Cinq ans après l’échouement du MV Wakashio et la marée noire qui a souillé les lagons de Pointe d’Esny, le rapport tant attendu de la Cour d’investigation est enfin rendu public. Sa divulgation met fin à une longue controverse : en 2024, l’ancien gouvernement MSM de Pravind Jugnauth avait refusé de le publier, invoquant le risque de compromettre les procédures judiciaires en cours. Cette décision avait nourri les soupçons d’opacité et l’indignation d’une partie de l’opinion.
C’est finalement sous l’actuel gouvernement Ramgoolam que la promesse de transparence a été tenue, et que le rapport a été rendu public. Cette publication ouvre une nouvelle ère : celle des comptes à rendre et des décisions à prendre pour renforcer la résilience du pays face aux catastrophes maritimes.
Rédigé par la Cour présidée par le juge Abdurafeek Hamuth et ses assesseurs, le document, de 223 pages, ne se contente pas de pointer les fautes du capitaine et de son équipage. Il décrit surtout, sous la gouvernance de l’ancien régime, un échec systémique de la préparation et de la réponse des autorités mauriciennes, face à la plus grave catastrophe écologique de l’histoire nationale.
Un drame évitable
Le Wakashio, en route de Chine vers le Brésil, a volontairement dévié de sa trajectoire pour approcher de l’île et tenter d’accéder à Internet via le réseau de télécommunication mauricien. Distraits par leurs téléphones et par la consommation d’alcool, les officiers n’ont pas corrigé la trajectoire du navire, qui s’est fracassé sur les récifs. Deux semaines plus tard, le navire se brisait en deux, relâchant 1 000 tonnes de fioul lourd dans le lagon de Mahébourg et sur des sites marins classés Ramsar. Mais pour la Cour, l’essentiel est ailleurs : « La catastrophe aurait pu être évitée ou considérablement réduite si les autorités mauriciennes avaient agi rapidement, de manière coordonnée et avec des moyens adaptés ».
L’échec des autorités mauriciennes
- Retards dans l’activation des plans d’urgence
Le rapport révèle qu’aucune procédure claire n’existait pour gérer un échouement de cette ampleur. La National Coast Guard (NCG) a dû improviser, et le Plan national anti-marée noire (NOSCP) n’a été activé qu’après une intervention directe du Premier ministre, plusieurs heures après l’accident.
Pendant ce temps, les communications avec le navire étaient quasi inexistantes : les appels radio VHF sont restés sans réponse entre 18h15 et 19h25, et le capitaine n’a pu être joint qu’à 20h10, soit 44 minutes après l’échouement.
Pire, la Cour a découvert que certains journaux de bord de la NCG avaient été falsifiés pour masquer l’inaction des opérateurs.
- Des moyens logistiques inexistants ou obsolètes
La crise a mis en lumière la pauvreté des moyens mauriciens :
- plusieurs radars côtiers, dont celui de Gris-Gris, étaient hors service depuis des mois ;
- les deux hélicoptères bi-moteurs (Dhruv et Fennec) étaient cloués au sol faute de pièces ;
- les patrouilleurs de la NCG nécessitaient quatre heures de préparation avant de prendre la mer ;
- aucun remorqueur de haute puissance (100 tonnes de traction) n’était disponible pour tenter de déséchouer le navire.
Les équipements anti-pollution – barrières flottantes et absorbants – étaient en quantité insuffisante, et n’ont été déployés qu’après plusieurs jours, quand la coque commençait déjà à se fissurer.
- Un leadership absent et des responsabilités floues
Selon la Cour, la gestion de crise a été minée par le chevauchement des compétences : la NCG, rattachée à la Police, avait la surveillance maritime mais aucune expertise en pollution ; le ministère de l’Environnement possédait l’expertise mais pas les moyens logistiques ; la Mauritius Ports Authority (MPA) n’a pas assumé son rôle de coordination. « Aucune agence ne s’est imposée comme chef de file dans les premières heures », note le rapport.
L’appel à l’aide internationale n’a été lancé que 48 heures après l’accident, retardant l’arrivée d’experts français et japonais.
- Communication trompeuse et manque de transparence
Le rapport accuse également les autorités d’avoir minimisé la gravité de la situation. Dans ses premiers communiqués, elles affirmaient que « tout était sous contrôle », alors que le navire se brisait déjà. La population de Mahébourg et des villages côtiers n’a pas été informée à temps des risques, ce qui a retardé les actions de protection des zones sensibles.
La Cour va plus loin : elle cite des cas de manipulation de données par la NCG, notamment des heures d’appel radio et de présence sur site, modifiées a posteriori pour masquer les manquements.
