Rajen Valayden : « La chute de MT est le résultat d’un acte criminel »

Fidèle à lui-même, notre invité de cette semaine, Rajen Valayden, actionnaire minoritaire et Mauritius Telecom et rédacteur-en-chef de Capital Media, n’a pas tenu sa langue dans sa poche au cours de notre entretien. Il revient sur la performance de MT et les défis qui guette cette compagnie…

Q : Comment s’est passé l’assemblée annuelle des actionnaires de Mauritius Telecom qui s’est tenue le 28 septembre dernier ?

Vu les circonstances, on peut dire que c’était une étape importante dans notre quête de vérité et surtout l’urgence de freiner la chute de l’organisation. Mis à part l’excès de zèle à l’entrée et la présence en nombre de plusieurs non-actionnaires, la réunion s’est tenue dans une ambiance sobre et contrairement à l’accoutumée, l’humilité était à l’agenda. Le président du conseil d’administration ainsi que le CEO ont très bien accueilli les observations, critiques et autres propositions émises par les actionnaires.

Q : Pensez-vous que le nouveau CEO, Kapil Reesaul, pourra mener MT à bon port ?

Coincé sur les écueils, Mauritius Telecom n’avait nul autre choix que de faire appel à quelqu’un qui connait le navire et qui suscite le respect de tous. J’ai travaillé sous la direction de trois CEO chez MT. Megh Pillay ainsi que John Yinko étaient tous deux de la maison et quoi qu’on en dise, ils étaient indéniablement des bosseurs. Quant à Sarat Lallah, j’étais convaincu que c’était impossible de faire pire. Mais Sherry Singh est venu prouver que j’avais tort. Kapil Reesaul est issu de la vielle école et vu notre situation actuelle, il est nécessaire que nous retrouvions nos repères et réparer les socles de l’organisation, il est un des rares à qui nous aurions pu faire appel.

Q : Qu’attendez-vous exactement de lui ?

S’il y a une chose que ce peuple a envie de voir, c’est bien de « l’honnêteté ». Être CEO d’une entreprise de l’envergure de MT demande d’abord un ensemble de compétences qui doivent accompagner rigueur et discrétion. Comme je l’ai fait ressortir lors de la réunion des actionnaires, la nouvelle direction a un devoir de vérité. Ce qui implique de venir en toute transparence expliquer au peuple le constat de la situation et les mesures correctives préconisées.  Je souhaite qu’à contrario de son prédécesseur, Kapil Reesaul va s’assurer que le conseil d’administration soit partie prenante de toutes les décisions. Que les membres du conseil d’administration n’auront pas à faire face à des faits accomplis ou à des coups fomentés. D’autre part, il est le devoir du conseil de protéger le CEO de toute ingérence politique.   

Quel que soit le plan d’action, il devra impérativement passer par une période de « détente ». Ce qui implique un dégel dans les relations avec les partenaires, notamment les médias. Il ne faut pas non plus être un génie pour comprendre que MT va passer par une période d’austérité. D’où la nécessité d’avoir un soutien assidu des syndicats. Déjà, je note que Kapil Reesaul s’est démarqué par sa discrétion et je suis absolument certain que vous n’allez pas voir son visage en allumant votre télé ou à chaque coin de rue. Encore moins dépenser des millions pour obtenir des « Awards » bidons ou se faire passer pour Steve Jobs. A moins qu’il nous cache ses ambitions politiques. De toute façon, je pense que Kapil Reesaul est suffisamment intelligent pour savoir que si les billboards pouvaient faire élire, Madonna aurait été la présidente des États-Unis.

Q : Revenons aux critiques émises lors de cette assemblée annuelle. Sur quoi se portaient-elles ?

Les interventions ont porté sur la mauvaise gestion de l’entreprise, les scandales qui secouent l’organisme, les menaces qui pèsent sur les fonds de pension et bien sûr le besoin d’assainissement. En ce qui concerne les comptes, le directeur financier a voulu rééditer son show habituel et de par la réaction tiède de ses partisans, je doute qu’il puisse être fier de sa performance. D’ailleurs, pour que les enquêtes en cours soient crédibles, il est impératif que tous les hauts cadres impliqués dans les procédures d’achats soient mis à l’écart. À commencer par le directeur financier.

Q : Pourtant certains affirment que le bilan de MT est historique…

Historique ? Des profits qui dégringolent à vue d’œil pour passer à Rs 594 millions incluant les Rs 137 millions que MT a collectées en termes de surcharges auprès de ses clients. Pour un Français, je trouve que Mr Perrin-André a un sens de l’humour très british. Depuis 2015, je ne cesse de dénoncer le revêtement furtif du bilan financier. Une fourberie sans pareil et pire on ne cesse de nous prendre pour des ‘zouaves’. Je vous invite à revoir toutes les déclarations et articles de presse suivant la publication des comptes. Le mot « historique » est omniprésent. Plus ça baisse, plus on essaye de nous faire gober que les performances sont meilleures. Le comble, c’est que beaucoup y croient.

Q : La Covid-19 peut-elle être blâmée pour cette performance ?

La Covid-19 a bon dos. On lui attribue tous les crimes commis durant ces deux dernières années. C’est quand même bizarre que la Covid-19 répercute uniquement sur la performance financière de MT et non sur celle de ses fournisseurs et autres prestataires de services. Certaines des compagnies fournisseurs et sous-traitants ont vu leurs profits grimper à plus de 2000 % au cours de ces deux dernières années !

Q : Mais quelle est alors la raison de cette chute vertigineuse de MT ?

Depuis 2016, je ne cesse de tirer la sonnette d’alarme sur la trajectoire entamée par Mauritius Telecom. De par la stratégie adoptée et les nouvelles pratiques, il était évident que la société allait se retrouver en eaux troubles. Mais la chute de MT est le résultat d’un acte criminel. Il y a suffisamment de données disponibles pour comprendre cette machination, qui vise à engraisser les sous-traitants de MT. La Covid-19 a été du pain béni pour ceux qui s’attelaient déjà à vampiriser l’entreprise.

Q : Beaucoup pensent que les dénonciations soudaines à l’encontre de l’ancien CEO a tout l’air d’une vendetta. Est-ce le cas ?

Je ne me sens nullement concerné par cette guerre entre Pravind Jugnauth et Sherry Singh. Mon intérêt pour les institutions étatiques ne date pas d’aujourd’hui. Cela fait dix-sept ans depuis que j’écris sur Mauritius Telecom. Donc, c’est archi faux de dire que j’ai choisi le départ de Sherry Singh pour dénoncer et il est très mal placé pour parler de vendetta ou d’attaque personnel. J’ai toujours payé cher ma franchise. Ma famille, particulièrement mon épouse, en ont fait les frais. Mais à aucun moment, je n’ai pensé à sombrer dans une quelconque compromission.