Pot de terre contre pot de fer

Expropriation des terres

Le dossier de la semaine est consacré à l’expropriation des terres par le gouvernement. Récemment, des terres ont été expropriées et des maisons ont été détruites à La Butte et à Cité Barkly sur le tracé du projet Metro Express. Ces expropriations et démolitions ont été sous les feux des projecteurs et ont été hautement médiatisées. Si l’expropriation reste un mal nécessaire, la façon de faire est hautement discutable. En effet, les compensations payées sont inadéquates et ne représenteraient pas le « market value » du terrain exproprié. En outre, certaines personnes attendent des années avant de recevoir leur compensation et certains parlent même de discrimination en termes de paiement. Le comble, plusieurs personnes sont dépossédées de leurs terres pour des projets qui n’aboutissent pas… La Land Acquisition Act doit être revue car le citoyen qui est spolié doit livrer une bataille juridique à la David et Goliath, où il ne peut faire face à des procédures longues et coûteuses.

 La Land Acquisition Act de 1973 donne le pouvoir au gouvernement d’exproprier une personne pour un projet d’intérêt national, et cela ipso facto, après les publications dans le Government Gazette et les formalités d’inscription au cadastre. La personne qui est soumis à une mesure d’expropriation peut la contester en Cour suprême mais seulement sur des point de droits, c’est-à-dire qu’elle ne peut contester le bien-fondé du projet lui-même.

La loi prévoit une compensation, comme déterminé par un ‘Board of Assessment’, qui est présidé par un juriste nomme par le chef-juge. Le président est assisté par deux assesseurs nommés par le ministre de tutelle. La personne expropriée peut faire appel de toute décision du ‘Board of Assessment’ devant la Cour suprême. Des procédures longues et coûteuses dont seulement un petit nombre de personnes dépossédées peuvent faire face.

Land Acquisition Act : une loi dépassée qui permet les expropriations abusives

Pour Me Veda Baloomoody, en charge du dossier des Terres et du Logement au shadow cabinet du MMM, « Il est impératif de revoir la Land Acquisition Act ». Il déplore que la Land Acquisition Act est une « one-sided law » qui donne trop de pouvoirs au gouvernement tandis que le citoyen ne peut lutter efficacement contre le fait d’être exproprié devant une cour de justice. « Dans le cas de gens expropriés de leur terre pour la réalisation du Metro Express, le gouvernement a agi de façon autoritaire. Il n’y a pas eu de dialogue ou de négociations. Le gouvernement n’a fait qu’appliquer durement la loi », affirme Veda Baloomoodee.

Il fait  en outre ressortir que les procédures pour poursuivre un gouvernement en cas d’expropriation sont longues, compliquées et coûteuses, alors que les personnes expropriées sont souvent des gens au bas de l’échelle sociale qui ont dû suer pendant des années pour pouvoir construire une petite maison. « Il faut absolument revoir cette loi qui date de 1973 et rendre plus souples les procédures. Il faut qu’il y ait un meilleur délai de négociation entre les autorités et les personnes dont les maisons ou les terres ont été expropriées ».

 On fait l’impasse sur la dimension sociale du problème 

Pour le travailleur social Salim Muthy, l’expropriation est un mal nécessaire mais qui doit toutefois se faire « dans le respect de la dignité humaine ». Pour lui, « Tous les gouvernements qui se sont succédé, que ce soit le Parti travailliste (PTr) ou le MSM au pouvoir, ont exproprié des terres pour des projets d’envergure. Mais cela a toujours été fait d’une façon qui a causé du tort à autrui. » 

Les problèmes humains liés aux expropriations ont été mis en évidence pour les étapes initiales de la construction du Metro Express. Dans notre dernière édition, nous avions ainsi fait état de plusieurs personnes à La Butte dont les maisons ont été démolies pour le Metro Express et qui dormaient entassées dans un abri de fortune. Ces familles ne voulaient pas partir pour un terrain à Pointe-aux-Sables, vu qu’elles ne pouvaient faire construire de maison là-bas dans un délai si court. Certains n’avaient même pas les moyens de déménager. Comme ils nous avaient expliqué : comment partir pour un endroit où il n’y a pas d’eau courante ni d’électricité ? Leur appel au gouvernement : de les héberger provisoirement jusqu’à ce qu’ils puissent bâtir une maison. Or, le gouvernement continue de faire la sourde oreille. On peut prévoir que bien d’autres personnes connaitraient le même sort avec la progression du Metro Express.

Ainsi, il serait souhaitable que le gouvernement fasse preuve de plus de célérité dans le paiement des compensations, et donne une priorité aux ‘hardship cases’. Si le projet n’est pas une urgence, on devrait donner des préavis plus raisonnables aux gens, les héberger provisoirement, et impliquer la National Empowerment Foudation (NEF) pour les aider à reconstruire ce qu’ils ont perdu. Tout ce qui a toujours fait défaut durant les expropriations à Maurice.

