Osman Mahomed : « Je suis inquiet pour le CEB »

  • « Pourquoi accorder une énième extension au projet de Plaine Sophie ? »

 Il se dit préoccupé par le secteur énergétique qui semble avoir pris une mauvaise direction. Le député travailliste Osman Mahomed, ancien président de la commission Maurice Ile Durable (MID), dénonce aussi l’opacité qui entoure certains projets et regrette que le board du CEB ait été relégué à l’arrière-plan, son aval n’étant pas jugé nécessaire concernant la prise de certaines décisions majeures.

 Zahirah RADHA

 Q : Les révélations de Mauritius Leaks secouent actuellement l’offshore mauricien. A-t-on des raisons de s’inquiéter pour l’avenir de ce secteur clé de notre économie?

Je pense que notre réputation en tant que secteur offshore et financier prend, de nouveau, un sale coup. Pourquoi d’autres pays, dont la juridiction est presque similaire à la nôtre, ne fait pas face à de telles fuites ? Par contre, il y a un acharnement contre Maurice. Oxfam a même réclamé, lors d’une émission diffusée sur France 24, que Maurice soit enlevé de la liste grise pour être mis sur celle noire de l’Union Européenne (UE). Et c’est la deuxième fois qu’Oxfam a fait cette réclamation, la première étant en 2017. On a donc de réelles raisons de s’inquiéter pour l’avenir de ce secteur.

 

Q : Pourquoi cet acharnement contre Maurice, selon vous?

Je pense qu’on ne fait pas suffisamment d’effort en ce qu’il s’agit du renforcement de nos relations géopolitiques et il y un manque de roadshows pour expliquer le bien-fondé de notre juridiction. Il y a manque d’agressivité et de dynamisme au niveau des campagnes d’explications, contrairement à ce qu’on faisait dans le passé. D’où cette mauvaise publicité, je pense.

Q : Mais quels impacts cela risque-t-il d’avoir sur notre économie ?

On parle là d’un secteur qui représente plusieurs milliards de roupies en terme de revenus au gouvernement. Si notre réputation est affectée, il coule de source que notre  économie prendra un coup. D’autant qu’il y a déjà eu des entreprises qui ont été contraintes de fermer la porte suite à la décision prise en 2015 concernant le « double taxation agreement » avec l’Inde. Le secteur financier risque maintenant d’en souffrir avec cette nouvelle affaire. D’autres fermetures, si jamais il y en a, risquent d’entraîner des pertes d’emplois. Ceux qui étudient actuellement les finances peuvent aussi se retrouver dans une fâcheuse situation s’il y a un ralentissement d’activités dans ce secteur.

Il ne faut pas oublier que la gestion de notre économie a été catastrophique durant les quatre dernières années. Ce gouvernement a augmenté la dette publique par Rs 20 à Rs 22 milliards annuellement, sans qu’il n’y ait eu de grands développements, hormis le projet Metro Express, qui avait été lancé par le gouvernement travailliste. Le stade de Cote d’Or, qui avait été annoncé comme un projet  d’un milliard de roupies a finalement coûté Rs 4, 6 milliards. C’est vraiment scandaleux ! Idem pour le stade George V. On a dépensé Rs 94 millions pour sa rénovation alors qu’il se trouve toujours dans un état lamentable.

Que dire de l’autoroute Terre-Rouge /Verdun ? Les réparations ont duré une éternité. Il s’est avéré, selon le rapport Sunnassee, que les torts étaient partagés en ce qu’il s’agit de l’affaissement de l’autoroute. Est-ce que le gouvernement a déjà réclamé des dommages au consultant et le contracteur ? En passant, qu’est-ce qui s’est passé avec le nouveau tronçon de Decaen, une construction somme toute simple ? J’espère bien que le gouvernement ne va pas retourner au contracteur le « retention money », d’autant qu’il s’agit d’un contrat de « design and build ». Il a l’entière responsabilité de tout réparer.

 

Q : Qu’en est-il du coût du Metro Express, surtout avec la gratuité annoncée du billet ?

