Plus de 2000 divorces en 2015

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Situation inquiétante

Se marier est un droit que personne ne peut vous enlever.  Ce droit va de même pour le divorce.  Le mariage peut être une idylle si les sentiments sont partagés des deux côtés du couple, mais quand arrivent les malentendus, l’égoïsme, les doutes et l’insécurité, le couple bat de l’aile. Les disputes récurrentes et les problèmes non résolus le poussent alors à se séparer.  Le divorce est un phénomène mondial, mais à Maurice, il est triste de constater qu’un nombre important de mariages ne tiennent pas et que le nombre de cas de divorce tire également vers le haut.

Marwan Dawood

 

À Maurice, une personne peut faire une demande de divorce à la Family Division de la Cour suprême à travers un avocat ou un avoué.  Cependant pour obtenir le divorce, le demandeur peut solliciter le divorce pour faute, qui est applicable pour des cas d’adultère, de violence domestique, entre autres, mais aussi pour rupture de la vie commune, dans des cas où les époux vivent séparément depuis plus de trois années consécutives. Dans ce cas, le demandeur doit ainsi prendre des dispositions pour un arrangement financier adéquat, pour son conjoint et ses enfants. Un couple peut aussi opter pour le divorce par consentement mutuel ou pour acceptation du principe sur la rupture du mariage. Ce genre de divorce à l’amiable est moins conflictuel, encourage les bonnes relations entre les futurs divorcés et ainsi les personnes peuvent ne pas dévoiler les raisons du divorce.

Les statistiques prouvent que la procédure qu’on adopte le plus souvent de nos jours pour obtenir le divorce est principalement le divorce pour faute.  Très souvent l’un des conjoints a des reproches  à faire à sa moitié, mais aussi il y a des cas où les deux se renvoient la balle mutuellement après un comportement fautif qui rend ingérable le maintien de la vie commune.  En ce qui concerne le divorce à l’amiable, ils ne sont pas beaucoup les couples qui arrivent à trouver un accord sur les conséquences du divorce, surtout concernant la garde des enfants.

 

Les chiffres, alarmants!

2 556 cas logés en cour en 2015 pour 2 161 divorces agréés.  La situation est inquiétante. Les derniers chiffres disponibles au Bureau des Statistiques de Maurice le démontrent.  Parmi les 2 161 couples divorcés, 721 couples n’avaient pas d’enfant. Ils étaient 673 couples à avoir un enfant, 544 deux enfants, 180 trois enfants, 37 couples avec quatre enfants et les six autres restants avec cinq enfants. Au total ils sont 2 479 enfants touchés par le divorce de leurs parents pour l’année 2015.

En ce qui concerne les tranches d’âges, c’est la fourchette de 10 ans à 14 ans de vie commune qui est la plus touchée. 298 pour la fourchette des 15 à 19 ans de vie commune, 217 pour ceux ayant entre 20 et 24 ans de vie commune. Voir tableau.

 

Pavi Ramhota : «Les enfants sont les plus grands perdants » 

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Pour le sociologue Pavi Ramhota, la situation du divorce à Maurice est en nette hausse. « Nous vivons aujourd’hui dans un monde où rien ne peut être fait pour en diminuer le nombre » pourtant, soutient-il, il existe des lois à Maurice qui auraient pu prévenir cela.  « Il y a eu des consultations, des white papersetc, mais dites-moi combien d’officiers sont sur le terrain pour comprendre les vraies raisons qui mènent au divorce ? ».

PaviRamhotaest aussi d’avis que plusieurs facteurs contribuent à l’éclatement d’un couple : « Aujourd’hui les temps ont changé.  Mais plusieurs personnes se voilent encore la face en disant que les couples souffrent puisqu’un des conjoints est alcoolique ou prend de la drogue. Est-ce qu’auparavant les gens ne buvaient pas ? Le vrai problème c’est que nos jeunes sont en perdition. » Le sociologue nous parle des changements dans le «mindset » des jeunes.  «Avant kan deux dimounes bizin marier, zot prend zot le temps, zotzoine, zot conne zot camarade. Mais zordi li plisse enezafer attirance physique. Personne pas envi conner si dan garcon la sofami li pou capave vive, ou si avec tifi là so entourage si li pou capave vivre. Zotineziss content aller marier. »

