Petites et moyennes entreprises : À quand une politique de soutien digne de ce nom ?

Après la levée du confinement, il n’est un secret pour personne que l’économie mauricienne est en eaux roubles. Le ministre des Finances a lui-même annoncé que le taux du chômage va augmenter dans les mois à venir, vu le nombre de secteurs qui a été affecté de plein fouet par la pandémie de covid-19. Pour ce dossier, nous nous sommes focalisés sur le sort des Petites et moyennes entreprises (PME), et plusieurs de ces entrepreneurs nous révèlent les nombreuses difficultés auxquelles ils doivent faire face pour pouvoir remonter la pente. Une dotation budgétaire de dix milliards, qui se révèlera sans doute insuffisante ou mal dépensée, une politique d’encadrement des PME mal mise en œuvre ou souffrant de graves lacunes, des institutions comme SMEDA ou SME Mauritius, qui se sont révélées comme des échecs lamentables… Bref, ce n’est pas demain la veille que les PME pourront sortir la tête hors de l’eau.

Reza Uteem : « SME Mauritius est une faillite totale »

reza uteem
Lors de la présentation du Budget 2020/2021, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, avait annoncé une dotation budgétaire de Rs 10 milliards pour soutenir les PME et les coopératives en difficulté. Ce sera la Développent Bank of Mauritius (DBM) qui va gérer cet argent.

Or, selon le député  Reza Uteem, personne n’a encore vu la couleur de cet argent. En outre, il se demande si cette injection sera suffisante pour les PME, et si elle sera octroyée à bon escient.

Mais il n’est pas seulement question d’argent, selon lui. Il aurait fallu une politique d’encadrement pour aider les PME. Or, l’absence de vision et de politique du gouvernement pour venir en aide aux PME se fait de plus en plus sentir.

Reza Uteem, jette une lumière crue sut le sort des PME à Maurice : « Covid-19 ou pas, le secteur des PME rencontre souvent des difficultés pour survivre ».

Il ne mâche pas ces mots envers les institutions censées apporter un encadrement aux PME. La SMEDA avait été abolie, pour être remplacée par SME Mauritius, mais cette dernière institution est un fiasco total, sauf pour les protégés du pouvoir, qui ont reçu d’avantageux contrats.

Il revient sur les Rs 10 milliards que le ministre des Finances avait dévolues aux PME dans le budget. Il se demande où est cet argent, car valeur du jour, on n’a rien entendu sur cet argent.

Il nous explique les difficultés principales que rencontrent les PME, qui revêtent deux aspects. Le premier est l’aspect financier. Par exemple, la banque, en fournissant un prêt aux promoteurs des PME, leur demande leur maison ou leur terrain en gage, alors que beaucoup de ces derniers ne possèdent aucun bien immobilier. Ensuite, il y a l’aspect non financier : par exemple, ceux qui veulent mettre sur pied des PME ont les idées mais ne savent pas bien gérer leur «business», ou bien ne savent pas comment promouvoir ou faire de la publicité pour leur produit. Du coup, l’entreprise ne marche pas comme il se doit.

Selon lui, il y a un manque de « mentoring ». Le gouvernement aurait dû recruter des personnes ayant l’expérience requise, qui auraient alors fourni une formation et un accompagnement à ceux qui rencontrent des difficultés pour faire marcher leur business.

Il pointe du doigt aussi certaines politiques, qui se sont aussi révélées être incomplètes. Par exemple, les gouvernements successifs ont créé des facilités auprès des banques pour que les PME et les self-employed’ puissent rembourser leur dette. Toutefois, ces derniers ont d’autres dettes, comme le ‘leasing’, qui ne sont pas couvertes par les facilites offertes par le gouvernement.

Le député mauve revient sur la période de confinement, qui a été néfaste pour les PME. Il estime que c’est « inacceptable, injuste et discriminatoire » que les ‘self-employed’ et les PME n’ont reçu que Rs 5 100 comme aide financière pendant le confinement, alors que les employés ont reçu leurs salaires in toto.

Amar Deerpalsingh, Président de la Fédération des PME : « Ce problème concerne environ 150 000 employés mauriciens »

amar deerpalsinghSelon le président de la Fédération des PME, Amar Deerpalsingh, le gouvernement doit élaborer une politique pour chaque catégorie de personnes ‘self-employed’.  Il doit effectuer une analyse de la situation qui concerne chaque catégorie afin de savoir comment aider les gens.

Il revient sur la situation économique. Il explique qu’il y a des secteurs qui ont été touchés plus que d’autres. Le secteur du tourisme et le secteur manufacturier ont été touchés de plein fouet, un problème qui concerne environs 150 000 employés mauriciens.

Et quand ces deux secteurs sont affectés, c’est l’économie en entier qui est affectée. Amar Deerpalsingh nous explique que de nombreuses personnes ne touchent que leur salaire de base. De ce fait, les gens dépensent beaucoup moins.

Rama Sithanen

Rama-Sithanen-« Les mesures doivent être en fonction de chaque catégorie de PME »

L’ancien ministre des Finances, Rama Sithanen, clarifie d’emblée que le secteur des PME se subdivise en plusieurs catégories : il y a les micro-entreprises, les petites entreprises, et les entreprises moyennes. En outre, il y a les personnes qui travaillent à leur propre compte, les ‘self-employed’. « De ce fait, il convient d’élaborer des mesures en fonction de chaque catégorie », explique-t-il.