Le projet a coûté Rs 18.8 milliards à l’État, incluant le « grant » du gouvernement indien. J’espère qu’au final, on n’aura pas de mauvaise surprise en ce qu’il s’agit du coût parce qu’avec ce gouvernement, rien n’est impossible. Lors d’une question parlementaire que j’avais adressée au ministre Nando Bodha l’année dernière, il m’avait répondu que l’investissement sur le projet Metro Express sera récupéré  sur une période de 15 ans. Je me demande comment il le fera pour rembourser cette somme dans ce délai. On a appris à travers la presse que cette gratuité résulte du fait que le système de billetterie n’est pas encore prêt. Si tel est effectivement le cas, il est évident qu’il y a eu une très mauvaise planification. Ce qui me préoccupe aussi, c’est qu’on n’a pas encore annoncé la durée pendant laquelle le billet sera gratuit.

Je tiens aussi à rappeler que ce gouvernement avait fait campagne contre le métro-léger. SAJ avait dit que le métro-léger n’était pas une priorité et qu’il fallait construire des flyovers pour résoudre la congestion routière. Aujourd’hui, les flyovers ont été mis sur les rails et cela à même le sol à bien des endroits ! Quel paradoxe ! N’avait-il pas aussi prétendu que le projet ne serait pas rentable et qu’il faudrait le subsidier ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Je constate aussi qu’il n’a pas changé le trajet initialement prévu par le gouvernement travailliste alors qu’il avait dit que le projet ne bénéficierait qu’une partie de la population. Celle-ci pourra tirer ses propres conclusions.

J’aimerais, par ailleurs, souligner le fait qu’il y aura une cacophonie au niveau de la régulation du trafic, surtout durant les heures de pointes, dans la région de Beau-Bassin et de Quatre-Bornes et à Mgr Leen à Port Louis. Il faudrait aussi qu’il y ait une forte mesure de sécurité pour accompagner la mise en œuvre de ce projet, car, n’oublions pas, si les consignes et les feux de signalisation ne sont pas respectés, cela pourrait être fatal.

 

Q : Pourquoi réclamez-vous la résiliation du contrat de la ferme éolienne de Plaine Sophie ?

Le contrat de cette firme éolienne aurait dû terminer en mai 2015. Nous sommes aujourd’hui déjà en juillet 2019, mais il n’a même pas démarré jusqu’ici,  donc plus de quatre ans de retard. Pas plus tard que la semaine dernière, répondant à une de mes questions, le ministre Ivan Collendavelloo a annoncé qu’il a accordé une énième extension aux promoteurs du projet. Ce qui est incompréhensible.

Deuxièmement, une déposition a été consignée à la police par rapport à ce projet, plus précisément concernant la falsification des documents de sécurité bancaires (ndlr : bank securities). Je crois comprendre que les conseillers légaux du CEB ont déjà attiré l’attention des autorités concernées dessus.

Je dois aussi faire ressortir que le contrat avait été alloué suite à un appel d’offres. Le prix de l’énergie renouvelable était  cher à l’époque. Or, avec l’évolution technologique et la production grandissante des turbines à travers le monde, le prix de l’énergie verte a baissé. Le projet avait été signé quand le dollar était à Rs 30. Aujourd’hui, le dollar est approximativement à Rs 36. Ce qui sous-entend que le prix initial de Rs 6-7 sera revu à la hausse. Mais pourquoi donc devrions-nous maintenir ce projet quand on a eu des propositions variant entre Rs 3.50 et Rs 4, comme révélé par Ivan Collendavelloo lui-même au Parlement ? La résiliation de ce contrat serait donc dans l’intérêt du CEB, mais aussi des contribuables et des consommateurs.

J’apprends aussi que la compagnie Suzlon, avec qui Padgreen s’est associée pour faire ce projet, fait actuellement face à de gros soucis financiers. Ce qui pourrait bien avoir un impact sur le projet à l’avenir. Récemment, selon mes informations, le contrat d’une compagnie répondant au nom de  Synov a été résilié parce son partenaire  a fait banqueroute. Il s’agissait d’un projet de production de plusieurs megawatts (MW) à Petite Retraite. Si le CEB l’a fait pour Synov , mais pourquoi pas pour Suzlon Padgreen Co Ltd ?

 

Q : Vous réclamez également la publication du rapport des Crown Agents. Avez-vous des informations quant à son contenu?