Le sociologue égratigne aussi certaines lois qui, selon lui, visent à « distancer »  les partenaires d’un couple. «Mo pas pé dire ki protection order pas important, oui dans certains cas mais pas touzour. Eski ou réalise ou ki kan ene madame gagne l’amerdma ek so missier li alle lapolis et au lieu zot fer ki sa deux là reconcilier, madam la gagne protection order, missier pas gagne coster pou expliker et finalement divorcer. »

En ce qui concerne l’impact social du divorce, Pavi Ramhota considère que les plus grands perdants sont les enfants. Il estime que pendant les discussions entre parents, déjà les enfants souffrent. De plus, dit-il, la séparation des parents laisse un vide terrible dans la vie des enfants qui se retrouvent sans guide. «C’est ainsi qu’une tierce personne intervient et influence l’enfant qui, en retour, se sent perdu et tombe dans des fléaux sociaux qui peuvent avoir de graves conséquences. »

 

Me Pramila Patten : «Il est trop facile de divorcer à Maurice » 

Pramila Patten, Vice-President of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women at a High-level dialogue on the lessons learned and continuing challenges in combatting sexual violence in the Democratic Republique of Congo during the 25th Session of the Human Rights Council. 25 March 2014. UN Photo / Jean-Marc Ferré
Pramila Patten, Vice-President of the Committee on the Elimination of Discrimination against Women at a High-level dialogue on the lessons learned and continuing challenges in combatting sexual violence in the Democratic Republique of Congo during the 25th Session of the Human Rights Council. 25 March 2014. UN Photo / Jean-Marc Ferré

La vice-présidente du Comité des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, interrogée sur le sujet,  estime qu’à Maurice, il est trop facile de divorcer. Elle dit aussi constater qu’il y a eu beaucoup de changements depuis qu’elle avait déposé son rapport sur le droit de la famille à Maurice.  «C’est en décembre 2005 que j’ai déposé ce rapport. Depuis il y a eu beaucoup de choses qui ont bougé dans la bonne direction, mais il y a encore beaucoup  à faire pour améliorer le système. » Pour elle, le premier changement est intervenu en 2008 avec l’avènement de la Family Court, « Avant cela les cas reliés au mariage étaient discutés en Cour suprême seulement les vendredis.  Désormais nous avons deux juges qui siègent au quotidien à la Family Court, ce qui rend plus facile les cas de divorce et le temps d’attente est raccourci. »

Me Pramila Patten se montre aussi critique envers le système qui, selon elle, n’est pas assez élaboré pour cela. «Est-ce que nos juges ont la capacité requise de prendre des décisions concernant des familles ? » En ce qui concerne le partage des biens, Me Pramila Patten trouve qu’ici aussi il y a un énorme problème. «Est-ce qu’il y a de l’égalité ? Non ! Nous devons prendre en compte les conséquences économiques du divorce. Non seulement les dépenses pour les procédures mais aussi l’après-divorce.  Tout ce qui concerne pension alimentaire, compensation etc, etc, il faut que le niveau de vie pendant le mariage et après le mariage soit égal.  Par exemple, une femme ne peut accepter que son ex-époux voyage en Porsche pendant qu’elle voyage en bus », fait-elle ressortir.

Autre critique formulée par Me Pramila Patten concerne la protection des enfants pendant les discussions de divorce en cours. « Il y a plusieurs cas où les enfants sont emmenés en cour lors des discussions de divorce.  Vous vous imaginez à quel point c’est traumatisant ? Nous n’avons pas un lieu ou un cadre précis pour la protection des enfants. En cour, il y a plusieurs personnes qui sont là et les enfants sont obligés de subir tout ça en public. Ce n’est pas possible. Il nous faut trouver une formule pour faire témoigner les enfants en privé à l’abri du regard des autres. » 

 

« Le mariage est superficiel »

Beaucoup de mères de famille n’osent pas se séparer de leurs maris qui lestrompent ou les maltraitent de peur que les enfants grandissent sans père. Par ailleurs, nous avons obtenu un témoignage d’une femme qui a dû agir différemment.

Sarah (prénom fictif), un quadragénaire, est une femme divorcée depuis plus de 10 ans. Elle nous raconte son parcours avec soulagement car, selon elle, « ce n’était pas une vie ». Mariée à un charpentier en 1994, notre interlocutrice a été victime d’infidélité et de maltraitance après la première année de mariage, par son ex-époux.

