Pension de vieillesse à Rs 13 500 Est-ce économiquement réalisable et viable ?

Une nouvelle qui a fait ‘the talk of the town’ : le Premier ministre, Pravind Jugnauth a annoncé ce 1er octobre un éventuel doublement de la pension de vieillesse, qui passe à Rs 1 3 500,  à l’occasion de la Journée internationale des personnes du troisième âge. Sur toile de fond : la possibilité que les élections générales se tiennent cette année même. Si tout le monde a compris que c’est là une mesure grossièrement électoraliste pour que le gouvernement actuel puisse briguer un deuxième mandat, la question se pose : s’agit-il là d’une décision hautement irresponsable sur le plan des finances du pays ? Sunday Times fait le tour de la question.

« Gouvernement content zot, mo content zot, premier ministre content zot », scandait le ministre Étienne Sinatambou aux ‘senior citizens’ venus assister à une journée qui leur était dédiée ce 1er octobre au centre Swami Vivekananda à Pailles.

Juste après, la fameuse annonce : la pension de vieillesse qui passera à Rs 13 500 si jamais le MSM remporte les prochaines législatives. Un effet de théâtre savamment mis au point car si on s’attendait à  ce que la pension de vieillesse soit rehaussée au même niveau que le salaire minimal de Rs 9 000, on ne s’y attendait pas du tout que la prestation actuelle soit doublée.

Comme quoi, c’est presque devenu une coutume que de se servir des personnes âgées à la veille des élections pour pouvoir accéder au pouvoir. Toutes les manœuvres sont bonnes en ce sens, même si cela est néfaste pour notre économie. Mais cette année, on y est allé beaucoup plus fort que durant les élections de 2014, car les Rs 5 000 de la pension de vieillesse offertes vers cette époque était quand même acceptable.

 

En Chiffres

À juin 2018, Rs 16 809.6 millions ont été déboursées de la caisse de l’État mauricien pour payer les 215 334 bénéficiaires de la ‘Basic Retirement Pension’.

On a noté une hausse de 4.1 % dans le nombre de personnes âgées l’année dernière par rapport à 2017.

Le coût pour le gouvernement de payer la pension de vieillesse était de Rs 16.8 milliards pour l’année financière 2017/2018, ce qui représente une hausse de 9.4 %, comparé à l’année financière précédente.

À noter que la pension de vieillesse se taille la part du lion en ce qui concerne les prestations sociales : elle est de 44.1 % de la ‘Government Expenditure on Social Security and Welfare’ (voir infographie ci-dessous). Pour l’année financière 2017, Rs 34.8 milliards ont été déboursées sous cet item.

Eric Ng, Économiste

« Un chiffre exagéré et une promesse électorale irréalisable » 

  • Rs 25 milliards additionnelles par an

L’économiste Eric Ng ne mâche pas ses mots. « À partir de janvier 2020, la pension de vieillesse passe automatiquement à Rs 6 710 comme annoncé dans le dernier budget. Si toutefois cette somme est doublée, nous devons trouver une somme additionnelle de Rs 25 milliards par an », explique-t-il.

  • Des conséquences graves pour notre économie

« De ce fait, pour pouvoir requérir ce fond, le gouvernement devra augmenter les différentes taxes. Le pouvoir d’achat baissera, alors le coût de la vie augmentera. Cela aura un ‘effet domino’ sur notre économie. Car, quand l’Income Tax sera augmenté, les investisseurs iront voir ailleurs. Et si on augmente la TVA, les consommateurs consommeront moins et la croissance économique baissera davantage, ce qui engendrera de moins en moins de revenus pour l’État. On se retrouvera ainsi coincé dans un cercle vicieux », explique-t-il.

  • 40 % de notre Budget national devra être consacré à la pension de vieillesse

Pour l’économiste, une prestation à hauteur de Rs 13 500 mensuellement est « exagéré ». Seulement pour la pension de vieillesse, l’État devra débourser Rs 50 milliards par an, ce qui représente pratiquement 40 % du budget. Ainsi, il se pourrait que l’on note un manque dans les fonds pour la santé, l’éducation et le transport public gratuit, sans parler du remboursement de nos dettes.

