[Opinion] La police au fond du Dip

La police, sous le règne du MSM et de Pravind Jugnauth, a connu une lente dérive qui a fini par donner à l’institution des allures de système mafieux. Deux noms cristallisent cette période sombre : Mario Nobin et Anil Kumar Dip, deux commissaires successifs dont les passages à la tête de la police ont été entachés de frasques et de zones d’ombre.

Sous Mario Nobin, les critiques se faisaient déjà entendre. Les scandales entourant sa gestion, allant de nominations contestées à des cas d’abus d’autorité, avaient jeté une première ombre sur la crédibilité de l’institution. Nobin a été accusé d’avoir transformé la police en instrument de pouvoir, fermant les yeux sur des dérives internes et permettant à une culture d’impunité de prospérer. Plutôt que d’incarner la neutralité et la rigueur qu’impose sa fonction, il a consolidé une image de commissaire soumis aux desiderata politiques du régime MSM. Sa proximité avec le pouvoir et son incapacité à protéger l’image de la police ont ouvert la voie à ce qui allait suivre.

Dans ce contexte déjà fragilisé, la succession de Nobin n’a fait qu’accentuer les tensions au sein de la force policière. Son successeur, l’ancien commissaire de police Anil Kumar Dip, restera comme l’un des visages les plus controversés de l’institution. Son passage à la tête de la force policière coïncide avec une période où l’opacité, les abus et la politisation ont miné la crédibilité d’une organisation censée protéger l’État de droit, après le passage de Nobin aux Casernes centrales.

Le scandale du Reward Money en est l’illustration la plus frappante. Plus de Rs 160 millions ont été décaissés pour rémunérer des prétendus informateurs, mais les documents originaux permettant de tracer ces paiements ont disparu. Dip invoque le secret d’État, arguant de la nécessité de protéger l’identité de ces informateurs infiltrés. Mais cet argument ne résiste pas à l’évidence : la disparition pure et simple des pièces comptables essentielles révèle une gestion chaotique, sinon volontairement opaque. Dans n’importe quel État où les institutions fonctionnent normalement, un tel trou noir financier aurait provoqué un séisme. Ici, il est devenu, sous le MSM, le symbole d’une police gérant l’argent public comme une caisse noire.

Cette dérive s’est également incarnée dans la création et l’action de la ‘Special Striking Team’ (SST). Présentée comme une unité d’élite, elle a fini par se comporter comme une milice brutale et politisée. Loin de renforcer la confiance des citoyens, elle a cultivé la peur, usant de méthodes expéditives et d’une violence qui rappelaient moins une force républicaine qu’un bras armé au service du pouvoir en place.

L’avocat Akil Bissessur, en particulier, symbolise cette pratique : ciblé, intimidé et mis sous pression, il est devenu une victime de ce que l’on pourrait appeler le radar politique de Pravind Jugnauth. L’ancien commissaire n’était pas l’acteur indépendant de ces manœuvres : il exécutait les directives d’un pouvoir qui voulait neutraliser toute voix critique. Le MSM n’a jamais cherché à protéger l’impartialité de la police ; au contraire, il l’a instrumentalisée pour ses propres intérêts.

À cela s’ajoutent des affaires judiciaires qui ont ridiculisé la police. Bruneau et Ryan Laurette, Akil et Avinash Bissessur, Doomila Moheeputh, Vimen Sabapathee : tous ont été arrêtés dans des conditions spectaculaires, présentés comme des menaces majeures, avant que le DPP ne raye les charges provisoires faute de preuves. Ces effondrements à répétition traduisent un mode opératoire inquiétant : fabriquer des dossiers pour intimider, puis reculer devant le tribunal. Cette logique n’est pas celle d’une police professionnelle, mais celle d’un système mafieux qui agit par intimidation et spectacle.

Car c’est bien là le cœur du problème : sous le règne du MSM, la police a souvent cessé d’être une institution impartiale pour devenir une machine politique. Les fonds publics ont été gérés comme des caisses parallèles, les unités spéciales ont agi comme des clans internes, et les arrestations ont ciblé avant tout les opposants ou les voix critiques. Le tout s’est fait au nom d’une loyauté aveugle au régime plutôt qu’à l’État.

Anil Kumar Dip peut bien crier à la machination politique, il reste l’incarnation d’un système qui a perverti la mission première de la police. Son héritage est celui d’une institution affaiblie, où la confiance citoyenne s’est effritée et où l’ordre public a cédé la place à un désordre organisé. Sous Dip et sous l’emprise du MSM, la police mauricienne a cessé d’être la gardienne de la loi pour se rapprocher dangereusement du fonctionnement d’une mafia institutionnelle.

Aujourd’hui, face à cette héritage lourd, l’actuel Commissaire de police, Ramparsad Sooroojbally, a du pain sur la planche. Redresser la police, rétablir la discipline et l’impartialité, et surtout regagner la confiance de la population, constitue un défi colossal. Il devra s’atteler à réformer les pratiques opaques, à renforcer la transparence et à restaurer l’image d’une institution qui protège réellement les citoyens plutôt que de servir des intérêts politiques. La tâche est immense, mais elle est indispensable pour que la police redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : le pilier de l’État de droit.