- « Les deux assesseurs sont des ‘sitting judges’. Que se passera-t-il si demain, Mme Gurib-Fakim décide de demander une ‘judicial review’ ? N’y aurait-il pas un conflit d’intérêts ? Les autres juges iront-ils à l’encontre de leurs confrères pour dire qu’ils ont agi en dehors des paramètres des ‘terms of reference’ ? » s’interroge-t-il.
La publication du rapport de la commission d’enquête sur les agissements de l’ex-présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim, laisse un goût amer chez Rajen Narsinghen, juriste et chargé de cours en droit. « Le Premier ministre se comporte comme un super juge. Il a d’abord jugé Akil Bissessur, et maintenant il juge l’ancienne présidente », dénonce-t-il. C’est très grave, insiste-t-il, que Pravind Jugnauth insinue que l’ancienne présidente doit être condamnée. « Surtout qu’en termes d’offense, si quelqu’un devait se plaindre concernant l’utilisation de cette carte de crédit par Ameenah Gurib-Fakim, c’est le ‘Planet Earth Institute’ (PEI) et non pas le gouvernement », renchérit notre interlocuteur. Il se désole que le Premier ministre ait agi en tant que chef de parti et non pas comme un chef de gouvernement en se livrant à un « trial by the press ». « La section 10 de la Constitution prévoit que tout le monde, y compris un criminel, puisse bénéficier d’un ‘fair trial’. D’ailleurs, puisque le rapport de la commission d’enquête ne tient pas dans une cour de justice, il faut que la police arrive à prouver qu’il y a eu fraude, mauvaise pratique, ou gratification. Il faut d’abord établir les évidences », martèle notre interlocuteur.
Rajen Narsinghen fustige, dans le même souffle, le rôle du président, l’ancien chef-juge Asraf Caunhye, et des deux assesseurs, soit la ‘Senior Puisne Judge’ Nirmala Devat et la ‘Puisne Judge’ Gaitree Jugessur-Manna, de la commission d’enquête qui se sont cru dans une cour de justice alors que leurs pouvoirs, en tant que membres de la commission, sont limités. D’autant qu’une commission d’enquête n’a aucune juridiction et aucune autorité pour juger quelqu’un. « Elle doit se limiter à établir les faits et faire des recommandations. Mais elle ne peut pas condamner quelqu’un », fait-il ressortir. Revenant sur les conclusions du rapport, notamment sur le viol de la section 28(4) de la Constitution, Rajen Narsinghen affirme que les ‘perks’, ‘per diems’ ou autres ‘entertainment allowances’ ne tombent aucunement sous cette section qui parle plutôt d’‘office of emolument’ et de ‘trade or business’. Il concède, par contre, que selon la section 64(1) de la Constitution, l’ancienne présidente devait agir sur les conseils du Cabinet ou d’un ministre, sauf si elle est requise d’agir « in her own deliberate judgment » ou avec « any other person or authority other than the Cabinet ».
« Il y a deux écoles de pensées. L’une pense que le président peut agir seul et l’autre, qu’elle doit suivre les conseils du Cabinet », explique-t-il. Mais des questions se posent néanmoins : « Que se passera-t-il si demain, un Premier ministre est lui-même impliqué dans un scandale ou dans une affaire de corruption, comme dans l’affaire Angus Road ? Qui va alors instituer une commission d’enquête sur lui ? Est-ce qu’il le fera lui-même ? ». À ce niveau, dit-il, il existe une lacune dans la loi et sur laquelle il faudra se pencher.
Conflit d’intérêts
Le chargé de cours en droit souligne également que le président de la commission, l’ancien chef-juge Asraf Caunhye, a omis de lire la section 64(5)(a) de la Constitution qui stipule qu’un président de la République, même s’il n’a pas suivi les conseils d’une personne ou d’une autorité, ne peut pas être interrogé en cour. « Subject to paragraphs (b) and (c), where the President is required by this Constitution to act in accordance with the advice of or after consultation with any person or authority, the question whether in fact he has so acted shall not be called in question in any court of law », peut-on lire à la section 64(5)(a). « Or, il parait que M. Caunhye et ses deux assesseurs dépassent même la Cour suprême et le Privy Council », ironise Rajen Narsinghen. Celui-ci évoque un autre problème. « Les deux assesseurs sont des ‘sitting judges’. Que se passera-t-il si demain, Mme. Gurib-Fakim décide de demander une judicial review ? N’y aurait-il pas un conflit d’intérêts ? Les autres juges iront-ils à l’encontre de leurs confrères pour dire qu’ils ont agi en dehors des paramètres des ‘terms of reference’ ? » s’interroge-t-il.