- Des conséquences aggravées par l’inaction
Le rapport établit un lien direct entre ces retards et l’ampleur du désastre écologique.
- Si le navire avait été stabilisé ou vidé de son fuel dans les 24 heures, la marée noire aurait pu être évitée.
- À la place, les fissures dans la coque se sont aggravées sous l’effet des vagues, et plus de 1 000 tonnes de fuel se sont échappées entre le 6 et le 15 août.
- Les récifs coralliens de Pointe d’Esny et de Blue Bay ont subi des dommages irréversibles, et la chaîne alimentaire marine a été contaminée, affectant la pêche artisanale pour des années.
Falsifications et mensonges sous serment
Au-delà des failles logistiques, la Cour a relevé des incohérences flagrantes entre les déclarations sous serment des officiers de la NCG, les journaux de bord et les preuves matérielles (relevés téléphoniques, enregistrements du navire).
- PC Ujoodha (Ops Room) a affirmé avoir repéré le Wakashio dès 18h05 et alerté ses supérieurs. Mais ses propos ont été contredits par ses collègues et par les relevés de Mauritius Telecom. Lors d’une audition ultérieure, il a changé sa version.
- PC Sujeebun (station radar de Pointe du Diable) a déclaré avoir tenté sept appels VHF entre 18h15 et 19h30. Or, le VDR du navire ne montre aucun de ces appels : le premier contact confirmé date de 20h08. Confronté aux relevés téléphoniques, il a reconnu ne plus se souvenir des horaires.
- PC Jugarnath a assuré être arrivé à son poste à 18h45. Les relevés d’Emtel prouvent qu’il était encore chez lui à 19h15, et qu’il n’a rejoint la station qu’après 20h00. La Cour estime qu’il a contribué à falsifier le journal de bord de Pointe du Diable.
- Capt Manu, commandant de la NCG, a déclaré que le navire était suivi en continu depuis le 23 juillet et que des appels avaient été faits dès 18h15. Cette version a été démentie par ses propres hommes et par les données Sea Vision. Il a quitté Maurice début 2021 sans remettre de rapport écrit.
Dans sa section 5.3.10, la Cour conclut que « les incohérences entre les témoignages, les relevés téléphoniques et les journaux de bord suggèrent une tentative délibérée de falsification pour couvrir l’inaction des opérateurs ». Elle estime que les journaux VHF ont été modifiés a posteriori et que certains agents ont menti sous serment, « probablement sous la pression de leurs supérieurs ». Elle recommande par ailleurs que les dossiers des officiers concernés soient transmis au Directeur des Poursuites publiques pour évaluation de poursuites pour parjure et falsification de documents officiels.
Au-delà de ces aspects judiciaires, la Cour trace également une feuille de route pour éviter qu’un tel scénario ne se reproduise. Parmi les réformes jugées indispensables figurent :
- la création d’un centre de commandement unifié pour les urgences maritimes, avec des procédures claires ;
- l’acquisition de deux remorqueurs de haute puissance et le renforcement des stocks de matériel anti-pollution ;
- la modernisation de la surveillance maritime (radars côtiers, AIS, drones, veille 24/7) ;
- la désignation d’une agence chef de file unique (probablement le ministère de l’Environnement) pour coordonner les marées noires ;
- l’organisation d’exercices grandeur nature impliquant NCG, MPA, ONG et ministères ;
- la mise en place d’outils de transparence (publication de rapports en temps réel, accès public aux données) ;
- et enfin, la conclusion d’accords de coopération avec des pays partenaires comme la France ou le Japon pour bénéficier d’une aide rapide.
Cinq ans après la catastrophe, la Cour constate que l’essentiel de ses recommandations est resté lettre morte. Les radars côtiers de Gris-Gris et d’Agalega demeurent hors service, aucun remorqueur de haute puissance n’a été acquis, et aucune simulation nationale de marée noire n’a été organisée depuis 2020. Le rapport prévient sans détour : « Sans changements radicaux, Maurice reste vulnérable à une nouvelle catastrophe maritime ».
Une catastrophe écologique… et politique
Sur le plan environnemental, les dégâts ont été considérables : destruction partielle des récifs coralliens, contamination des herbiers marins, menace durable sur la biodiversité. Mais sur le plan politique, l’onde de choc fut tout aussi violente. En août 2020, des dizaines de milliers de Mauriciens sont descendus dans les rues pour dénoncer la gestion calamiteuse du gouvernement. Le naufrage du Wakashio est ainsi devenu le symbole d’une double faillite : celle d’un équipage indiscipliné, mais aussi celle d’un État insulaire incapable d’anticiper et de gérer une catastrophe majeure.


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