Quand les ‘shelters’ sont source de dangers pour les enfants maltraités

Depuis des années maintenant, plusieurs abris opèrent à Maurice. Ces abris  prennent en charge les enfants ayant subi des maltraitances de la part de leurs parents. Cependant, un phénomène d’insécurité et de laisser-aller gagne du terrain dans les shelters.  Fugue, maltraitances, drogue… autant de problèmes qui guettent les enfants qui sont placés dans ces refuges. Où se situerait le problème ? Gestion défaillante ? Manque de formation du personnel ? Manque de ressources ? Tant de carences qui sont pointées du doigt, tandis que le ministère responsable de ces shelters cherche toujours une solution à long terme.

Marwan Dawood/ Sharone Samy/ Chitanjal Goolaup

Il existe à Maurice 20 shelters où résident quelque 544 enfants de tout âge, selon les chiffres du ministère de l’Égalité des genres et de la protection des enfants. Ce ministère compte une section visant à mieux protéger les enfants, la Child Development Unit (CDU). Cette unité opère à travers un réseau de six avant-postes, portant une assistance aux enfants victimes de violence physique, sexuelle ou encore psychologique. Outre assurer la sécurité des enfants et les visites à domicile, la CDU fait également un accompagnement dans les shelters.

Notons qu’il existe à Maurice une panoplie de services offerts par le ministère pour aider les enfants en détresse. En dernier recours, les victimes sont placées dans des Residential Care Institutions, afin de garantir leur sécurité. Ce sont des établissements non gouver­ne­mentaux qui travaillent en collaboration avec la CDU. Leur but est d’agir comme passerelle. L’enfant est pris en charge pendant un certain temps, avant d’être renvoyé dans sa famille. Le Foster Care System (FCS) permet aux enfants victimes de mauvais traitements et/ou de négligence de vivre dans une famille de substitution à titre temporaire. Le Child Mentoring Programme est destiné aux enfants de 10 à 16 ans ayant des problèmes comportementaux. Cela leur permet d’établir des relations positives avec leur famille et la société. Il y a également l’Atelier partage parents (APP), qui forme les parents.

Les jeunes fugueraient-ils par peur ? 

La fugue de trois enfants d’un shelter à la Tour Koenig le dimanche 17 juin dernier vient remettre en cause la sécurité au sein des shelters à Maurice. En effet, trois mineurs âgés de 10,12 et 13 ans respectivement s’étaient enfuis du shelter La Colombe pour « aller faire un tour ».  L’absence de ces enfants a été découverte par un employé, qui aurait ensuite alerté la police. Selon les informations recueillies, ces enfants ne seraient pas à leur première fuite.

Sous le couvert de l’anonymat, un ancien employé d’un shelter se livre.  « Kifer bane zenfan la sauvé ? Zot bizin dire zot à l’abri endan. Kifer zot envi ale dehors ? », se demande-t-il. Ce dernier se rappelle une scène dramatique qui lui marquera à vie. « Mo rappel enn tanto, bane responsables la ti mett bane zenfants a zenou get miraille pou puni zot. Kifer ? Tou sala contribué pou fer zot sauvé, mais kan dehors zot trouvé pli difficile, zot retourné », dit-il.

En début d’année, il y a eu le cas de six adolescentes, dont trois accompagnées de leurs bébés, qui avaient fugué du centre d’accueil Oasis, à Grande Rivière Nord-Ouest.  Cette fugue n’avait pas laissé les autorités insensibles.

Le Fact-Finding Committee institué en 2015 pour faire la lumière sur la maltraitance des enfants dans les abris a établi certains faits graves. Parmi eux, trois mineures qui avaient fugué d’un shelter en 2013 car elles étaient battues. Trois autres cas d’agression similaires avaient été rapportés en l’espace de deux jours après cet incident. En mars 2014, un Shelter Manager avait été arrêté sous une accusation de causing child to be sexually abused. Le 18 octobre 2015, un mineur a tenté de se suicider après avoir été maltraité par un membre du personnel d’un shelter.

Sécurité renforcée pour prévenir les fugues

Pour rappel, il y avait une grande réunion des éléments du National Children’s Council, de la Brigade des mineurs, de la police régulière et des officiers du ministère de l’Égalité des genres. Tout ce beau monde s’était réuni sous la présidence de la ministre Roubina Jadoo-Jaunboccus pour veiller à ce que les fugues ne se reproduisent plus. De ce fait, en cas de fuite ou de fugue des pensionnaires, les membres du personnel devaient savoir quoi faire ou qui contacter au cas où le manager serait en congé ou pas disponible.

Une équipe spéciale a été constituée pour faire un état des lieux de la situation qui prévalait dans les Child Day Care Centres et les Residential Care Homes. D’autant plus que les quelque 550 enfants qui y résidaient sont abandonnés ou négligés par leurs parents ou encore, ont été abusés physiquement ou sexuellement. Cette équipe avait pour objectif de faire respecter les dispositions des Welfare and Protection of Children Regulations de 2000. Parallèlement, un comité technique, comprenant des représentants de divers ministères, a été institué afin d’étudier les implications liées à la réinsertion de ces enfants dans la cellule familiale.

