Plus de discipline requise

Nombre grandissant de policiers impliqués dans des délits

Ces derniers temps, les Mauriciens ont été témoins de dérapages de la part de certains membres de la force policière, ce qui conduit inexorablement à l’érosion de la confiance que l’on devrait normalement accorder aux hommes en bleu. Quelles sont les causes de cette déchéance ? Le point avec Ranjit Jokhoo, ancien inspecteur de la MCIT et avec Faizal Jeeroburkhan, observateur politique.

On a tout d’abord l’impression que la police est inféodée au pouvoir en place, et qu’elle est utilisée à mauvais escient pour persécuter les opposants au régime en place. Dans ce contexte, les affaires où la police est impliquée en mal sont légion. Il y a eu les cas de torture qui ont fait frémir les Mauriciens. Puis, il y a eu la diffusion des vidéos intimes dans l’affaire Akil Bissessur. Ensuite, il y a eu quelques faits divers, où des policiers ont été impliqués. Par exemple, un policier est soupçonné d’être impliqué dans le trafic de drogue, après une récente grosse saisie. Ou encore, un autre policier a été impliqué dans un accident de la route où deux personnes sont mortes. Ou encore, une policière a été prise la main dans le sac dans un vol à l’étalage dans un supermarché.

Les observateurs s’accordent à dire qu’il y a une déchéance en ce qui concerne des policiers. Quelles sont les causes derrière ce déclin ? Une mauvaise politique de recrutement ? Une mauvaise formation ? Une impunité assurée ? Certains policiers croient-ils que tout leur est permis après avoir endossé leur uniforme de policier ? Ranjit Jokhoo, ancien inspecteur de la Major Crimes Investigation Team (MCIT), dit noter que les délits de la part de quelques policiers sapent la confiance du public dans la force policière. Pour Ranjit Jokhoo, « les fautes et les dérapages de certains policiers sont néfastes pour l’image de la force policière dans son ensemble. Il faut un changement dans la mentalité et dans le comportement de certains policiers. » Néanmoins, il tient à saluer le bon travail abattu par d’autres policiers, qui font leur travail convenablement.

Durcir les lois aurait-il un effet dissuasif ? Pour Ranjit Jokhoo, « rendre les lois plus sévères ne changera rien ». Pour lui, « ces écarts de conduite sont dus à un manque de discipline et de supervision sur les policiers ». Il explique que le problème prend naissance sous plusieurs angles, que ce soit pendant le recrutement ou la formation des policiers. « En ce qui concerne le recrutement, il faudrait veiller à prendre des personnes sérieuses dans la force policière, avec le tempérament adapté à faire ce métier », préconise l’ancien inspecteur.

Selon Faizal Jeeroburkhan, observateur politique, «il y a actuellement un gros chamboulement au niveau de la police, et c’est un problème très complexe ». Il devait ensuite aborder les raisons de ce chamboulement. Premièrement, la formation des policiers comporte une lacune de taille, car le simple partage de connaissances n’est pas suffisant. « La formation que reçoivent les nouvelles recrues est focalisé sur ce qu’on doit faire. Ce n’est pas une formation complète car il n’a pas d’impact approfondi sur la façon de penser ou le comportement des recrues », avance l’observateur politique. Selon lui, pendant une formation, l’objectif ne doit pas être seulement le partage des connaissances mais il faut s’assurer qu’il y a une transformation complète de la personne.

L’observateur politique lance ainsi sans ambages que « si zot enn voler, zot pou reste enn voler ! », car la partage des connaissances n’a pas d’effet sur ce type de personnes. Les policiers savent ainsi ce qui est légal ou illégal, mais certains vont quand même commettre des entorses à la loi. « La raison dernière est qu’il n’y pas cet engagement ou ce respect pour son travail », analyse-t-il.

Deuxièmement, il y a le leadership au niveau de la police. Pour Faizal Jeeroburkhan, si les supérieurs constituent un mauvais exemple, alors ce n’est pas étonnant que les policiers au bas de l’échelle fassent la même chose, voire pire. « Ainsi, les policiers qui sont fautifs sont bien protégés au niveau de leur hiérarchie. Ces derniers ne craignent rien car ils ont l’assurance qu’ils s’en tireront, sans aucune sanction », dénonce-t-il.

Troisièmement, « l’omniprésence de l’impunité » dans le pays est un facteur de taille. Faizal Jeeroburkhan maintient qu’il y des « centaines » de policiers qui sont suspendus de leurs fonctions, après avoir commis des entorses graves aux lois mais qui reçoivent encore leurs salaires. « Comme les policiers savent qu’ils ne risquent pas grand-chose, alors ils n’hésitent pas à enfreindre les lois », dit-il.

Quatrièmement, les mœurs se sont complètement dégradées dans la société en général. « La moralité n’existe plus et n’a plus de valeur. Les gens veulent tout acquérir facilement », regrette-t-il. Ce dernier fait référence à ce qui se passe actuellement à la tête du pays pour illustrer ses propos. Selon lui, on peut constater que nos dirigeants utilisent mal le pouvoir qui leur a été conféré, par exemple, « en camouflant la vérité et en protégeant des assassins ». Ainsi, dans ce contexte, « pour certains policiers, avoir le pouvoir conféré par l’uniforme veut dire que tout est permis », condamne Faizal Jeeroburkhan.

Pour couronner le tout, de plus en plus, les citoyens perdent leur confiance dans la force policière. Pour Faizal Jeeroburkhan, auparavant, les gens craignaient et respectaient la police, un sentiment qui est bien plus mitigé de nos jours. Pourquoi cette érosion ? Notre interlocuteur prend comme exemple le fait que les policiers doivent agir indépendamment des politiciens, mais les évènements récents démontrent clairement que cela est loin d’être le cas. Un autre exemple : vu qu’il y a plusieurs policiers impliqués dans les affaires de drogue, les gens se demandent alors si les policiers ont la capacité de traiter ces affaires et de mettre fin au trafic de drogue à Maurice. « La façon d’agir des policiers décourage les personnes de s’approcher d’eux ou même de leur faire confiance », renchérit Faizal Jeeroburkhan.