  • Nécessité d’aligner le salaire minimal sur la pension de vieillesse

Concernant un éventuel alignement du salaire minimal sur une pension de vieillesse à hauteur de Rs 13 500, Eric Ng s’est montré catégorique : « D’abord, c’est paradoxal que la pension de vieillesse soit passée à Rs 13 500 alors que le salaire minimal est de Rs 9 000. Cela ne fait aucun sens qu’un retraité puisse empocher plus d’argent comme pension qu’une personne qui travaille à plein temps. On doit ainsi forcement aligner les deux pour qu’ils soient socialement et moralement justes. » 

  • PME et licenciements

Cependant l’alignement de la pension avec le salaire minimum, cela aura un double effet. Les petites et moyennes entreprises (PME) subiront un impact sans precédent. « On doit considérer la réalité et dans la réalité, il y aura forcément des licenciements. » 

  • Promesse irréaliste

« Le gouvernement n’a pu offrir une pension de Rs 9 000 durant le dernier budget car ce n’était économiquement pas possible, alors que les dettes ne cessaient d’augmenter. Rien que Rs 500 ont été allouées comme augmentation. Maintenant, ils nous font croire qu’on pourra donner la bagatelle de Rs 13 500 mensuellement ? C’est clairement une promesse électorale qui ne pourra être réalisé, sans que cela n’augmente notre fardeau. »

 

Jack Bizlall, syndicaliste

« Nous sommes dans une République et non dans un pays du temps des Maharajas »

Pour le syndicaliste, sans aucun doute possible, « C’est une promesse électorale puisqu’elle sera échelonnée sur la période 2020-2024. Dans ce contexte, elle a comme objectif de faire 224 000 personnes voter pour la dynastie Jugnauth. »

Jack Bizlall explique que la pension des personnes âgées n’a rien à voir spécifiquement avec la classe des travailleurs. « La pension dite de vieillesse est une prestation universelle. Donc elle concerne toutes les classes sociales, y compris ceux qui sont multimilliardaires comme ceux qui n’ont jamais travaillé de leur vie », dit-il. Nous avons 224 000 personnes de plus de 60 ans, poursuit-il. Il ne faut pas oublier que les personnes entre 90 et 99 ans touchent Rs 16 210 et ceux de plus de 100 ans touchent Rs 21 210.

Jack Bizlall explique qu’il faut suivre ce paiement par rapport au salaire minimal national. « Il ne fait AUCUN doute que les deux prestations iront ensemble. D’ici 2024, le salaire minimal national ne pourra être moins de Rs 13 500. Le salaire minimal est une prestation puisqu’elle est obligatoire et universelle AUSSI. Je mesure bien le terme prestation dans sa sémantique socio-économique », dit-il.

Par ailleurs, pour lui, augmenter la pension de vieillesse et le salaire minimal à Rs 13 500 est possible. « Mais sous certaines conditions, bien sûr. Je demande aux économistes d’admettre que l’économie n’est pas une science exacte et qu’elle est flexible dans ce sens qu’elle repose sur les variantes dans l’équation économique en macroéconomie. Je demande à vos lecteurs de lire les pages 355-365 du dernier Budget et de comparer avec la projection pour 2021-2022. Et de faire une extrapolation pour 2024-2025. La croissance de nos revenus sera énorme. » 

Il faudra donc augmenter le salaire minimum national et Jack Bizlall prévoit une rude bataille syndicale. « Cette prestation ouvre un champ de lutte importante. Mais il faut faire attention à ne pas financer cette prestation ou subventionner les salaires par l’entremise de la Mauritius Revenue Authority (MRA). Il suffit de suivre l’évolution de nos revenus budgétaires, qui pourraient financer ces deux éléments », dit-il.

Pour le syndicaliste, ce sera un bon signe pour l’ensemble de la population si on arrive à atteindre cet objectif SANS croître l’inflation et sans avoir à vendre notre pays au détriment des libertés et de l’écologie. En d’autres termes, sans retourner à la pratique de l’engagisme.

« Il faut que je dise ici que l’on ne vote pas la dynastie Jugnauth pour une raison fondamentale : nous sommes dans une république et non dans un pays du temps des Maharajas. Je ne compte pas laisser cette famille s’incruster sur notre pays pour le partager entre ses membres comme c’est presque le cas aujourd’hui », lance Jack Bizlall. « Quand il y aura des élections libres au sein du MSM et quand cette famille fera don du Sun Trust à l’Université de Maurice, on pourra dire que le MSM est un parti politique républicain, ce qu’il n’est PAS présentement »,  dit-il.

 « Il faudrait aussi suivre la politique du gouvernement de remplacer la main-d’œuvre locale par la main-d’œuvre étrangère, selon lui. Au ministère du Travail, on appelle ces derniers des ‘migrants’, qui a une autre sémantique. Je leur ai dit de changer cette appellation.

 « Croyez-moi, ce gouvernement est en train de vendre le pays et d’exploiter les travailleurs étrangers, ce qui bénéficie grassement aux grandes familles constituant l’oligarchie sucrière », termine le syndicaliste.