Père du premier miracle économique, désir inachevé d’un tel réexploit post-2014

On peut l’aimer ou pas. Sir Anerood Jugnauth, bon gré mal gré, avec ses qualités et ses défauts, a quand même marqué l’histoire du pays. Suffisamment pour qu’il soit qualifié de grand tribun par certains, ou de qualificatifs nettement moins élogieux par d’autres. Pour ainsi dire, l’homme ne laissait pas insensible et n’avait d’égal que lui-même. Durant son parcours de politicien, il a pris des mesures audacieuses, notamment pour la relance de l’économie, ce qui lui a valu le surnom de « Père du développement économique », mais aussi de quelques décisions perçues comme anti-démocratiques, surtout en fin de carrière quand il a propulsé, contre toute attente, son fils Pravind au sommet de l’État. Revenons-en surtout sur les moments forts de ces dernières années de sa vie politique jusqu’à ce qu’il soit incinéré auprès de l’autre grand tribun que fut Sir Seewoosagur Ramgoolam au jardin désormais plus délabré que botanique de Pamplemousses…

Premier ministre, mais aussi faiseur de Premiers ministres

Son premier ‘Primeministership’, il le doit en quelque sorte à Paul Bérenger, car c’est ce dernier qui lui avait offert la présidence du MMM dans les années 70. C’est là qu’il s’imposera avant de devenir leader de l’Opposition et ensuite chef de gouvernement après les élections de 1982. Il restera au pouvoir, grâce aux alliances, jusqu’à 1995 quand il est battu par l’alliance PTr-MMM. Mais il retournera aux affaires en 2000 après avoir contracté de nouveau une alliance avec le MMM. Cet arrangement électoral, connu par l’accord à l’Israélienne, permettra d’ailleurs à Paul Bérenger de devenir Premier ministre en 2003, la seule fois jusqu’ici où ce dernier a tenu les rênes du pouvoir. Peut-être une façon pour SAJ de renvoyer l’ascenseur à Paul Bérenger, d’autant qu’il a tenu ferme à ses engagements et ses promesses malgré les pressions exercées à l’époque pour que SAJ ne cède pas le fauteuil premier-ministériel à Paul Bérenger.

C’est encore le leader du MMM qui poussera SAJ à quitter la présidence en avril 2012 pour refaire de la politique active. « Pays pe coulé. Bizin sauve pays », lui avait alors dit Bérenger. Bien que le Remake de 2000 n’ait pas abouti, l’homme de Palma sera néanmoins reconduit comme Premier ministre à la tête de l’Alliance Lepep composée du MSM-PMSD-ML. C’est ce qui a poussé l’un des fondateurs du Ralliement Citoyen Pour la Patrie, Parvez Dookhy, à partager la réflexion suivante sur sa page Facebook. « Celui qui aurait dû s’exprimer en premier sur le décès d’Anerood Jugnauth est bien Paul Bérenger, vu la longue relation entretenue entre les deux hommes. Chacun a fait de l’autre Premier ministre ! Chacun a été le complice, le frère et tout autant le farouche adversaire de l’autre ».

Mais il n’y a pas que Paul Bérenger que SAJ a installé sur le trône premierministériel. Son fils Pravind lui doit également une fière chandelle. Qui peut oublier comment le père avait démissionné comme chef de gouvernement en janvier 2017 pour passer le flambeau à Pravind Jugnauth ? « Chers compatriotes, mo estimé fi mo fine termine mission ki mo ti commencer depi fin mars 2012. L’heure ine arriver pou ki pays ena ene leadership jeune ki incarne l’avenir. L’heure ine arriver pou mo passe flambeau primeministership à leader parti ki éna majorité députés dans l’Assemblée nationale. C’est ene passation de pouvoirs ki pou fer dans la pure tradition westministérienne dans le respect de nou bane tradition démocratique et de nou Constitution […] Mo bien placé pou mo dire ou ki Pravind Jugnauth ki pou succède moi ena à cœur l’intérêt du pays ». C’est ce qu’il avait soutenu lors d’un message qu’il avait adressé à la nation le 21 janvier 2017 pour annoncer cette décision qui avait alors bouleversé une grande partie du pays.

Qu’il s’agisse de Paul Bérenger et de Pravind Jugnauth, SAJ a démontré qu’il ne se laisse pas dicter dans ses décisions et convictions, fussent-elles bonnes ou mauvaises…

Artisan du premier boom économique

Désir inachevé d’un deuxième miracle

Sir Anerood Jugnauth avait mis, avec l’apport conséquent d’une équipe composée de Sir Gaëtan Duval, Sir Satcam Boolell et Vishnu Lutchmeenaraidoo, le pays sur la voie du développement et du progrès économique dans les années 80. L’économiste Pierre Dinan le dit d’ailleurs, « SAJ avait pris les rênes du pays lorsque l’économie était à genoux ». Il a su, avec pragmatisme, détermination et conviction, amené le pays à bon port.

Fort de cette expérience, SAJ voulait recréer un deuxième miracle économique en 2014, après qu’il eut délaissé le confort du château de Réduit pour se jeter de nouveau dans l’arène politique. L’ancien Premier ministre s’était ainsi assuré du soutien de Vishnu Lutchmeenaraidoo, qu’il présenta comme ministre des Finances, pour l’aider dans sa mission. Mais bien que l’alliance qu’il dirigeait avait remporté les élections, le deuxième miracle économique n’aura été qu’un mirage.

On a eu droit, dès les premiers mois de son nouveau règne, à la révocation de la licence de la Bramer Bank au beau milieu de la nuit, entraînant dans son sillage l’effondrement du groupe BAI et causant un désastre économique dont le gouvernement actuel dirigé par Pravind Jugnauth traîne toujours les séquelles. SAJ avait d’ailleurs été l’un des premiers à évoquer l’existence d’un vaste ponzi de Rs 25 milliards, mais qui reste toujours à être prouvé. Sans oublier qu’il avait confié avoir retiré son argent de la Bramer Bank avant la licence de celle-ci ne soit révoquée. « Abe ki mo rann mwa kouyon? Mo less mo kass laba mem? Premie zafer, monn tir mo kass. Enn bato pe koule, mo sov mo la po ».

Si on le reconnait comme étant le Père du développement économique, on ne peut pas, dans la même foulée, oublier les contrecoups que le gouvernement qu’il dirigeait tout dernièrement a laissés sur l’économie lors de son dernier passage à l’hôtel du gouvernement, d’autant que ce sont ceux-ci que la jeune génération retiendra le plus de lui, malgré l’homme d’État qu’il a été durant les soixante ans de sa carrière politique.