Raouf Bundhun : « Joanna Bérenger finira comme Xavier Duval »

Interview

Il ne cache pas son admiration pour Sir Seewoosagur Ramgoolam et se dit même être un « Ramgoolamiste » de cœur. C’est pourtant au MMM que cet ancien député, ministre, diplomate et vice-président de la République a poursuivi son combat politique. Dans l’entretien qui suit, dont nous vous présentons de grands extraits, Raouf Bundhun revient sur la crise que traverse le MMM, mais pas que…

Zahirah RADHA

Q : À la veille des célébrations du 50ème anniversaire de Maurice, pensez-vous que le pays a atteint un degré suffisant de maturité démocratique ?

Oui certainement. Au moment de l’indépendance, le pays était très divisé. 44% de la population électorale avait d’ailleurs voté contre l’indépendance suite à une campagne malsaine menée surtout par le PMSD. Il y avait même eu une bagarre raciale juste avant l’indépendance, soit en janvier 1968, et cela avait duré pendant deux ou trois mois. La situation économique n’était guère reluisante. Il fallait donc trouver une solution rapide pour apporter la paix sociale et le développement économique dans le pays. Suite à une alliance que sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR) avait contracté avec le PMSD deux mois après l’indépendance, la Constitution a été amendée à deux reprises pour renvoyer d’abord la tenue des élections générales et pour abolir ensuite l’élection partielle. Ce qui avait attiré beaucoup de critiques. Mais la démocratie a été rétablie après que le MMM, ayant accédé au pouvoir en 1982, ait amendé de nouveau la Constitution pour rendre obligatoire la tenue des élections générales tous les cinq ans et aussi celle de l’élection partielle.

Q : Est-ce un signe de démocratie quand un élu qui n’a pas été plébiscité par le peuple pour occuper le poste de Premier ministre prend les rênes du pays ?

Il y a eu beaucoup de critiques parce que l’actuel Premier ministre n’a pas été plébiscité par le peuple en 2014. Sir Anerood Jugnauth a dû toutefois se retirer comme Premier ministre pour des raisons de santé. Il faut d’abord faire ressortir que Pravind Jugnauth n’a pas été nommé Premier ministre parce qu’il est le fils de Sir Anerood, mais plutôt parce qu’il est le leader de l’alliance qui détient la majorité de députés au Parlement, comme le prévoit la Constitution de Maurice. Légalement, il n’y a donc aucun problème à ce que Pravind Jugnauth soit Premier ministre et je ne pense pas que c’est un recul de la démocratie.

Q : Qu’en est-il quand cette même personne qui a démissionné pour des soucis de santé nous dit qu’il serait prêt à redevenir Premier ministre s’il se sent capable de le faire ?

Il l’a dit, selon moi, comme une boutade. « He didn’t mean it ». Ces jours-ci, la rumeur veut qu’il songe à démissionner comme ministre et de céder sa place à Soodhun. Qu’en est-il ? L’on ne sait pas. Toutefois, la perception publique c’est qu’il peut reprendre le pouvoir si jamais il y a un pépin pour Pravind Jugnauth dans l’affaire Medpoint au niveau du Privy Council. Personnellement, je ne pense pas qu’il va le faire.

 Q : Concrètement, qu’est-ce qui se passera si Pravind Jugnauth est condamné par le Privy Council ?

Le Premier ministre peut demander à la présidente de la République de dissoudre l’Assemblée nationale et de tenir des élections générales. Mais si la présidente décide que ce n’est pas nécessaire, le parti majoritaire au Parlement peut élire un nouveau leader qui peut ensuite être nommé Premier ministre, comme cela a été le cas en Angleterre suivant la démission de David Cameron.

Q : À part SAJ, qui d’autre au MSM peut devenir Premier ministre, selon vous ?

La seule personne qui a fait ses preuves dans le passé en tant que chef de l’opposition c’est Nando Bodha. À mon avis,  il est le candidat idéal du MSM pour le poste de Premier ministre. D’autant qu’il a le bon profil ethnique et qu’il est proche des Jugnauths.

Q : Vous qui avez été un ancien député mauve, comment interprétez-vous la crise que traverse le MMM ces jours-ci ?

Je suis très triste pour Steve Obeegadoo. Dans le passé, que ce soit au CAM (Comité d’Action Musulman), à l’IFB (Independent Forward Block) ou au PMSD, personne n’avait le droit d’élever la voix contre leur leader. Soit vous le suivez soit vous ne le suivez pas. C’est ce qui se passe au MMM. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Il y a d’ailleurs eu plusieurs dissidences au MMM. D’abord avec la démission d’Anerood Jugnauth en 1983. Ensuite, il y avait la bande composée de De L’Estrac, Prem Nababsing et consorts. Et les deux plus récentes avec les départs de deux groupes ayant à leur tête les die-hard Alan Ganoo et Ivan Collendavelloo. Après toutes les secousses que le MMM a traversées, Bérenger aurait dû devenir plus sage. À 70 ans, Bérenger n’est plus celui des années 70.

Q : Il est donc dépassé ?

Le MMM, c’est Bérenger et Bérenger, c’est le MMM. Sans lui, soit le MMM disparaîtra comme l’IFB soit il finira comme le PMSD qui n’est plus que l’ombre de lui-même. Bérenger représente un idéal aux yeux des militants. Mais son plus grand défaut c’est qu’il est quelque peu rancunier. Raison pour laquelle beaucoup d’éléments valables, tels que De L’Estrac, l’ont abandonné.

Q : Joanna Bérenger, dont le nom est cité pour prendre la relève du leadership au MMM, pourra-t-elle raviver la flamme des militants ?

Elle peut certainement devenir leader. Cependant, elle finira comme Xavier qui n’a jamais pu remplacer Gaëtan Duval. Même les Pradeep Jeeha, Ajay Gunness ou Madan Dulloo ne pourront relancer le MMM.

 Q : Et le renouvellement de la classe politique alors ? Ne faut-il pas du sang neuf ?

Il en faut certainement. Après chaque élection générale, il faut qu’il y ait des jeunes qui rejoignent la politique et que ces derniers puissent prendre, tôt ou tard, la relève. Je demande aux jeunes qui ne sont pas satisfaits du gouvernement de venir de l’avant et de s’engager dans la politique afin de changer les choses.

Q : Le pays se dirige-t-il dans la bonne direction ?

Le Premier ministre veut du bien pour le pays, mais il est mal entouré. Pravind Jugnauth a beaucoup de projets, mais ceux-ci piétinent. Prenons le Metro Express par exemple, le gouvernement aurait dû communiquer avec la masse afin d’éviter certains problèmes. C’est un projet qui représente le modernisme et que j’aimerais voir concrétiser avant ma mort.

Q : Votre vœu pour la nation mauricienne à l’aube des cinquante ans de l’indépendance du pays ?

Mon souhait c’est que les associations socio-culturelles cessent de donner des directives pour voter pour tel ou tel parti. Il nous faut créer la nation mauricienne. Le « one people one nation » ne doit plus être de vains mots. Ils doivent être concrétisés. Je veux voir régner la solidarité fraternelle mauricienne.