauvreté, ce qui contribue à l’aspect socioéconomique de Maurice. Il ne faut pas oublier que les retraités ont énormément contribué à l’économie et à la société lors de leur vie active. « Les prestations sociales ne sont ni un fardeau pour le gouvernement, ni un cadeau pour les bénéficiaires », conclut-il.

Ce qui cloche avec notre système de sécurité sociale

Tamrez Hossenbaccus, laboureur, amputé des orteils du pied gauche, a appris en décembre qu’il ne recevrait plus de pension d’invalidité. Cela fait trois ans que cet habitant de Notre Dame a été amputé d’un de ses orteils. Plus tard, sa maladie s’est aggravée et le reste des orteils ont été enlevés. Ce quinquagénaire, qui éprouve des difficultés à se déplacer, a eu la mauvaise surprise en apprenant l’année dernière qu’il cessera de toucher les Rs 2 500 comme pension. « Docteur in dire ki mo 60 % korek, mo pa bizin pension. Li pa finn meme gett mo lipied. Mo pé souffert, mo ress tout sel. Mo lipied ress saigner. Pou ale l’hôpital mo péna casse », se lamente l’infortuné Tamrez.

Ce témoignage démontre les dysfonctionnements de notre système de sécurité sociale. Ce cas n’est pas unique. Au fil du temps, Sunday Times a réalisé plusieurs articles sous la rubrique Human Story pour exposer la souffrance des plus démunis. Les mêmes problèmes surgissent à chaque fois : des montants trop faibles pour que le bénéficiaire puisse subvenir à ses besoins les plus élémentaires,  la lourdeur administrative du système, le mauvais accueil  par des fonctionnaires alors que c’est dans leurs attributions d’aider les plus démunis.

Dans le cas présent, on constate que Rs 2 500 par mois suffit à peine pour qu’un invalide puisse vivre avec une certaine dignité. Ce que Tamrez Hossenbaccus ne touchera plus désormais…  Il se plaint aussi du nombre de formulaires qu’il a dû remplir, ses nombreux déplacements vers les bureaux de la sécurité sociale alors qu’il est infirme, les files d’attente interminables, l’impolitesse des officiers et le temps démesuré qu’on a pris pour traiter son cas.

Ce qui attire aussi l’attention ici, c’est l’existence des critères peut-être dépassés, pour évaluer correctement son cas. En effet, même si l’amputation des orteils constitue une invalidité à hauteur de 40 % d’après les critères établis, dans la réalité on peut dire que Tamrez Hossenbaccus est entièrement invalide, vu qu’il ne peut se déplacer et subvenir à ses besoins seul. Un autre aspect est que la décision du médecin est finale. D’après un officier qui a tenu à garder l’anonymat, il est impératif que le gouvernement vienne de l’avant avec une instance, comme le Welfare Tribunal en Angleterre, pour que les bénéficiaires qui sont refoulés par les officiers de la sécurité sociale puissent faire appel.

Sunday Times avait fait état d’un couple malade habitant l’Impasse Gorah Issac à Plaine Verte. En effet, Iqbal Nauzeer est atteint de l’éléphantiasis, une maladie rare. Il ne peut pas marcher convenablement, encore moins travailler. Le ministre de la Sécurité sociale, Etienne Sinatambou nous avait fait la déclaration suivante le 18 mars dernier : « J’ai rassuré Iqbal Nauzeer de mon soutien et j’ai donné les instructions nécessaires aux services sociaux pour qu’ils donnent toute l’attention requise à Iqbal Nauzeer ». Huit semaines après, Iqbal Nauzeer nous affirme qu’il attend toujours à ce qu’une aide sociale lui soit versée.

Depuis l’année dernière, les familles qui ont un revenu inférieur à Rs 9 520 bénéficient d’une aide sociale. Or, sur les 18 000 familles inscrits pour bénéficier de cette aide, seulement 8 000 d’entre eux ont été sélectionnées alors que pour les 10 000 autres familles restantes, leurs demandes ont été rejetées sans aucune justification, et cela pendant qu’il y avait un gaspillage énorme des fonds publics à la National Empowerment Foundation, institution censée être au service des plus démunis (voir notre édition de la semaine dernière).                                          

  • Nous avons adressé un courriel au ministre de la Sécurité sociale pour avoir plus de renseignements sur les prestations sociales à Maurice, mais le ministre de même que son attaché de presse n’a pas jugé utile de répondre à notre courriel. « Nou pa travail dapré zot. Mo pa pou gagne letan repone zot mail la… » C’est en ces termes que l’attaché de presse du ministre Sinantambou a répondu froidement à notre journaliste. Comme quoi, quand est proche de certains ministres, on se permet de dire n’importe quoi. Cela n’étonne pas sur le traitement que les plus démunis reçoivent par les officiers de la sécurité sociale. Un ministre élu par le peuple et pour le peuple a le devoir de partager les infos nécessaires pour le bon fonctionnement de notre démocratie. À bon entendeur, salut !