Une compensation inadéquate

La compensation que l’État paye aux personnes dépossédées est-elle adéquate ?  Selon Salim Muthy, dans plusieurs cas, les différents gouvernements ont fait preuve de lourdeur avant de payer. « Les planteurs de Riche-Terre et de Terre-Rouge, qui avaient été délocalisés dans le cadre du projet Tian Li, n’avaient reçu à l’époque que Rs 100 000. Il a fallu deux grèves de la faim pour qu’ils reçoivent une compensation financière adéquate, soit entre Rs 400 000 et Rs 600 000. Les planteurs attendent toujours de recevoir les 110 toises de terrain qui leur avait été promises en échange. »

Selon lui, ce sont toujours ceux qui perdent leur maison ou leurs terres qui en sortent perdants, vu que l’État peut acquérir ces terres pour une bouchée de pain mais va les revendre aux promoteurs, comme dans le cas des planteurs de Terre-Rouge, au prix de leur valeur actuelle.

Me Veda Baloomoody fait ressortir que la Land Acquisition Act ne prévoit aucun ‘moral damages’. « Il est vrai que la Land Acqusition Act prévoit une compensation pour les gens dont les terres ont été expropriées. Mais ce n’est qu’une compensation monétaire sans aucune considération quant à l’aspect humain. »

 Les personnes expropriées que nous avons interrogées nous expliquent que dans bien de cas, ils ont dû attendre pas mal de temps, dans certains cas, des années, avant de recevoir leur paiement.  Certains parlent même de discrimination vu que certaines personnes expropriées recevraient plus, ou plus vite, leur compensation.

Suraj Fowdar « J’attends toujours »

 

En 2011, le ministère des Terres et du Logement réqui

sitionnait les terres de Suraj Fowdar pour la construction du tronçon Terre-Rouge/ Verdun. « Certaines personnes ont reçu leur compensation en trois jours seulement. Moi, j’attends toujours. On m’a dit de retirer le procès que j’intente au gouvernement, et ce n’est ensuite que je recevrai le paiement. On m’a offert Rs 5,1 millions, ce qui est nettement insuffisant par rapport  à ce que d’autres personnes ont gagné », dénonce Suraj Fowdar.

Paradoxalement, L’État débourse des millions en termes de compensation

Le gouvernement mauricien a décaissé plusieurs millions de roupies comme compensation pour les personnes dont les terrains ont été réquisitionnés pour la mise en chantier de divers projets, comme décrit dans le tableau ci-dessous.

Projet Montant décaissé comme compensation
1 Metro Express Rs 316 818 718,40
2 Construction de la route Forbach/ Bel-Air Rs 92 127 210,29
3 Construction de la Ring Road Rs 39 332 322,47
4 Construction de la route Terre-Rouge/ Verdun Rs 16 373 087,38
5 Réalignement de la route de Solitude Rs 6 692 742,83
6 Rénovation du réservoir La Ferme Rs 4 143 369,97

 

Des personnes expropriées pour des projets qui n’aboutissent pas

L’injustice criante des expropriations : des personnes qui sont bel et bien expropriées mais au final pour rien, car les projets n’ont pas abouti.

Ainsi, il y a eu les planteurs de Terre-Rouge qui ont été dépossédés pour le projet Tian Li, qui par la suite n’a pas été réalisé. Salim Muthy explique qu’en 2007, le gouvernement avait vanté ce projet à hauteur de Rs 27 milliards avec la création de 35 000 emplois. « On a vite constaté que ce projet n’était pas fiable, mais le gouvernement avait décidé de continuer. » 

Notons aussi le projet du Harbour Bridge, qui voulait relier les deux extrémités de la baie de Port-Louis, et le projet Neotown. En 2011, plusieurs habitants de Les Salines ont été contraints de quitter leurs maisons, qui constituaient un obstacle pour le Harbour Bridge. Au total, 63 portions de terres ont été réquisitionnées. Le gouvernement a dû débourser au total  Rs 65 330 111,72 comme compensation.

Résultat final : des personnes expropriées avec une compensation inadéquate (mais où paradoxalement l’État a déboursé plusieurs millions) et un projet non abouti. « Ces projets n’ont pas été réalisés et beaucoup de personnes se sont retrouvées du jour au lendemain sans un toit. Il est vrai que des compensations ont été payées. Mais ce n’est pas facile de quitter une maison que l’on a construite à la sueur de son front, après d’innombrables sacrifices », explique Salim Muthy.

Témoignage

« Je suis devenu squatter pour un projet qui n’a pas abouti » 

À Riche-Terre, plusieurs planteurs sont devenus des squatters à cause du projet Tian Li (renommé par la suite Jin Fei et Sin Jin). L’État, ayant exproprié leur terre, leur avait promis en échange un autre terrain. Toutefois, jusqu’à présent et cela depuis 2009, plusieurs planteurs, à l’instar de Marie Aurela Edouard, attendent leur dû. « Il est triste qu’à n’importe quel moment, on peut  vous déposséder. Vous vous retrouvez dans un cauchemar où vous n’arrivez pas à vous en sortir. Vous devenez du jour au lendemain un squatter et vous attendez qu’on vous donne le lopin de terre promis. Cela fait des années que nous attendons », dit-elle.