Pétition électorale au no.8 : Le pays retient son souffle

  • « L’affaire implique beaucoup d’autres facteurs sur le plan légal, constitutionnel, sociétal ainsi que l’organisation des partis politiques et le fonctionnement du Parlement », dit Fezal Jeerooburkhan
  • « L’absence d’une cour constitutionnelle se fait ressentir », selon Jocelyn Chan Low

La classe politique et la société civile trépignent d’impatience. Que nous réservera le jugement des juges David Chan Kan Cheong et Karina Devi Gunesh-Balagheesur dans l’affaire de la pétition électorale au no. 8 (Moka-Quartier-Militaire) ? Les plaidoiries ont pris fin le mercredi 1er septembre 2021, soit presque deux ans après les élections de novembre 2019. Si cette affaire est suivie de près, c’est surtout en raison de ses implications sur le plan politique. Un jugement défavorable à Suren Dayal, contestataire qui demande ni plus ni moins que l’invalidation de l’élection du Premier ministre Pravind Jugnauth et de ses deux colistiers Leela Devi Dookhun-Luchoomun et Yogida Sawmynaden, mettrait l’opposition dans une situation embarrassante, tout en donnant du sérum politique au gouvernement à un moment où celui-ci se retrouve au plus bas de sa popularité.

Par contre, si la Cour suprême donne raison au candidat battu de l’Alliance Nationale aux élections de novembre 2019, cela signerait peut-être la fin prématurée de ce gouvernement. Car une invalidation de l’élection du chef du gouvernement sonnerait le glas de ce régime car l’opposition aurait alors raison de questionner sa légitimité et réclamerait sans doute la tenue des élections générales anticipées. À moins, bien entendu, que la partie perdante ne décide de faire appel au Privy Council, comme le prévoient les dispositions de la loi au cas où celle-ci n’est pas satisfaite du jugement de la Cour suprême.

Fezal Jeerooburkhan, observateur politique faisant partie de ‘Think Mauritius’ situe l’importance de ce jugement qui tient en haleine toute la population. L’affaire revêt, pour lui, une dimension multifactorielle. « La cour va régler le problème à la lumière des éléments qui lui ont été remis. Mais il n’y a pas que cela, car l’affaire implique beaucoup d’autres facteurs sur le plan légal, constitutionnel, sociétal ainsi que l’organisation des partis politiques et le fonctionnement du Parlement », explique-t-il. Il dit surtout souhaiter que la Cour suprême, à travers ce jugement, vienne mettre de l’ordre dans le financement des élections et des partis politiques.

« Les partis dépensent bien plus que ce qu’ils déclarent. Il y a aussi les promesses électorales faites à la dernière minute, d’autant que certaines ne sont pas tenues. Malheureusement, les règles sont bafouées. Tout le monde le sait mais personne ne fait rien. C’est dommage parce que cela a un effet extrêmement important sur la démocratie. Le but de réglementer les dépenses des partis politiques, c’est justement d’assurer que la démocratie n’est pas affectée par l’argent. Ce n’est pas possible qu’à Maurice, c’est l’argent qui fait les élections. Les Kistnen Papers l’ont prouvé. Il y a même des menaces. Cela ne peut pas continuer ainsi. C’est absolument important que la cour mette un peu d’ordre pour que la démocratie puisse s’épanouir et que tout le monde a les mêmes chances d’être élu sans le pouvoir de l’argent et de la machinerie politique », insiste-t-il.

Classe politique en haleine

Kushal Lobine, député du PMSD, se montre plus circonspect. « Je ne pense pas qu’on sera fixé sur cette affaire de sitôt, parce qu’il est fort probable que la partie perdante fera appel au Privy Council. Ce qui prendra alors encore quelques mois ou même une année », dit le légiste. Il cite comme exemple la contestation du jugement de la Cour suprême au Privy Council par Ashock Jugnauth dans la pétition électorale qui l’opposait à Raj Ringadoo au no. 8 en 2005. Ce dernier avait eu gain de cause et le Privy Council avait, le 8 novembre 2008, maintenu la décision de la Cour suprême, sauf que l’affaire avait, au final, traîné pendant trois longues années après les élections générales de 2005. Ce qui pousse le député bleu à conclure que la classe politique sera tenue en haleine pendant encore quelques temps, d’autant qu’il faudra aussi attendre l’issue de l’appel de Roshi Bhadain au Privy Council concernant sa demande de révision judiciaire et les autres pétitions électorales toujours en cours.

Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique, abonde également dans le même sens. « Quel que soit l’issue du jugement, la partie perdante ira au Privy Council. C’est une longue procédure. C’est dommage parce que rien n’est réglé sur le plan politique, d’autant que c’est la légitimité d’un gouvernement et d’un Premier ministre qui est en jeu », se désole-t-il. Le problème, poursuit-il, c’est que même si l’élection du Premier ministre est invalidée, il aura déjà dirigé le pays et voté des lois pendant plusieurs années. La faute, soutient Jocelyn Chan Low, revient à une faille dans le système. « Quand une élection est contestée, il faut qu’il y ait un jugement rapide. C’est là où l’absence d’une cour constitutionnelle se fait ressentir. Si on avait une telle cour, cette affaire aurait pu être réglée en l’espace de quelques mois. Même le litige opposant le Speaker à certains élus de l’opposition y aurait pu être réglée. Les partis politiques doivent se mettre d’accord pour créer une cour constitutionnelle », martèle l’observateur politique. D’ici là, le pays devra retenir son souffle.