Après une carrière de 43 ans dans la police, Dev Jokhoo a été nommé commissaire des prisons. À 72 ans, il succède à Jaganaden Rungadoo et prend les rênes d’un système pénitentiaire en crise. Ancien directeur du National Security Service (NSS), il est expert en matière de sécurité et de renseignement. Mais le défi est de taille.
Le paysage carcéral mauricien est confronté à une série de problèmes : trafic de drogue, circulation de téléphones portables et d’objets prohibés, complicités internes et sous-effectif chronique. Face à cette réalité, la nomination de Dev Jokhoo suscite de grandes attentes. Il lui faudra rétablir l’ordre, renforcer les dispositifs de sécurité et revoir les mécanismes de contrôle.
Dans un message officiel adressé au personnel, il a d’emblée affiché sa détermination. Évoquant les lacunes soulignées dans le rapport de la Commission d’enquête sur la drogue de 2018, il a reconnu que certaines critiques étaient justifiées. « Je ne tolérerai aucune violation de la Reform Institution Act, du code de discipline ou du règlement des prisons », a-t-il déclaré, annonçant une politique de tolérance zéro à l’égard des dérives internes. Il a également insisté sur l’importance du professionnalisme, de l’éthique, et du respect des droits fondamentaux des détenus.
Le nouveau commissaire souligne aussi le rôle fondamental des établissements pénitentiaires dans la réinsertion. « Notre devoir est de protéger leurs droits et de respecter leur dignité, tout en leur offrant les moyens de se reconstruire », a-t-il rappelé. Il s’est engagé à garantir un environnement de travail plus sûr pour les officiers, tout en appelant à une conduite irréprochable. « Mettons nos efforts en commun pour bâtir une société plus juste, où chacun peut vivre et travailler en paix », a-t-il ajouté en guise de conclusion, d’un ton ferme et rassembleur.
Dans un entretien accordé à Sunday Times, Dev Jokhoo s’est montré reconnaissant mais lucide. « J’ai bien accueilli cette nomination. Je remercie le board qui m’a nommé, avec à sa tête le Premier ministre, pour la confiance qu’ils m’ont accordée. Pour moi, c’est un challenge : prouver qu’ils ne se sont pas trompés dans leur choix. Je continue à travailler, et je ferai honneur à la profession. »
Interrogé sur les priorités immédiates, il a mis l’accent sur l’entrée d’objets interdits dans les prisons. « C’est un problème bien connu. Pas plus tard que vendredi, un détenu utilisait un téléphone portable pour communiquer avec des témoins de son affaire, ce qui nuit à l’enquête en cours. » Le téléphone, désormais saisi, est en cours d’analyse. « Il va nous livrer ses secrets », promet-il.
Concernant les transferts d’argent illicites en milieu carcéral, il déplore le manque de vigilance. « Des commandes sont passées depuis la prison, et les paiements effectués via Juice. Les banques ont pourtant l’obligation d’alerter la FSC ou la Banque de Maurice en cas de transactions suspectes. Pourquoi ne le font-elles pas ? C’est la grande question. »
Parmi les enjeux les plus urgents figure aussi la situation des détenus en attente de jugement. « Il y a presque deux tiers des prisonniers qui n’ont pas encore été jugés. Soit l’enquête prend du retard, soit les audiences sont sans cesse repoussées. Ces prisonniers-là sont frustrés. Il faut les juger une bonne fois pour toutes, savoir s’ils sont coupables ou innocents. » Il prévoit ainsi de solliciter le Master and Registrar et l’Attorney General afin de voir comment accélérer le processus.
Dev Jokhoo adopte aussi une approche résolument sociale sur la question de la réinsertion. « Pour moi, les détenus sont des victimes de la société. Ils ne sont pas incarcérés pour être punis, mais pour être réhabilités et réintégrés. » Il évoque notamment un projet destiné aux femmes incarcérées : « On nous a proposé des machines à coudre industrielles. Les femmes pourront fabriquer des articles artisanaux que l’on exposera ou vendra. À leur sortie, elles auront travaillé et gagné un peu d’argent. Moi, je pense ainsi : ‘I’m going to win them for my cause’. »
Quant au fléau de la drogue, il reste discret sur sa stratégie, mais laisse entendre qu’une opération d’envergure est en préparation. « C’est le plus gros problème. J’ai ma manière d’agir, et je garde jalousement mon projet. Vous en entendrez parler d’ici une quinzaine de jours. »
Il nuance par ailleurs l’idée d’une surpopulation systémique : « Certains disent que les prisons sont surpeuplées. Non, on a encore de la place. Mais si le nombre de ‘remand prisoners’ continue d’augmenter, il faudra peut-être envisager une nouvelle prison dans le Nord. » Il rappelle qu’un projet d’établissement existait pour le Sud également, à Rose-Belle ou Plaine Magnien, mais que celui-ci est toujours en attente.
Enfin, concernant le personnel pénitentiaire, souvent confronté à des conditions difficiles, des démarches ont été entreprises. « Une réunion avec le PRB était prévue ce mercredi, mais elle a été reportée à cause du mauvais temps. Nous avons déjà soumis un mémorandum. Je pense pouvoir convaincre le PRB de les récompenser », conclut-il.