Q : Comment qualifieriez-vous le dernier budget présenté par le ministre des Finances Renganaden Padayachy sous le présent mandat ?
Je dois d’abord préciser qu’un budget est censé être un plan du projet ou de la vision économique d’un gouvernement pour le pays. Il doit élaborer les grands axes prioritaires visant à créer la richesse et augmenter le Produit Intérieur Brut (PIB). Or, en tant qu’économiste, je suis resté sur ma faim avec le dernier exercice budgétaire de ce mandat. Ce budget est basé sur la même philosophie que les précédents budgets de ce gouvernement. Il est dépourvu de vision économique.
Q : Diriez-vous que c’est un budget plus électoraliste qu’autre chose ?
Écoutez, le discours a duré pendant plus de deux heures, mais ce n’est que vers la fin, soit durant les trente dernières minutes, que le ministre des Finances a annoncé les mesures sociales. Et il a choisi de le faire en français, quoique c’est son choix personnel. Il avait soutenu lors de ses interventions pré-budgétaires qu’il serait guidé par trois axes principaux : l’économie, le social et l’environnement. Mais en réalité, il ne s’est focalisé que sur le social. Il a annoncé plusieurs mesures sociales, mais aucune mesure visant à jeter les bases d’une économie durable et soutenable. Et ce, en dépit de son ambition affichée d’amener le pays vers une ‘one-trillion economy’.
Q : Est-ce donc irréalisable ?
J’ai entendu des mots comme Masterplan, Blueprint et Feasibility Study, mais il n’y a pas vraiment de plan qui va dans ce sens. Rien n’a été dit sur des secteurs clés, tels que les services financiers, qui ont aidé notre économie à garder la tête hors de l’eau durant la Covid-19. Idem pour le secteur technologique. J’aurai du mal à demander à un jeune de rester au pays quand je sais qu’il n’y a rien qui puisse le retenir ici. C’est malheureux. C’est vrai que le ministre des Finances n’a pas retracé l’Atlas de Maurice avec ses projets de drains, comme il l’avait fait la dernière fois. Sans doute parce que le rapport de l’Audit lui a tapé sur les doigts, 96% des drains n’ayant pas été réalisés. Il a néanmoins annoncé 132 nouveaux projets de drains au coût de Rs 3, 5 milliards. Mais, je le maintiens, il n’y a aucun ‘leading sector’ pour l’économie.
Q : Mais allait-il vraiment venir avec des mesures de relance économique en fin de mandat, sachant que le gouvernement ne l’a pas fait durant ses deux mandats ?
C’est bien le ministre des Finances lui-même qui a donné cette impression dans ses discours pré-budgétaires. Il a maintenu qu’il n’y aura pas seulement de mesures « labous dou », mais en vain. Je n’ai rien contre les mesures électoralistes ou protectionnistes, mais on ne peut donner autant qu’on veut que lorsque l’économie va bien.
Q : Ces mesures électoralistes ou protectionnistes, comme vous le dites, ne risquerait-elles pas d’exacerber la spirale inflationniste ?
Si ! On peut distribuer de l’argent quand l’économie va bien et lorsqu’il y a une croissance créée par la richesse et non par les secteurs non-productifs. N’oublions pas que le PIB est actuellement tiré par la construction et les projets IRS. Même si ceux-ci contribuent au PIB, ils ont très peu d’effets multiplicateurs bénéfiques au pays. Tout comme l’année dernière, les allocations CSG créeront une nouvelle fois un effet illusoire. Le travailleur verra son salaire augmenter, mais ce ne sera pas le cas en termes de valeur réelle. C’est regrettable qu’aucune mesure macro-économique ou fiscale n’a été prise pour baisser l’inflation. D’ailleurs, nous devons nous attendre à un cycle vicieux d’inflation. Les prix monteront en flèche. Les Rs 500 et Rs 1000 additionnelles seront vite grignotées par cette hausse des prix. L’année dernière, rappelons-le, les allocations CSG avaient fondu comme neige au soleil. Les consommateurs subiront de nouveau les répercussions.
Q : Au final, on n’est pas sorti de l’auberge sur le plan économique ?
Non, on n’est pas sorti de l’auberge. C’est bien qu’il y ait des allocations sociales pour les catégories vulnérables. Mais il n’y a rien dans ce budget qui vise à améliorer le pouvoir d’achat, l’inflation, et la qualité de la vie. La population aura peut-être plus d’argent nominal en main, mais il y aura une baisse en termes de quantité ou de qualité de produits qu’ils achètent.
Propos recueillis par Zahirah RADHA