Au départ tout était beau et l’amour était au grand jour, mais elle n’a pas pu jouir de la vie de mariage très longtemps. Or, elle a décidé d’avoir un enfant en espérant que la situation s’améliore. À savoir que son ex-mari voyait d’autres femmes, elle a gardé l’espoir qu’un enfant toucherait son âme. Malheureusement, cela n’a pas été ainsi.  Elle a donc décidé d’agir car à l’époque, à une vingtaine d’années, elle ne pouvait pas accepter de vivre dans une telle condition.  Elle a donc commencé les procédures de divorce et après deux ans, notamment en 2005, elle obtient ses papiers de divorce avec succès.

Toute seule avec une fille en bas d’âge, cette mère renonce à l’amour jusqu’au jour où sa fille atteint  la maturité. En d’autres mots, elle a été la mère et le père pour sa fille durant 20 ans.  Elle relate que « le mariage est superficiel ». Après ce dur parcours, Sarah a inculqué à sa fille toutes les valeurs de la vie en l’éduquant différemment. « J’ai été une mère sévère mais au final, je suis certaine qu’elle ne tombera pas entre des mauvaises mains. Dans la vie, il ne faut pas se laisser piétiner surtout quand on est de la gent féminine », a-t-elle dit.  Pour conclure, elle conseille aux futurs mariés de prendre le temps de connaître son partenaire, contrairement à elle, « une erreur qui m’a coûté cher », ajoute-t-elle.

 

Mères célibataires- victimes de la précarité

On ne connaît malheureusement pas leur nombre, faute d’études mais ces femmes ne sont pas des bénéficiaires de programmes sociaux.  Une séparation abrupte de leur conjoint les a un jour mises dans une situation qu’elles ne savaient pas avant : la précarité.  Mais elles seraient nombreuses ces femmes qui souffrent de la pauvreté en silence et en l’absence d’une politique de logement pour femmes seules, voire un programme social national structuré pour celles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, ces femmes doivent se battre pour survivre et faire grandir leurs enfants.

 

Monique Dinan: « Un couple doit accepter les différences entre eux pour éviter le divorce »

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La représentante du Mouvement d’Aide de la Maternité, Mme Monique Dinan, qui rencontre souvent les parents et des jeunes, croit qu’on se marie de plus en plus tard.  «Très souvent, ces derniers n’arrivent pas à s’entendre entre eux sur le plan conjugal et sexuel. Ils s’attendent à ce qu’il y ait une fusion dans le couple», explique-t-elle.

D’autre part, elle affirme que lorsqu’on construit un couple, chacun doit impérativement accepter les différences et  habitudes de l’autre. « Un jeune couple doit trouver un terrain d’entente sur des points qui pourraient améliorer leur qualité de vie. Un couple ne doit n’épargner aucun effort pour préserver sa vie conjugale. Le couple doit également miser sur des points qui leur ont fait plaisir pendant la semaine. Les mariés ne peuvent permettre la mésentente s’installer dans leur vie », ajoute-t-elle.

Mme Monique Dinan a, en outre, déploré le fait que les querelles des parents entraînent souvent le divorce. « Cela perturbe la vie des jeunes et le climat familial », dit-elle.

 

Loga Virahsawmy : « Avant de se marier, il faut bien suivre la tendance du couple et être sûr de pouvoir s’adapter mutuellement après avoir dit oui pour la vie »

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Quant à LogaVirahsawmy, directrice de Gender Links, elle est d’avis que la société en est la cause, précisant que la vie s’évolue de jour en jour. « C’est important d’évoluer mais  on voit que cela prend une autre allure  au sein d’un couple marié ». Elle estime que les femmes n’ont pas assez de soutien de la part des époux, mais ajoute qu’il s’agit aussi d’un travail accompli des deux côtés. La travailleuse sociale affirme que s’unir par le lien du mariage est un signe de respect aux yeux des religions, que nous devons préserver, car il perd de sa valeur de jour en jour, à savoir qu’à Maurice, nous sommes très religieux.

« Dans ce siècle actuel, nous devons agir différemment. Avant de se marier, il faut bien suivre la tendance du couple et être sûr de pouvoir s’adapter mutuellement après avoir dit oui pour la vie », exprime notre interlocutrice.