Propos recueillis par Zahirah RADHA
Q : Le 26 juin a été marqué par la Journée internationale contre l’abus et le trafic de drogue. En tant qu’avocat, mais aussi en tant qu’homme de terrain, quel constat faites-vous de la situation ?
Selon des chiffres que j’ai eus à travers le ‘National Harm Reduction Committee’, il y a 100 000 consommateurs de drogues à Maurice. Donc, 100 000 personnes qui achètent et consomment de la drogue quotidiennement. 100 000 personnes c’est beaucoup pour une population de 1,3 millions habitants. Raison pour laquelle la drogue est considérée comme un business lucratif.
Q : Vous avez des chiffres qui nous permettraient de les départager par catégories ?
Malheureusement non. Mais c’est un fait connu qu’aujourd’hui la drogue affecte tous les endroits, toutes les couches sociales, les jeunes aussi bien que les moins jeunes, des femmes aussi bien que des enfants. Pire, il y a même des enfants de 10 ans qui sont victimes de ce fléau. Pourquoi ? Lorsque vous vivez dans certains endroits défavorisés, il y a naturellement un certain laisser-aller, d’autant que l’État n’a pas de contrôle sur ces habitants, un peu comme au Mexique ou en Amérique Latine. Il y a certains endroits à Maurice où la drogue se vend alors que vous ne l’auriez peut-être pas imaginé.
Q : Par exemple ?
Au Ward IV à Port-Louis par exemple. C’est difficile de croire que de la drogue s’y vend, mais pourtant c’est le cas. Par contre, il y a aussi des faubourgs de la capitale, comme à Port-Louis nord où je laboure le terrain, qui sont ravagés par la drogue. Je parle avec ces camarades qui en sont affectés. Mais tant qu’il n’y aura pas de volonté gouvernementale, rien ne changera. Il faut que les autorités descendent dans ces endroits pour prendre connaissance de leurs problèmes avant d’établir un registre social pour leur venir en aide. S’il faut les délocaliser, délocalisons-les.
Q : Pourtant le Premier ministre a de nouveau affiché sa volonté de « kas le rein » des trafiquants de drogue mercredi. Où est donc le problème ?
Il n’y a pas de volonté politique, surtout durant ces dix dernières années ! Il y a eu une commission d’enquête sur la drogue, avec son lot de recommandations, de séquelles et de corrections au niveau judiciaire, mais ensuite, elle en est restée là.
Q : Le gouvernement se targue d’avoir mis sur pied cette commission et c’est un argument que le Premier ministre avance systématiquement dans le combat qu’il dit mener contre la drogue…
Oui, mais c’est aussi sous son règne que les drogues synthétiques ont fait leur entrée à Maurice. Il n’y a pas de volonté politique d’en venir à bout. Il y a des conférences, comités, statistiques, et puis quoi ? La seule mesure positive, c’est que les usagers de drogue ne sont plus envoyés en prison avant qu’un comité ne se penche sur leur cas pour voir s’ils peuvent être envoyés en réhabilitation ou pas. Mais là aussi, je tiens à préciser que cette provision existait déjà dans la Dangerous Drugs Act de 2000. Sauf qu’elle n’avait jamais été appliquée parce qu’aucune provision n’avait été faite pour sa mise en application.
Q : Revenons sur le cas des faubourgs où la drogue se vend comme des petits pains au vu et au su de tout le monde, sauf celui des autorités. Pourquoi n’arrive-t-on pas à y exercer un contrôle policier ?
Cette situation ne passe pas inaperçue auprès des autorités. Mais il n’y a pas suffisamment de ressources pour résoudre le problème. C’est malheureux.
Q : Quelles ressources ?
La police qui travaille sur le terrain. Il y a 12 000 membres de la force policière. Où sont-ils ?
Q : Pourquoi ne met-on pas les moyens là il faut si le combat est sincère ?
Écoutez, les moyens sont là, mais il faut savoir les utiliser. Un policier ne peut pas être formé à la Police Academy pour se retrouver ensuite à travailler derrière une caisse. Un policier ne peut pas être formé à la Police Academy pour se retrouver ensuite instructeur d’auto-école et donner des permis. Ou pa kapave train ene policier ki pe vey so voisin ki kouler pavillon et ki kouler linge pe sec lor la corde pou li vine raconté. Tout est à refaire au niveau du law and order. Il faut une réforme en profondeur. Vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu’un policier travaille au poste de police, avant d’aller, à un moment donné, donne signale lor la route, ene lot ler li pe galoupe derrière voler et après fer lenket après li mem li alle la cour. Il faut une division du travail. Seki lor coltar reste lor coltar. Seki fer lenket reste dans enquiry pool.
Il faut aussi arrêter de placer des policiers en cour, où ils s’assoient du matin jusqu’au soir. Maintenant que le nombre d’avocats a augmenté, pourquoi faut-il qu’il y ait des Police Prosecutors ? Il est temps d’en finir. Laissez ce soin aux avocats. Pourquoi un Prosecutor est-il toujours entouré d’ene tas gardes en Cour ? On me pose souvent la question : « Is this is a Police State ? ».
Revenons sur la drogue dans les faubourgs de Port-Louis. Au poste de police d’Abercrombie par exemple, les policiers sont là. Le hic, c’est qu’il n’y a qu’un petit groupe qui est désigné pour alle laguer contre ene gros lekip ki pe opérer. C’est comme un one-man army, puisque vous n’aurez que 10 membres de l’ADSU qui iront en guerre contre un groupe de 10 000 personnes. Ce ne sera pas efficace.
Q : Vous avez fait mention de business lucratif au début de cet entretien. Pourquoi les saisies de drogue ne conduisent-elles jamais, ou presque, à l’arrestation des barons ?
Le problème est multiple. Il commence par l’identification de ceux qui sont derrière le business. Il faut qu’il y ait une volonté de détection. Lorsque j’avais déposé à la commission d’enquête sur la drogue, Sam Lauthan, l’un des deux assesseurs, m’avait demandé s’il a un régime d’omerta qui fonctionne. Je pense que oui. Il y a beaucoup de personnes qui assument la responsabilité du trafic de drogue simplement parce qu’elles n’ont pas suffisamment de protection légale qui leur permet de dénoncer le vrai commanditaire.
Prenons l’exemple du cas Kistnen. Si on avait mis une jolie récompense sur la table pour obtenir des informations sur sa mort, l’enquête ne piétinerait pas aujourd’hui. Je trouve malheureux que le Premier ministre ne puisse parler de la mort de Kistnen. Li mem fer boufon lor Kistnen kan li dire telma li truve Kitsnen lor journal ki li ti croire journal laem ki appel Kistnen. Quelle mentalité ! Rien que sur l’affaire Kistnen et le dossier law and order, il s’est disqualifié pour être candidat aux prochaines élections. Il est coupable de son silence sur l’affaire Kistnen.
Q : Dernière question : le réenregistrement des cartes SIM permettra-t-il de résoudre le problème de trafic de drogue ?
C’est un bluff de la part du Premier ministre ! J’ai l’impression qu’il ne réalise même pas qu’au moins un des deux assesseurs de la commission d’enquête sur la drogue a démenti que c’était leur will pour réenregistrer toutes les Sim cards. C’est de la data capture tout court !
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