Questions à… Chandan Jankee, ambassadeur de Maurice en Russie

« Maurice doit se préparer à faire face aux grands changements économiques et diplomatiques »

Q : Quelle est la position de Maurice vis-à-vis du conflit Russie-Ukraine ?

Le Premier ministre a clairement dit qu’il est contre la guerre. Il a lancé un appel de paix, en souhaitant que la raison prime. Selon les dernières informations d’ailleurs, il se peut qu’il y ait des ‘peace talks’. Nous le souhaitons vivement.

Q : Il y a une crainte par rapport à la sécurité des Mauriciens bloqués en Ukraine. Avez-vous pu les retracer ou avoir de leurs nouvelles ?

Le problème, c’est que nos compatriotes ne s’inscrivent généralement pas auprès de l’ambassade. Nous ne savons donc pas le nombre exact de Mauriciens qu’il y a en Ukraine. Selon les statistiques que j’ai pu avoir, nous en avons à peu près 20, dont des étudiants. Depuis deux semaines, l’ambassade a vainement tenté d’entrer en contact avec eux.

Il n’y a eu que quatre étudiants en médecine qui m’ont contacté. Deux d’entre eux ont préféré aller en Angleterre alors que les deux autres sont restés sur place et ils sont en sécurité. Il y a une possibilité que leur université mette un moyen de transport à leur disposition pour les envoyer sur les frontières de la Pologne, mais ils n’ont pas encore pris de décision.

Pour notre part, nous demandons à tous les Mauriciens de ne pas sortir et de rester en sécurité. Dès que l’opportunité se présentera pour leur venir en aide, nous le ferons avec la collaboration des pays amis.

Q : Il y a aussi le cas du mauricien Kevin Allagapen qui interpelle. Êtes-vous en contact avec lui ?

Oui. L’ambassade le recherchait depuis deux semaines, mais ce n’est qu’hier (ndlr : jeudi) que j’ai pu le contacter à travers un journaliste. Il a fait une requête officielle, que j’ai transférée au ministère des Affaires étrangères, pour être rapatrié en compagnie de sa petite amie ukrainienne et de son enfant. Pour l’instant, ‘nou ena laguerre, aéroport fermé, pena logistiques, li difficile’. Je lui ai conseillé de rester en sécurité dans son bunker. Je comprends son angoisse, mais il n’y a rien qu’on puisse actuellement faire. Dès que la situation le permettra, nous enclencherons des démarches avec des pays amis pour l’aider. Je demande également à ceux qui n’ont pas encore pris contact avec nous de le faire.

Q : Avez-vous des informations sur l’évolution de la situation en Ukraine ?

Non, toutes les informations que je reçois, c’est à travers la presse et nos compatriotes qui sont en Ukraine. J’espère de tout cœur qu’il y aura des ‘peace talks’ entre les deux parties.

Q : Quelles seront les répercussions de ce conflit Russie-Ukraine ?

En tant qu’ambassadeur, je trouve dommage qu’on en soit arrivé là. Les répercussions seront plutôt d’ordre économique. L’Amérique et l’Europe ont déjà commencé à appliquer des sanctions contre la Russie sur le plan bancaire et boursier. D’après les informations, des sanctions concernant l’exportation des produits technologiques vers la Russie sont aussi à l’ordre à jour.

Les économistes craignent une baisse du taux de croissance et une hausse du coût de production. Il y aura aussi une interruption au niveau du ‘supply chain’. Puisque la Russie est un grand producteur, dont du gaz et de l’huile, le prix et l’inflation seront forcément impactés.

Outre les incertitudes au niveau économique, il y aura également un gros problème sur le plan diplomatique. Il y aura deux blocs : l’OTAN et l’Amérique qui maintiendra ses sanctions. De plus, on ne sait pas quel sera le positionnement d’autres pays, dont la Chine et l’Inde, envers la Russie.

En tant qu’économiste, je peux vous dire qu’un nouvel ordre économique se dessine et qu’un bouleversement est inévitable. Le système financier sera définitivement affecté avec le blocage des transferts d’argent avec la Russie. J’anticipe de gros problèmes à l’horizon.

Et puis, on ne sait pas comment l’intégration entre l’Ukraine et la Russie se fera. Tout cela reste à voir. Ce qui est sûr, c’est que nous aurons un bouleversement du système financier et il y aura beaucoup d’incertitudes et d’impacts géopolitiques au niveau mondial.

Q : Maurice est-il à l’abri de l’impact de ce conflit ?

Définitivement non. Comme je l’ai dit, nous prévoyons une baisse de la croissance au niveau mondial, l’inflation nous impactera et il y aura une interruption dans le ‘supply chain’. Il faudra s’attendre à beaucoup de volatilité des taux de change sur le marché international. Ce qui impactera la bourse internationale et le système financier.

Nos marchés d’exportation seront également affectés. Idem pour le tourisme. De plus, si le prix du pétrole continue de grimper, ce sera néfaste pour l’économie mauricienne. Les prix des denrées que nous importons accuseront également une hausse. Finalement, nos secteurs tels que l’immobilier et l’investissement étranger seront affectés.

Mais Maurice doit se préparer à faire face aux grands changements économiques et diplomatiques au niveau mondial. Il doit voir de quelle façon il pourra prendre avantage des opportunités futures. Nous pourrions, par exemple, attirer des investissements russes vers Maurice.

Propos recueillis par Zahirah RADHA