Non, je ne les ai pas. Le projet Suzlon Padgreen contient deux volets : d’abord la fabrication des éoliennes en Inde et puis les travaux de génie civil à Plaine Sophie. Mais il n’y a eu jusqu’ici que le « site clearing ». Une délégation est ainsi partie en Inde pour constater de visu si la commande faite auprès de Suzlon Padgreen est sur la bonne voie. Raison pour laquelle je veux savoir quels sont les « due diligence » qui ont été faits notamment sur les « technical matters », quels types d’appareils la compagnie propose et si ceux-ci sont vraiment adaptés pour notre pays.

J’ai donc l’intention de demander au gouvernement, si le temps me le permet avant la fin de la présente séance, de déposer ce rapport dans l’intérêt du public et du consommateur. Car à la fin de la journée, c’est le consommateur qui le paiera, et cela à un prix exorbitant, vu que le prix est annexé au taux du dollar.

Q : Vous avez aussi dénoncé, à l’Assemblée nationale, le contrat signé entre le CEB et Alteo. Qu’est-ce qui vous préoccupe le plus dans cet accord ?

J’avais été le premier à soulever cette question au Parlement, en brandissant une copie d’un article paru dans Sunday Times lors de mon discours sue le budget. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’un prix initial de Rs 3.09 avait été proposé pour la « trash energy ». Alteo n’étant pas d’accord avec ce prix, elle a réclamé une réunion avec le CEB. Ce qui est assez curieux toutefois, c’est que cette réunion n’a pas été tenue au CEB mais au bureau du ministère des Utilités publiques le 18 février dernier. Mais au lendemain de cette réunion, soit le 19 février, le prix est passé de Rs 3.09 à Rs 4.45. Est-ce que le board du CEB a approuvé, dans l’espace d’un jour, cette décision ? Je ne le crois pas. Et ce n’est pas la première fois que le board du CEB n’approuve pas une décision aussi majeure que celle-là.

En effet, la « letter of award » pour la « Combined Cycle Gas Turbine » (CCGT) n’avait, elle aussi, pas été présentée au board du CEB avant qu’elle ne soit approuvée. Le ministre m’avait répondu, au Parlement, que ce n’était pas nécessaire, selon la « Public Procurement Act ». N’empêche que la représentante du ministère des Finances a attiré l’attention des autorités dessus en disant que cette décision aurait dû être approuvée par le board du CEB car il s’agit d’une « major decision » au coût de plusieurs milliards de roupies. Le même scénario s’est reproduit avec le contrat d’Alteo. Il est aussi impensable que le planteur, propriétaire des feuilles de cannes de surcroit, n’obtienne qu’une roupie de ces Rs 4.45.

Q : Outre cette opacité concernant certains projets que vous dénoncez, bouge-t-on dans la bonne direction en ce qu’il s’agit du dossier énergétique en général ?

J’ai de grosses préoccupations par rapport au secteur énergétique. D’un côté, l’on ne sait toujours pas où on en est avec la CCGT. De l’autre, on a les 29 MW de Plaine Sophie qui sont en suspens. J’avais demandé une copie du rapport de Poten and  Partners. Par la suite, le rapport  a été déposé au Parlement. Il relève pas mal de problèmes. La production de l’électricité par gaz ne semble pas être facilement « feasible ». Je me demande d’ailleurs pourquoi ce rapport a été commandé. Il a coûté environ Rs 40 à Rs 50 millions alors qu’en 2014, le précédent gouvernement avait déjà commandé le rapport Worley Parsons, qui était déjà un bon rapport. Je ne vois pas en quoi le rapport Proton Partners nous a été utile.

J’ai également des doutes sur la performance des trois subsidiaires qui ont été créées par le CEB et qui lui coûtent énormément. J’ai, cette semaine-ci, trois questions sur le CEB Fiber Net Ltd qui a alloué un gros contrat à ECI Telecom au coût total de presque Rs 225 millions à ce jour, à une compagnie israélienne.

Le CEB était l’un des départements les plus bien gérés, mais malheureusement, tel ne semble plus être le cas. Des mauvaises décisions ont été prises. Sans compter qu’il y a aussi les épineux dossiers de la corporation et la gestion des fonds de pension. C’est pour cela que je concentre beaucoup de mes questions parlementaires sur le CEB. Je suis inquiet pour cet organisme.