Rama Sithanen aborde ensuite le contexte : « L’économie en entier est affectée et il faut que l’économie reprenne pour que le secteur des PME puisse décoller à nouveau. »

Mais il faut voir d’où vient le problème. Est-il lié à l’accès aux finances, au marché, à la technologie, ou au savoir-faire ? « En ce moment, il semble que le problème est l’accès au marché, surtout en ce qui concerne le secteur du tourisme, qui est en baisse », explique-t-il. Beaucoup de PME sont affectées, car elles sont indirectement liées à ce secteur, comme les marchands de plage, les marchands de fruits et de légumes dans les hôtels, entres autres.

Selon Rama Sithanen, les institutions chargées du soutien aux PME devraient aligner leur stratégie en fonction des problèmes de chaque catégorie des PME dans chaque secteur, car les problèmes sont différents.

Ainsi, il faudrait aider certaines PME pour qu’elles puissent survivre, d’autres pour qu’elles puissent récupérer ce qu’elles ont perdu et d’autres encore pour qu’elles soient durables sur le long terme.

 

Une situation inextricable pour les PME

‘Platform Ti-Travayer Maléré’ a été créé pendant le confinement. Cette plateforme rassemble beaucoup de petits entrepreneurs qui font face a des difficultés à cause de la pandémie.

Stéphane, fondateur de la plateforme, nous explique que les PME souffraient déjà avant la pandémie car le pays était affecté par le mauvais temps. De ce fait, beaucoup de PME avaient déjà connu des changements, et en mars, c’est la covid-19 qui nous a rendu visite, et par la même la vie des PME plus difficile.

Certains, qui louent des emplacements pour faire marcher leurs commerces, ont dû rendre les clés cars ils n’arrivent pas à payer le loyer. Quand ils font des démarches au niveau de la banque, ils doivent maintenant mettre des terrains ou des immeubles en gage. « Be nou mem nou louer. Kuma nou kav met sa bane zaffer la en gage ? », questionne-t-il. Autre chose que la banque leur demande, c’est de prédire les revenus de la compagnie pour les prochains six mois, ce qui est impossible.

 

Le cri de colère des PME: « Gouvernma ine ignore nou ban demandes »

Stéphane ne cache pas sa colère face au traitement que les PME subissent de la part du gouvernement, qui ignore sciemment leurs demandes. « Gouvernma trouve zis ceki faire zot plaisir. Zot trouve zis fonctionnaire », nous dit-il.

Avant la présentation du Budget, les PME avaient présenté plusieurs demandes au ministre concerné et au ministre des Finances. En premier lieu, les entrepreneures avaient demandé de retirer le ‘duty’ sur les machines utilitaires, ce qui aurait aidé les PME à accroitre leur productivité. Ils avaient fait une requête pour qu’ils aient plus de facilités de financement. Les PME avaient aussi fait une demande pour un ‘scheme’ où un entrepreneur en incapacité provisoire (blessure ou maladie) aurait bénéficié d’une somme d’argent approchant leur salaire de base. Finalement, ils avaient fait une demande pour une formation pour certaines personnes qui travaillent à leur propre compte pour qu’elles arrivent à bien gérer leur entreprise. Toutes ces demandes sont restées lettre morte.

 

Difficile pour les petits entrepreneurs de remonter la pente

Yajna, gérante de Dholl Puri Delights, nous fait part des problèmes qui ont surgi après le confinement. Selon la jeune femme, le nombre de commandes a connu une baisse drastique. Elle avait l’habitude de recevoir plusieurs commandes pour des évènements tels que les mariages, mais comme beaucoup de mariages ont été repoussés, le nombre de  commandes a chuté. Elle explique que même les marchands, qui avaient l’habitude de prendre des dholl puris pour les revendre, ont diminué leurs commandes par environ 50 %.  De ce fait, elle a dû mettre à la porte deux de ses employés qui travaillaient à temps partiel chez elle.

Vidushi, une maquilleuse, dit que pour elle, les Rs 5 100 constituaient une aide précieuse, mais elle ne reçoit plus ce montant depuis la fin du confinement. Spécialisée dans le maquillage des mariés, elle explique que les mariages qui ont été repoussés pour l’année prochaine vont affecter son commerce grandement.

 

Akshay, directeur de Design Perception, nous indique que les Rs 5 100 ne changent pas grand chose pour lui car le jeune homme subit actuellement des faillites de l’ordre de 50-70 %. Spécialisé dans le décor intérieur, entres autres, il nous explique que beaucoup de clients qui avait effectué des réservations pour des rénovations dans leur maison, ont décidé de repousser ces changements dans six mois, ce qui fait que le jeune homme reçoit uniquement deux clients en un mois, ce qui baisse drastiquement ses revenus.

Malleck Mohoboob, le directeur de CEPAL (Compagnie d’élevage et de produits agricoles ltée) nous dit que la situation a beaucoup changé pour lui, et si dans les mois qui viennent, les choses ne s’améliorent pas, il sera obligé de mettre la clé sous le paillasson. Ce père de famille explique qu’il emploie des expatriés ainsi que des Mauriciens. Malgré que la vente des produits frais n’ait pas eu lieu pendant le confinement, les employés ont dû travailler car il fallait nourrir les animaux. Mais après le confinement, ce n’est que le 1er juillet que les choses ont démarré, mais pas comme avant, c’est-à-dire qu’en jour de semaine, la vente a été estimé à 45-50 % de ce qu’il vendait normalement, tandis qu’en weekend, elle est de 60 % environ.

Kenny Heeramun, directeur de la pâtisserie et boulangerie Ken & Nish Co. Ltd explique que les produits qu’il fournit sont des produits de base. Du coup, la vente n’a pas connu de grand changement. Mais il note toutefois une baisse de 5-10 % et selon lui, ce sont les livreurs de pain qui ont causé cette baisse, car ces derniers livrent les pains directement chez le consommateur, ce qui est un avantage pour ces derniers, mais qui constitue une baisse de vente pour son entreprise.

 

Neevedita Nundowah