[Rapport de l’Audit 2023-2024] Gaspillage à coup de centaines de millions

Le dernier rapport du Directeur de l’Audit, le Dr Dharamraj Paligadu, sur les comptes du gouvernement pour l’année financière 2023-2024, met en évidence de nombreux dysfonctionnements, manquements à la réglementation et recommandations pour améliorer la gestion des fonds publics. Ce document offre un aperçu détaillé des finances publiques mauriciennes et du degré de conformité avec les normes de bonne gouvernance, tout en mettant en avant les principales lacunes par ministère.

Ministère de l’Éducation

Le rapport révèle de nombreux problèmes dans le secteur de l’éducation, notamment dans la gestion des infrastructures scolaires et des ressources pédagogiques. Plusieurs projets, comme la construction de piscines d’apprentissage et de salles spécialisées, sont encore en suspens malgré un lancement en 2017. Ces retards affectent directement la qualité de l’enseignement et l’accès des élèves à des infrastructures modernes.

En outre, la planification budgétaire a été jugée inadéquate. Certains projets ont été engagés sans provisions financières suffisantes, entraînant des interruptions de travaux et des surcoûts conséquents. Le manque de rigueur dans la gestion des appels d’offres a aussi conduit à de nombreuses annulations, augmentant inutilement les dépenses publiques et retardant la livraison des équipements pédagogiques indispensables.

Ministère de la Santé

Le secteur de la santé est marqué par des irrégularités financières importantes. Le gouvernement a dépensé 1,4 milliard de roupies pour des médicaments sans étude préalable démontrant leur nécessité, ce qui interroge sur la gestion efficace des fonds publics.

Le projet e-Health, destiné à moderniser la gestion des dossiers médicaux et à améliorer l’efficacité des services hospitaliers, accuse un retard majeur, empêchant une transformation numérique efficace du secteur. Le Centre National du Cancer, pourtant conçu comme un projet phare, a vu son coût dépasser de loin les prévisions initiales, sans justification transparente. L’absence de suivi rigoureux dans l’exécution des projets de santé compromet l’amélioration du service aux citoyens.

Ministère des Infrastructures Publiques et des Transports

Les retards dans les projets d’infrastructures publiques posent un risque sérieux pour la gestion du territoire. Parmi les cas les plus alarmants, 37 projets de drainage d’urgence, initiés en 2019 pour lutter contre les inondations, restent inachevés, exposant plusieurs régions à des risques accrus de catastrophe naturelle. L’absence d’un suivi strict a conduit à des dépassements budgétaires massifs et à une mauvaise gestion des contrats.

De plus, des failles dans la rédaction des contrats ont conduit à l’absence de clauses de pénalité pour retard, réduisant ainsi toute pression sur les entreprises adjudicataires pour respecter les délais. Le manque de coordination et la gestion fragmentée des projets ont aggravé ces problèmes.

Ministère des Technologies de l’Information

L’objectif de modernisation numérique du pays est entravé par une mauvaise gestion des projets informatiques. Plusieurs initiatives, qui devaient améliorer l’accès aux services publics via des plateformes numériques, ont été abandonnées en raison de spécifications techniques inadéquates et d’une absence de vision stratégique.

Le manque de coordination entre les ministères a également généré des doublons et des dépenses inutiles. En l’absence d’une gouvernance efficace de la transformation digitale, le pays peine à bénéficier des avancées technologiques et à moderniser l’administration publique.

Recommandations clés

  1. Renforcer la planification budgétaire : Assurer que chaque projet bénéficie d’une allocation budgétaire suffisante avant son lancement afin d’éviter les interruptions et les surcoûts.
  2. Garantir une transparence accrue dans les marchés publics : Imposer des appels d’offres compétitifs et un contrôle plus strict sur l’attribution des contrats.
  3. Mettre en place des audits internes réguliers : Identifier et corriger les irrégularités financières avant qu’elles ne prennent de l’ampleur.
  4. Optimiser la gestion des infrastructures : Introduire des pénalités contractuelles pour tout retard dans la réalisation des projets d’infrastructure.
  5. Accélérer la digitalisation : Élaborer une stratégie nationale cohérente pour moderniser les services publics et garantir une meilleure coordination entre les ministères.
  6. Renforcer le suivi des contrats publics : Instaurer des contrôles rigoureux pour s’assurer que chaque dépense est justifiée et que les projets sont exécutés dans les délais et le budget prévus.

Le rapport met en lumière de graves déficiences dans la gestion des ressources publiques, compromettant le bon fonctionnement de plusieurs secteurs essentiels. Si ces dysfonctionnements ne sont pas corrigés rapidement par des réformes structurelles et une responsabilisation accrue des gestionnaires publics, ils risquent d’entraver la croissance économique et la qualité des services offerts aux citoyens.

L’application immédiate des recommandations est cruciale pour assurer une gouvernance plus efficace, transparente et durable des finances publiques. Une meilleure planification, un contrôle renforcé et une gouvernance optimisée seront des piliers essentiels pour restaurer la confiance des citoyens et améliorer la performance du secteur public.