Rajen Narsinghen se demande aussi si la commission d’enquête n’a pas « défoncé une porte ouverte ». Il explique ainsi que, même s’il y a eu viol de la section 64(1), rien ne peut être fait. D’abord, parce qu’Ameenah Gurib-Fakim a déjà démissionné de son poste, et puis parce que la violation de cette clause ne constitue pas un délit, selon lui. « La question d’éthique et de moralité est bien entendu discutable, mais sur le plan strictement légal, c’est encore trop tôt pour se prononcer, encore moins pour condamner l’ancienne présidente », poursuit-il. Raison pour laquelle il trouve que la démarche du Premier ministre et des membres de la commission est « très dangereuse ».
Les réactions des membres de l’Opposition ne se sont pas fait attendre après que le Premier ministre ait divulgué les principales conclusions de la commission Caunhye sur l’ex-présidente de la République, Ameenah Gurib-Fakim. Pour les membres de l’Opposition, on essaie de se servir d’Ameenah Gurib-Fakim comme bouc émissaire, tout en occultant l’affaire Sobrinho.
Navin Ramgoolam : « Un rapport accablant contre le gouvernement »
Le leader du Parti travailliste (PTr), Navin Ramgoolam, soutient que « c’est un rapport accablant contre le MSM. Qui avait nommé Ameenah Gurib-Fakim comme présidente de la République ? Où est le ‘damning report’ en ce qui concerne les autres scandales comme l’affaire Kistnen ou le naufrage du remorqueur Sir Gaëtan ? »
Xavier Duval : « Elle ne doit pas porter seule le chapeau »
Xavier Luc Duval, leader du PMSD et de l’Opposition, lors de la conférence de presse de l’Entente de l’Espoir le samedi 17 septembre, a soutenu que l’affaire Alvaro Sobrinho est l’un des plus grands scandales politico-financiers de ces dernières décennies, qui avait provoqué plusieurs démissions, y compris celui du Solicitor-General. « Il est clair que l’ancienne présidente de la République a failli dans ses responsabilités. Néanmoins, Ameenah Gurib-Fakim ne doit pas être la seule à porter le chapeau de ce scandale. ‘Ban pli gros poissons, ban pli gros coupables ki madame Fakim fine échapper », dénonce-t-il.
Nando Bodha : « Il faut faire toute la lumière sur l’affaire Sobrinho’
Nando Bodha, le leader du Rassemblement mauricien, qui était également présent lors de la conférence de presse de l’Entente de l’Espoir, affirme « qu’il est grand temps de faire toute la lumière sur l’affaire Alvaro Sobrinho. Plusieurs zones d’ombres de ce scandale n’ont jamais été éclaircies ».
Paul Bérenger : « On essaie d’escamoter l’affaire Sobrinho »
Pour Paul Bérenger, le leader du MMM, « on essaie de tout mettre sur le dos de Mme. Fakim et on essaie d’escamoter l’affaire Sobrinho ». Le chef des mauves a promis que toute la lumière sera faite sur tous les scandales que le gouvernement a voulu étouffer durant ces dernières années, que ce soit sur l’affaire Medpoint, l’affaire Angus Road ou l’affaire Kistnen, entre autres. Il affirme que toute cette affaire est « choquante ».
Arvin Boolell : « Une motion de blâme contre le gouvernement »
« Une claque sonore au gouvernement et à la présidence », affirme Arvin Boolell. Le chef de file du Parti travailliste soutient que le rapport Caunhye constitue une motion de blâme contre le gouvernement, mais n’a pas épargné Ameenah Gurib-Fakim. Selon lui, une présidente de la République ne doit pas servir le pouvoir de la présidence pour ses propres desseins. Il estime que l’ex-présidente Ameenah Gurib-Fakim a failli dans ses fonctions.