Brutalisée par un officier de police au ‘Vacoas Detention Centre’ tard dans la nuit du mercredi 21 décembre 2022, l’avocate Lovena Sowkhee dit s’être sentie humiliée et vulnérable pour la première fois de sa vie. Mais cette ardente défenseuse des droits de la femme et des enfants ne compte cependant pas baisser les bras et sort les griffes en insistant qu’elle ne restera pas tranquille tant qu’elle n’obtiendra pas justice.
Propos recueillis par Zahirah RADHA
Q : En tant qu’avocate, comment réagissez-vous suite à la brutalité dont vous avez été victime de la part d’un policier ?
Pour moi, c’était clair qu’il n’agissait pas comme un policier à ce moment-là, bien qu’il fût en uniforme. Ce qu’il a fait est illégal. Il n’avait ni le droit de prendre mon téléphone, ni le droit de me toucher comme il l’a fait en essayant de m’arracher mon portable. Je me suis sentie humiliée et dégradée. Il a violé mon intimité, et ce en présence des proches de mon client. Le pire, c’est que je n’ai pas pu riposter ou me défendre, sauf que de résister à ses tentatives de m’arracher mon téléphone.
Je ne me suis pas sentie comme une avocate de grande taille, mais comme une petite femme vulnérable qui était en face d’un homme violent qui m’attaquait physiquement. Ce n’est déjà jamais facile pour une femme, qu’elle soit avocate ou pas, de se rendre dans un poste de police le soir, vu les circonstances difficiles et l’atmosphère hostile qui y règnent souvent. Mais ce soir-là, j’étais encore plus vulnérable.
Je sais qu’il y a des collègues avocats qui se sont déjà rendus au ‘Vacoas Detention Centre’ tard dans la nuit. Je ne comprends pas pourquoi l’inspecteur Shiva Coothen (ndlr : porte-parole de la police) a soutenu que c’était une heure tardive. Est-ce qu’une femme avocate ne peut pas voir son client dans un ‘detention centre’ pendant la nuit s’il vient d’être arrêté ? Pour ceux qui ne le savent pas, un ‘detention centre’ n’est pas différent d’une ‘police cell’. Ce n’est que la prison qui est régie par des paramètres.
Q : La ‘Data Protection Act’ est avancée pour justifier son geste parce que vous tentiez de le prendre en photo ?
Il n’y avait rien d’illégal dans ma démarche, puisqu’il n’avait pas de badge et il avait refusé de décliner son identité. Comment aurais-je pu l’identifier autrement ? D’ailleurs, la ‘Data Protection Act’ ne m’empêche pas de le prendre en photo. C’est l’usage qu’on en fait qui est concerné par cette loi. Je n’ai pas atteint à sa vie privée puisqu’il travaillait au ‘Vacoas Detention Centre’. Que la police cesse de trouver des excuses pour justifier ce qu’il a fait alors qu’il a lui-même agi comme un hors-la-loi !
Q : Craignez-vous que d’autres femmes ou personnes ne se retrouvent elles aussi dans une situation similaire ?
Oui, absolument ! C’est inquiétant. Après cet incident, plusieurs personnes, dont des avocates, m’ont appelé pour me dire qu’elles ont également été, pas violentées physiquement comme je l’ai été, mais insultées par des policiers. Il y a beaucoup d’abus de la part de certains policiers. Moi, je l’ai subi malgré que je sois avocate, mais il y a aussi des accusés qui ont subi pire que moi. On l’a d’ailleurs témoigné grâce à certaines vidéos qui ont été publiées sur les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il d’autres vidéos qui n’ont pas pu être publiées ?
Je me pose la question : combien de personnes servent-elles aujourd’hui des sentences suivant des aveux faits sous violence ? C’est très inquiétant. D’ailleurs, dans son message de fin d’année, le cardinal Maurice Piat a affirmé qu’il y a une pente dangereuse entre le policier et le citoyen et qu’il faut construire des ponts pour y pallier. Il a raison.