Un projet enlisé : La réalité derrière le National Cancer Centre

Annoncé en 2015, le National Cancer Centre (NCC) devait positionner Maurice comme un centre d’excellence en oncologie. Toutefois, retards, surcoûts et failles administratives ont entaché sa mise en œuvre, compromettant ses objectifs initiaux. Le projet a accumulé trois ans de retard avant la signature du contrat en 2019. L’appel d’offres a duré 14 mois, et l’entrepreneur a bénéficié de huit prolongations, retardant de 984 jours l’ouverture du centre.

Initialement budgétisé à Rs 1 milliard, le projet a atteint Rs 2 milliards, incluant Rs 950 millions pour l’équipement. Des paiements non justifiés, notamment Rs 1,7 million à un cabinet de conseil et Rs 600 000 pour une étude géotechnique ignorée, ont aggravé les dérives financières.

Les documents d’appel d’offres faisaient référence aux lois indiennes au lieu des lois mauriciennes. De plus, le bâtiment est passé de cinq à trois étages, sans que l’impact financier ne soit clairement évalué. La nappe phréatique à 4,6 mètres de profondeur n’a pas été prise en compte, posant des risques structurels.

Depuis son ouverture en mai 2024, le NCC peine à fonctionner pleinement. Le Programme national de lutte contre le cancer manque de suivi, la base de données des patients est incomplète et des équipements restent inutilisés, notamment un accélérateur linéaire. Certains traitements continuent d’être dispensés dans des hôpitaux régionaux, limitant l’impact du centre.

Le NCC illustre les problèmes récurrents des projets publics à Maurice : retards, surcoûts et mauvaise gestion.

Sécurité sociale et fonds de pension : Des paiements excessifs de Rs 187 millions

L’audit a révélé des paiements excessifs de pensions totalisant Rs 187 millions au 30 juin 2024, soit une augmentation de 40 % par rapport à l’année précédente​. Une grande partie de ces paiements concerne des bénéficiaires résidant à l’étranger au-delà de la période autorisée de six mois, rendant ces transactions illégales selon la National Pension Act. De plus, dans certains cas, les bénéficiaires étaient décédés depuis plusieurs années, mais leurs pensions continuaient d’être versées, faute de suivi rigoureux.

Le système informatique utilisé pour la gestion des pensions est dépassé, ayant plus de 25 ans d’existence​. Cela entraîne des risques accrus de cyberattaques, des coûts de maintenance élevés et des retards dans le versement des prestations. Le projet de modernisation du système, pourtant prévu depuis plusieurs années, a subi de nombreux retards et dépassements de budget, retardant ainsi l’amélioration de la gestion des prestations sociales.

Face à ces problèmes, les recommandations de l’audit appellent à une meilleure planification financière, une vérification plus stricte des paiements et une accélération de la réforme du système informatique. Cependant, la mise en œuvre de ces correctifs demeure lente, compromettant la pérennité du système de sécurité sociale et des pensions.

Sans une réforme urgente et efficace, le déficit des pensions continuera de s’aggraver, mettant en péril les générations futures. La modernisation des outils de gestion, le renforcement des contrôles et une meilleure anticipation des obligations financières sont impératifs pour garantir un système de protection sociale viable et équitable.

Une dette publique en hausse : Plus de Rs 546 milliards au 30 juin 2024

Au 30 juin 2024, la dette brute du secteur public atteignait Rs 546,1 milliards, soit 81,4 % du PIB​. Même si cette proportion a légèrement diminué par rapport à l’année précédente, le niveau reste bien au-dessus des normes recommandées. En net, la dette s’élève à Rs 494,2 milliards, avec une hausse inquiétante de l’endettement global sur les cinq dernières années (+43 %).

En 2023-2024, près de 48 % des recettes gouvernementales provenaient d’emprunts, un niveau de dépendance jugé excessif​. L’État a levé Rs 148,2 milliards, dont Rs 144,5 milliards à travers des titres de dette publique et Rs 3,6 milliards sous forme de prêts étrangers. Cette situation expose le pays à des risques accrus en cas de fluctuations des taux d’intérêt ou de chocs économiques.

Le service de la dette représente une charge croissante pour l’État. En 2023-2024, le remboursement du capital et le paiement des intérêts ont totalisé Rs 125,6 milliards​. Les dettes domestiques, qui constituent la majorité de l’endettement (78,7 %), ont augmenté de 35,6 % en cinq ans, tandis que la dette externe a bondi de 79,6 %. Cette situation met sous pression les finances publiques et limite la marge de manœuvre budgétaire pour d’autres dépenses essentielles.

En raison de recettes inférieures aux prévisions, le déficit budgétaire s’est aggravé, atteignant Rs 38 milliards en 2023-2024, soit 5,7 % du PIB​. Le besoin de financement du gouvernement a ainsi grimpé à Rs 40,9 milliards, bien au-delà des Rs 24,3 milliards initialement estimés.