Questions à… Kevin Teeroovengadum, économiste : « Nous n’avons plus le droit à l’erreur, sinon c’est le ‘junk status’ qui nous attend »

– « La situation a commencé à s’empirer il y a deux ans de cela. Durant ces deux années, notre ‘rating’ est passé de Baa1 à Baa2 et finalement à Baa3, jeudi. C’est le niveau le plus bas que nous avons connu depuis que Maurice est évalué par Moody’s »

Q : Que pensez-vous de la rétrogradation de Maurice dans le ‘rating’ de Moody’s ?

Ce n’est pas surprenant. Je dirais qu’on l’appréhendait même, au vu de la situation économique actuelle. Il y a, depuis quelques temps, un manque inquiétant de forex sur le marché, poussant la Banque de Maurice à y intervenir de temps à autre. La dépréciation de la roupie se poursuit alors que l’inflation grimpe en flèche. Il faut aussi prendre en considération le fait que les dépenses publiques n’ont point baissé, malgré les nombreux avertissements. La pension a de nouveau augmenté alors que le nombre de pensionnaires ne cesse d’accroître d’année en année. De l’autre côté, le gouvernement est coincé quant à sa politique fiscale, puisqu’il ne peut pas augmenter la TVA afin d’avoir plus de revenus, en raison de la cherté de la vie.

Tous ces facteurs faisaient déjà craindre une mauvaise note de Moody’s. Celle qu’on vient d’avoir est la pire que le pays a connu depuis au moins trois décennies. La situation a commencé à s’empirer il y a deux ans de cela. Durant ces deux années, notre ‘rating’ est passé de Baa1 à Baa2 et finalement à Baa3, jeudi. C’est le niveau le plus bas que nous avons connu depuis que Maurice est évalué par Moody’s. Trois facteurs importants sont relevés dans ce rapport. D’abord, Moody’s se montre sceptique quant aux revenus que le gouvernement vise à engendrer à travers la vente des actifs de l’État, dont ceux de la ‘National Insurance Company’ (NIC) et de MauBank. Ensuite, il ne croit pas en une réduction des dépenses publiques, vu la tendance adoptée par le gouvernement. Et finalement, la ‘Mauritius Investment Corporation’ (MIC) a aussi joué en notre défaveur, puisque la banque centrale l’a maintenu sur son ‘balance sheet’ en dépit des recommandations du FMI et de la Banque mondiale.

Bref, ce rapport résume malheureusement toutes les craintes exprimées jusqu’ici par de nombreux observateurs, analystes et économistes.

Q : Vous ne semblez pas partager le même avis du ministère des Finances qui se targue, lui, d’être resté dans la catégorie des pays à investissements de qualité…

Le ministère des Finances serait plus avisé de se concentrer sur les impératifs économiques que de perdre du temps à faire du ‘spin doctoring’. Il serait souhaitable qu’il se penche sur la relance de l’économie, notamment sur les moyens pour attirer plus d’investisseurs et d’investissements extérieurs directs et la création de l’emploi pour les jeunes au lieu de se lancer dans des exercices de relations publiques qui ne convainquent personne. La réalité, c’est que seul le rapport Moody’s compte aux yeux des investisseurs.

Q : Quelles sont les implications de cette rétrogradation de Moody’s ?

Nous ne sommes désormais qu’à un seul niveau du ‘junk level’. Une autre mauvaise note et nous nous retrouverons avec un ‘junk status’. Nous n’avons plus droit à l’erreur. Avec une note Baa3, cela implique que le niveau de risque du pays est plus élevé qu’il y a deux ou trois ans de cela. En cas de dette contractée à l’extérieur, le taux d’intérêt imposé sera donc plus fort qu’à la normale. En d’autres mots, notre taux d’emprunt augmentera. Les banques seront également ‘downgraded’. Les investisseurs afficheront aussi plus de prudence et pourront opter de transférer leurs dépôts ailleurs afin d’éviter les risques.

Q : Cette notation risque-t-elle donc d’empirer notre situation économique déjà catastrophique ?

Malheureusement oui, surtout au niveau de l’investissement. Cette notation est cruciale lorsqu’il s’agit d’investir dans un pays. Le problème surtout, c’est que Maurice est systématiquement rétrogradé depuis ces dernières années. C’est une mauvaise tendance.

Q : Que faut-il faire pour renverser cette tendance ?

Il faut que le gouvernement réduise les dépenses publiques. Il lui faut aussi trouver des moyens pour augmenter les revenus de l’État, probablement à travers la taxe. Ce qui pose problème toutefois, c’est qu’une révision de la politique fiscale tuera le ‘branding’ de Maurice qui repose, depuis 15 ans, sur une fiscalité légère. Il lui faudra donc trouver de nouvelles sources de revenus. Nous avons besoin que de nouveaux secteurs de l’économie soient lancés car nous n’avons rien eu de nouveau depuis 10 ans. Les autorités passent trop de temps à parler de nouveaux secteurs potentiels, mais la réalité est que nous n’avons rien vu de nouveau qui créerait des emplois, surtout pour la jeune génération et de nouvelles sources de revenus en forex pour Maurice. Il faut passer à l’action et cesser de perdre du temps à faire du ‘spin doctoring’.

Propos recueillis par Zahirah RADHA