Questions à… Parvèz Dookhy, avocat

« La police agit comme une Gestapo »

  • « Que le Premier ministre, qui cumule les fonctions de ministre de l’intérieur, dit soutenir les forces de l’ordre, c’est une chose. Mais en même temps, il ne peut pas traiter le simple citoyen de fauteur de troubles et l’écraser par la machinerie policière et de justice »
  • « Pour disperser une foule, un attroupement, la police dispose d’autres moyens. C’est mieux d’utiliser un canon à eau que du gaz lacrymogène dans un quartier d’habitation où il y a des bébés, enfants et personnes âgées »

Q : On a assisté, ces derniers temps, à une série d’arrestations, certaines parce que des élus de village et des habitants ont exigé de parler aux députés et ministres de leur circonscription, d’autres parce qu’ils ont qualifié de « gopia » un maire, entre autres. Ces « incidents » peuvent-ils être qualifiés de « délits » nécessitant une détention policière ?

Dans une démocratie d’inspiration occidentale, les critiques peuvent être virulentes, acerbes et fortes. Nous sommes censés nous inspirer, selon notre Constitution, des normes européennes. Malheureusement, depuis 1968, la réalité est que nous avons considérablement régressé dans l’exercice de nos droits, tels qu’ils sont affirmés par la Constitution. Nos mœurs politiques, au fil du temps, ont évolué, depuis 1968 vers une restriction des libertés, une emprise politique sur l’ensemble des institutions chargées de garantir les libertés. Par conséquent, dans un tel cadre, la police a fini par devenir politisée et infiniment politique dans sa démarche. Elle est sous contrôle direct et est soumis au pouvoir politique en place. Pour répondre à votre question, elle agit comme une Gestapo, chargée de réprimer, tuer dans l’œuf toute contestation politique citoyenne et spontanée ou même sociale.

Q : La police agit-elle dans les paramètres de la loi en ce faisant ?

La police est une institution hors-la-loi souvent. Les juges la condamnent régulièrement. Une affaire qui est dite localement rayée, dans laquelle le juge dit que la police ne peut plus continuer son enquête parce qu’elle a échoué caractérise un abus de la police et c’est la raison pour laquelle le mis en cause engage, par la suite, une action contre cette même police pour dommages et intérêts, ce qui nous coûte de l’argent. La police maîtrise mal les paramètres du droit, le cadre existant.

Par ailleurs, il y a la question de « manifestation », d’une réunion des personnes (‘assembly’), comme c’est dit dans la loi. Notre Constitution affirme que Maurice est une société démocratique. Or, la loi interdit la réunion de plus de 11 personnes sans autorisation préalable. Cette loi me paraît trop restrictive des libertés, donc inconstitutionnelle. 12 personnes qui se réunissent, ce n’est pas une atteinte à l’ordre public, sauf si la police ne sait pas faire son métier. Il nous faut aussi distinguer entre ce qui est une manifestation, une réunion demandée et organisée et un attroupement, un regroupement spontané. S’il se passe un évènement, un accident par exemple, et que les gens sortent et sont là, tout comme cela se produit une fois les résultats électoraux proclamés, ce n’est pas une réunion (‘assembly’), parce que c’est spontané. C’est un attroupement. C’est ce qui s’est passé, à mon sens, récemment. La police ne peut pas poursuivre les citoyens pour manifestation illégale.

Q : Il y a aussi le cas de ce jeune manifestant atteint par balle à Barkly. Qu’en pensez-vous ?

Ce qui est terrible, c’est que d’une part, la police semble avoir fait usage d’armes létales et d’autre part, qu’une telle violence policière ne débouche sur aucune enquête. La police doit, dans une société démocratique, faire un usage absolument proportionné de la force. Est-ce que cette personne représentait un danger immédiat pour la police de sorte qu’en légitime défense, le seul moyen était de faire usage de l’arme ? Manifestement non. Pour disperser une foule, un attroupement, la police dispose d’autres moyens. C’est mieux d’utiliser un canon à eau que du gaz lacrymogène dans un quartier d’habitation où il y a des bébés, enfants et personnes âgées.

Q : La police, qui est supposée travailler en toute indépendance, a-t-elle tort de se laisser instrumentaliser au point d’instaurer un système répressif et anti-démocratique dans le pays ?

Les chefs d’accusation utilisés par la police démontrent à quel point elle agit politiquement. Les accusations de « sédition » qui signifient atteinte à la sûreté de l’État, sont manifestement exagérées et ne sont nullement caractérisées. Nous avons vu le Printemps dit arabe. Ce sont des manifestations spontanées du peuple. Ce n’est pas de la sédition.

De toute façon, le tout aboutira sur un non-lieu et les mis en cause finiront par engager la responsabilité civile de la police et réclamer des dommages-intérêts.

Q : Mais la police n’est-elle pas davantage encouragée dans cette démarche quand le Premier ministre affirme la soutenir pleinement ?

Que le Premier ministre, qui cumule les fonctions de ministre de l’intérieur, dit soutenir les forces de l’ordre, c’est une chose. Mais en même temps, il ne peut pas traiter le simple citoyen de fauteur de troubles et l’écraser par la machinerie policière et de justice. Déjà, ce sont des gens qui contestent l’augmentation du coût de la vie et on trouve à leur faire payer une caution. C’est un abus de système et de droit.

Le Premier ministre doit agir en tant que Premier ministre de toutes les catégories sociales. À Maurice, hélas, il y a une grande, très grande fracture sociale.

Q : Les conditions entourant la liberté provisoire de Darren interpellent l’opinion publique. Qu’en pensez-vous ?

Les conditions liées à la remise en liberté de l’activiste Darren font de lui un prisonnier en milieu ouvert, un homme n’ayant plus de grandes libertés notamment d’expression, de manifestation et d’aller et de venir. Je suis particulièrement étonné que ses avocats aient joué comme dans une pièce de théâtre, sans rupture avec le système dans une telle situation. Il fallait pour lui une défense de rupture ! Et non accepter les conditions classiques de remise en liberté provisoire.

Q : Quelle est votre analyse de l’affaire du Slovaque déporté malgré une injonction de la Cour suprême ?

Manifestement, la police démontre qu’elle entend faire fi d’une décision de justice. On est peut-être dans une situation d’outrage à la cour tel que ce concept s’entend en ‘Common Law’. En tout état de cause, si les décisions de justice ne sont pas respectées par les autorités, c’est une grave atteinte à l’État de droit.

Le Premier ministre et ministre de l’intérieur, s’il est conscient de son rôle et de ses devoirs, devrait œuvrer pour le retour du Slovaque reconduit à Maurice et ensuite aux autorités concernées, dans le respect du pouvoir du juge, de statuer sur son cas.

Q : Peut-on toujours clamer qu’on vit dans une démocratie avec de telles dérives ?

La démocratie mauricienne est bien embryonnaire dans le sens où elle ne s’est pas développée. À titre indicatif, nous sommes un des très rares pays où l’État, entendons le gouvernement, a un monopole sur l’information télévisée locale. Les élections ne sont pas encadrées comme dans les grandes démocraties, ce qui fait que c’est l’argent qui parle et non les électeurs. Le bulletin de vote du Mauricien n’est pas une arme mais un voucher, un bon d’achat.