Situation dans les shelters : la surpopulation inquiète

Après les récentes fugues dans les shelters, la ministre de l’Egalité des genres, du développement de l’enfant et du bien-être de la famille, n’a pas tardé à réagir. Vu que la population dans les shelters devient un problème, il a fallu trouver une solution au plus vite. « Après ces incidents, je me suis rendeu sur place pour m’enquérir de la situation. Plusieurs rapports ont été rédigés et approuvés. Nous avons mis sur place un nouveau système afin que ces incidents ne se répètent pas, » nous a-t-elle fait comprendre.

En effet, la surpopulation dans ces shelters devient un problème, et c’est à ce moment que les problèmes surviennent : petits clans, bagarres, mauvaise entente, bref, de quoi rendre le travail des responsables très difficile. Le decrowding est la meilleure façon pour rendre le travail d’encadrement plus facile.

Un shelter n’est pas un centre de détention, mais plutôt un endroit où l’enfant apprend à mieux vivre et reçoit un encadrement qu’avant, il ou elle n’avait pas. Réduire au maximum le nombre des jeunes et les aider à réintégrer leur famille, allège le travail des accompagnateurs. Ainsi, des activités sont organisées afin que l’enfant bénéficie d’une meilleure attention. « Désormais, avec moins d’enfants et une meilleure réintégration dans la famille, nous sommes plus aptes à organiser des activités auprès des enfants, afin de promouvoir le one-to-one attention. Le travail ne s’arrête pas là toutefois », nous fait comprendre la ministre.

À savoir qu’un nouveau centre de réhabilitation a été énoncé dans le récent budget. Ce nouveau centre, au coût de Rs 60 millions, va venir soulager le problème de surpopulation. « Bientôt, il y aura un shelter moderne à Pointe-aux-Sables. Ce projet vient nous soulager. Nous allons démarrer la construction très bientôt et nous allons lancer les appels d’offres très prochainement », nous dit-elle.

Formation inadéquate ou inexistante du personnel des shelters

Ne devrait-il pas y avoir une formation pour ces personnes qui travaillent dans ces centres de réhabilitation ? C’est ce que ce demande Giselaine* (prénom modifié), une employée qui a tenu à garder l’anonymat. « Sa bann zenfan ki isi la, zot pa parey kuma tou zenfan. Zot bizin enn latension special ek bizin kone kozer avek zot. Ena bann ceki pas koner ki manier pou apros zenfan la. Mo penser ti bizin fer enn formation avek bane ceki travay dans centre », nous dit-elle.

Quand les parents n’ont pas le choix

En attendant, on essaie tant bien que mal de porter une aide à ces enfants. Maryse, une habitante de Sainte-Croix, a préféré confier sa fille, aujourd’hui âgée de 14 ans, à la CDU en 2017. « Ti nepli kapav avek li. Komier fois mone essaye fer li comprend, mais li pas ecouter. Li rest kozer mem, li fer ceki li envi, li sorti, li retourner ler li envi, li pas possible. Avek la vie zordi zour kot pe aller, ou kroir ou tifi pas en danzer ? Ena saki pou profite so faiblesse ek fer li dimal… Monn fer mo possible kuma enn mama, mais li pane ecouter. Dernier fois, line rod suicider ek mem bat so papa kan nu rod ramene li a la raizon, mais li pas ekuter. Apres monn decide pou fer CDU koner », nous dit-elle en sanglots.

L’absence de sa fille dans sa maison aujourd’hui lui fait mal, mais elle n’a pas eu d’autre choix et souhaite qu’aucun parent n’ait à vivre cela. « Mo pas dire mo pena tort, kapav kan line bizin mwa mo pane la, ou mo pas fine donne li tou mo lattension, mais mo pas souhaite sa a oken parents. Mo dir zot pas delaisse zot zenfan. Get li ek donne li tou zot lattension. Fer ki so lenviroman enn plas kot li bien », nous raconte-t-elle.

Émilie: « Zot lager, zot baté, personne pa vin tiré »

Émilie (prénom modifié), âgée de 15 ans, une habitante d’un village du Nord, a passé deux semaines au Rehabilitation Youth Centre (RYC), alors qu’elle avait été qualifiée de ‘Child Beyond Control’ lors de sa comparution en cour juvénile. C’étaient ses propres parents qui l’avait dénoncée à la Child Development Unit (CDU), pour son mauvais comportement et parce qu’elle volait fréquemment l’argent de sa mère. « Si mo pa kokin larzan, mo pa ti pe senti mwa byen », témoigne-t-elle.

Le jour où elle s’est rendue au centre, elle était escortée par une policière en civil dans un véhicule de la police. Parmi, se trouvaient d’autres mineures dont la détention avait été ordonnée par la cour.

C’est avec amertume qu’elle relate l’expérience traumatisante qu’elle a vécue au centre censé réhabiliter les jeunes. Lors de son séjour, elle a assisté à plusieurs bagarres, subi des insultes et vécu dans une atmosphère qu’elle qualifie de cauchemardesque. « Mo pas envi retourne laba, ena ban clans. Mo senti moi tousel. Ban lezot tifi ki laba bien mové. Zot lager, zot baté, personne pa vin tiré », relate-t-elle, toujours horrifiée.

La peur d’y retourner un jour dans ce milieu l’a totalement changée. Elle a bien appris la leçon : depuis, elle passe son temps à étudier.