Questions à… Rhafic Janhangeer : « Un ‘roving’ ambassadeur n’a pas les mêmes privilèges qu’un ambassadeur »

Ancien diplomate et ambassadeur maintenant à la retraite, Rhafic Janhangeer a publié dans la presse deux articles intitulés « Riyadh – A Tale of Two Ambassadors » et « Riyadh – A Tale of No Ambassador » en janvier 2020 et avril 2021 respectivement. Il se dit particulièrement interpellé par notre mission diplomatique à Riyadh en Arabie Saoudite car il y a eu des situations inédites, voire inacceptables sur le plan diplomatique. Il nous en parle…

Q : Pourquoi notre mission diplomatique à Riyadh vous interpelle-t-il autant ?

Comme tout diplomate de carrière, j’ai suivi avec intérêt la décision politique, suivant une promesse électorale visant à faire du lobbying auprès d’une section de la population, du gouvernement mauricien d’ouvrir une mission diplomatique en Arabie Saoudite. C’était la première fois que Maurice ouvrait une ambassade dans un pays arabe pur-sang. Je dois ici rendre hommage à M. Soodhun qui a tout mis en œuvre pour l’ouverture de cette ambassade.

Ceci dit, je suis interpellé parce qu’à un certain moment, plus précisément en janvier 2020, il y a eu deux ambassadeurs en même temps (ndlr : Iqbal Latona et Showkutally Soodhun) à Riyadh. Une situation qui est peut-être unique dans les annales diplomatiques. Comment se fait-il que le ministère des Affaires étrangères, qui est pourtant aguerri à ce type de démarche, n’ait pu intervenir à temps pour que l’ambassadeur sur place ne quitte son poste avant que l’autre n’arrive ? C’est du jamais vu ! Une telle situation peut arriver dans un pays où il y a eu un coup d’état et où l’ambassadeur en poste n’est plus désirable. Sinon, une telle situation est très rare. On a été la risée du monde diplomatique.

Q : La note verbale faisant état du changement de statut de Showkutally Soodhun envoyée au ministère saoudien des Affaires étrangères est intervenue deux mois après sa nomination comme ambassadeur itinérant.  Est-ce normal ?

Normalement, le mouvement d’un ambassadeur est toujours communiqué au ministère des Affaires étrangères et au corps diplomatique, tout en indiquant l’officier qui fera l’intérim en  son absence. C’est une pratique établie par la Convention de Vienne à laquelle nous sommes tous régis. S’il n’y a pas eu de communication officielle par l’ambassadeur en poste pour dire qu’il quitte le pays, c’est une faute grave. Tout comme c’est une faute grave quand il y a deux ambassadeurs en poste dans un pays hôte.

Q :  Showkutally Soodhun n’a pas vraiment quitté puisqu’il est toujours ambassadeur itinérant en Arabie Saoudite. C’est un simple changement de statut, n’est-ce pas ?

Un ambassadeur est le représentant par excellence de son pays et de son Président ou chef d’État. C’est lui l’interlocuteur privilégié entre les deux pays. Or, un changement de statut de résident à itinérant comporte des implications et doit être sujet à des consultations entre les deux pays. C’est la procédure normale. Maintenant que le pays hôte a été informé que l’ambassadeur qui y est affecté n’est désormais qu’itinérant, il faudra attendre sa réponse.

Q : Quelles sont justement les implications liées à la rétrogradation de ce statut ?

Dans la diplomatie, il y a des règles à respecter. Un ambassadeur représente son Président ou chef d’État. Il peut donc rencontrer des chefs d’État ou des officiers de son rang. Par contre, un junior n’a pas les mêmes privilèges. Un ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire a un certain ‘reach’ qu’un ambassadeur itinérant n’a pas. Ce dernier ne peut pas avoir les mêmes facilités que l’autre. Ceci dit, si un ambassadeur part sans donner une quelconque explication, cela veut dire que nous avons un gros problème. Pourquoi Maurice a-t-il rappelé son ambassadeur ? Ce n’est pas une mince affaire.

Q : La raison officielle évoquée par Showkutally Soodhun, c’est que les dossiers peinaient à bouger. Cet argument tient-il la route ?

C’est un argument farfelu, selon moi. Si un ambassadeur dit qu’il n’arrive pas à faire bouger les dossiers, c’est qu’il fait son propre mea culpa. Cela sous-entend qu’il a failli à sa tâche. Il faut aussi voir les choses dans son contexte. Le monde arabe est très différent de l’Europe et de l’Asie. Les Arabes ont leur propre culture. Il ne faut pas les bousculer. C’est une société extrêmement conservatrice et il faut faire doublement attention à ce qu’on dit et fait pour ne pas les froisser et blesser leurs subtilités. On ne peut pas prétendre y faire des choses. On va essayer de faire les choses. Ce sont eux qui décident puisque nous ne sommes que des demandeurs. Je dois faire ressortir que les diplomates travaillent d’ordinaire dans la discrétion et le discernement. Si un ambassadeur commence à se plaindre que les choses ne marchent pas, c’est très grave.

Q : Discrétion et discernement ne riment pas avec Showkutally Soodhun ?

Il faut comprendre qu’un diplomate n’est pas un politicien. Celui-ci doit mettre de côté son manteau politique s’il veut être diplomate. Un politicien opère différemment. C’est dans son intérêt que le peuple sache ce qu’il fait puisqu’il a été élu pour travailler et il doit lui rendre des comptes pour pouvoir être réélu. Mais cela ne marche pas ainsi dans le monde diplomatique où c’est la discrétion, et pas les grandes annonces, qui prime. Une différence de taille qui garantit que les relations entre deux pays ne se froissent pas.

Réalisé par Zahirah RADHA

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