Q : Comment le Bar Council a-t-il réagi suivant votre agression ?
J’ai parlé au président du Bar Council qui m’a demandé d’envoyer une plainte officielle. Je le ferai incessamment, ayant jusqu’ici été très prise. Nous savons tous que le président du Bar Council avait tout dernièrement été lui-même victime de l’excès de zèle de certains policiers. Mes collègues avocats me soutiennent également et ils sont outrés par l’agression dont j’ai été victime.
Q : Comment expliquez-vous ces attaques répétées que les avocats subissent aux mains de certains policiers ces derniers temps ?
Cela ne concerne pas seulement les avocats, mais aussi des suspects. C’est ce qui se passe quand il n’y pas de signal clair et net de la part du Commissaire de police pour sanctionner les abus. Nous avons tous vu, dans une vidéo, comment il y a eu un cas de ‘planting of drugs’, mais aucune sanction n’a été prise jusqu’ici.
Dans mon cas, la police a fini de trouver une excuse pour justifier l’acte de ce policier avant même qu’il ne donne son ‘statement’. Shiva Coothen (ndlr : du ‘Police Press Office’) ne dit pas si c’est légal ou illégal de ‘rasse téléphone et tourne la main ene avocat’. Je lui demande d’ailleurs de retourner au ‘Police Training School’ pour qu’il apprenne la loi. Il faut qu’il sache qu’un accusé, sauf s’il est en prison, est supposé avoir accès à son avocat sur une base 24/7, d’autant que les policiers arrêtent des suspects à n’importe quelle heure. Les avocats ne travaillent pas de 9h à 4h.
Je tiens à rappeler que l’uniforme de la police est bleu, et non pas orange. Si c’était un avocat du MSM qui avait subi le même sort que moi, je suis sûr qu’une enquête aurait déjà démarré et qu’il y aurait déjà eu des sanctions.
Q : What next ? Comptez-vous saisir l’‘Independent Police Complaints Commission’ (IPCC) ?
Je vais bien évidemment saisir l’IPCC. J’ai déjà consigné une déclaration et je compte faire une ‘further declaration’. Je le poursuivrai également en justice. Ce n’est pas normal qu’un policier agisse de la sorte et qu’il est défendu par des chefs. C’est malheureux que l’image de la police soit aussi ternie parce que certains chefs soutirent des brebis galeuses alors qu’il y a beaucoup d’autres policiers qui font leur travail remarquablement bien.
Chaque larme que j’ai versée me donnera le courage d’aller jusqu’au bout pour obtenir justice. Je ne sais pas si l’IPCC agira parce que je sais que beaucoup d’affaires n’y aboutissent pas, mais je suivrai quand même les procédures. Je ne sais plus, hormis la cour, quelle autre institution fonctionne dans ce pays, tellement il y a une pourriture ‘depi laho ziska enba’. Mais j’ose espérer que dans ce cas-ci, je verrai des résultats.
Les Avengers soutiennent Lovena Sowkhee
Rama Valayden : « Nou pa kapave toléré »
Les avocats surnommés les Avengers se disent solidaires de Lovena Sowkhee. Ils dénoncent l’agression dont l’avocate a fait l’objet. « Seki fine arrive nou consoeur, nou pa kapave toléré », a soutenu Rama Valayden, en rappelant qu’il y a, ces derniers temps, des tentatives pour faire peur à la profession. Lovena Sowkhee travaille au barreau mauricien depuis 25 ans, a-t-il rappelé, en soutenant qu’elle est aussi une militante des droits de la femme et des enfants indépendamment de leur couleur politique et qu’elle avait aussi représenté Simla Kistnen lorsque des clips dégradants contre cette dernière avaient circulé sur les réseaux sociaux. Rama Valayden a également lancé un appel au Bar Council pour qu’il prenne position dans cette affaire. « Bar Council pa bizin atane gayn complaint pou prend position », a-t-il poursuivi.