Réforme électorale : Enfin une réalité ?

 

Après des années de « disette », la réforme électorale pourrait enfin être une réalité dans les prochains mois. Le comité ministériel institué pour faire les recommandations a déjà soumis son rapport il y a maintenant trois semaines. Cependant, ce rapport est tenu ultra secret au Bureau du Premier ministre.  Toutefois, les ministres commencent à lâcher là et là certaines indications quant aux changements qui pourraient advenir une fois le projet de loi adopté. Selon les informations disponibles, quatre changements majeurs toucheront le système électoral de Maurice. Le point sur la question.

Marwan Dawood

Voici un sujet qui mettra la marmite politique en ébullition. La réforme électorale est en passe d’être matérialisée avant la tenue des prochaines législatives. Si pour le gouvernement, c’est une promesse de plus qui est tenue envers la population, l’opposition, quant à elle, dit attendre la publication du rapport du comité ministériel pour faire une analyse approfondie.  De toutes les façons, si réforme électorale il y a, ce sera un tout nouveau système, complètement différent, qui sera mis en place pour les élections de 2019-2020.

Pour le moment, peu sont ceux qui se prononcent sur le projet de réforme électorale. Même le Premier ministre, en conférence de presse mercredi après-midi, n’a pas fait de grands commentaires sur le sujet. Ce que l’on sait pour l’instant, c’est que le document, en circulation parmi les têtes pensantes du gouvernement, c’est-à-dire quelques ministres et quelques hauts fonctionnaires du PMO, préconise surtout à substituer le Best Loser System, l’introduction d’une dose de proportionnelle ainsi que le repêchage des candidats battus par les leaders politiques. Nous savons également qu’un tiers des candidatures sera réservé aux femmes et que le seuil d’éligibilité pour être élu en vertu de la proportionnelle oscillera entre 7,5 et 12 % des voix.

Un flou total

Le projet de réforme électorale est bien « on », dit-on au sein de la majorité, sauf qu’en l’absence du rapport, ils sont nombreux à vouloir attendre avant de prendre position. Cependant, au plus haut sommet de l’Hôtel du gouvernement, on se veut rassurant : le projet de loi sur la réforme électorale visant à redynamiser notre système électoral sera prêt pour la prochaine rentrée parlementaire du 16 octobre prochain, soit dans exactement un mois !

Même pour la majorité des députés du MSM, la supposée ébauche qui circulerait à l’intérieur du Sun Trust, serait encore tenue secrète. La façon dont ce document est gardé secret laisse planer le doute et le flou sur les vraies propositions s’y trouvant.

Proportionnelle et seuil d’éligibilité

Si les rumeurs s’avèrent, il aura fallu à Maurice 50 années. 50 années pour qu’un gouvernement fasse une démarche de cette envergure.  Mais il faut pour cela retourner quelque temps en arrière, soit en 2014, lorsque le gouvernement d’alors sous Navin Ramgoolam avait présenté un ‘White Paper’ pour permettre à toutes les parties intéressées de soumettre leurs propositions. À cette époque, le débat sur la représentation proportionnelle faisait rage. Aujourd’hui encore, il ne serait pas surprenant de voir toutes sortes d’arguments fuser à gauche et à droite pour faire « ralentir » le processus de réforme, explique un observateur. Déjà, le débat sur la réforme stagne sur le seuil d’éligibilité à adopter sous la formule de représentation à la proportionnelle.

Ce débat ne date pas d’hier. Toujours en 2014, alors que la réforme électorale paraissait être le cheval de bataille du MMM dans l’éventualité d’une alliance électorale avec le PTr, le sujet de seuil d’éligibilité a été l’un des principaux « macadams ». Paul Bérenger avait à l’époque insisté que ce fameux seuil devait être de 10 % mais Navin Ramgoolam, plus généreux, s’alignait lui sur 8 % initialement. Il devait alors réajuster sa position en proposant un seuil de 8,5 %, vers un compromis avec les 10 % proposés par le MMM.

Selon les bruits de couloirs, 10 % sont justement le pourcentage de voix qu’un candidat indépendant ou une formation politique devra recueillir lors d’un scrutin pour pouvoir aspirer à être éligible à des sièges répartis selon la formule de représentation proportionnelle.  Par ailleurs, il est bon de retenir que dans un passé récent, les débats autour de ce seuil d’éligibilité a eu de lourdes conséquences pour le gouvernement PTr-PMSD.  Aujourd’hui, les bleus se retrouvent dans l’opposition mais ne semblent pas avoir changé le fusil d’épaule sur la question. Vont-ils encore maintenir leur position en préconisant que le seuil d’éligibilité soit de 5 % ?  Un seuil de 5 %, rappelons-le, a été celui proposé par l’Alliance Lepep dans son programme électoral en décembre 2014.

À ce stade, le Mouvement patriotique (MP) d’Alan Gannoo est plus favorable à un seuil à 5 %. Le MMM ne veut pas se prononcer avant d’avoir en main l’ébauche du projet de loi, le PTr adopte une position similaire, alors que pour le PMSD, ce n’est pas la priorité des priorités en ce qui concerne le seuil d’éligibilité.  Toutefois, le gouvernement aura la lourde tâche de ne pas introduire un seuil trop bas au risque de faciliter l’entrée au Parlement des partis frisant un certain extrémisme.

L’épineux Best Loser System

Le gouvernement est déterminé à remplacer le Best Loser System (BLS). Pour l’histoire, le Best Loser System existe depuis les élections de 1967. C’est un système mis en place pour rétablir l’équilibre ethnique au Parlement. Actuellement, huit députés sont repêchés après chaque élection sur une base ethnique. Déjà, dans le passé, soit en 2014, la Constitution avait été indirectement amendée par le passage du Declaration of Community (Temporary Provisions) Bill. Cette loi permet aux candidats de décider s’ils veulent ou pas déclarer leur appartenance ethnique lors du dépôt de candidature.

Qualifié à l’époque de ‘mini-amendement’ à la Constitution, le Declaration of Community (Temporary Provisions) Bill a été sur papier porteur de changement, mais vu que cette loi laisse le choix libre, si les politiciens ne jouent pas le jeu, elle ne sert à rien ! Cependant, là également, plusieurs sont ceux qui sont contre l’abolition du Best Loser System, à l’instar de Xavier Duval, leader du PMSD, qui s’est maintes fois prononcé sur le sujet. Une source au PMSD affirme que le parti compte s’opposer à toutes propositions d’en finir avec le BLS, d’autant plus que ce système permet de rééquilibrer les faiblesses de notre système électoral.  Selon le PMSD, le Best Loser System permet de savoir où se situent les minorités dans la société mauricienne.

En remplacement du Best Loser System, le gouvernement pourrait proposer un nouveau système de repêchage des candidats non-élus, mais ce seront aux leaders politiques d’en décider et non la commission électorale.  D’ores et déjà, des voix s’élèvent contre la proposition, dont celle de Navin Ramgoolam, leader du PTr, qui estime que « Ce serait trop de pouvoirs concentrés entre les mains d’un dirigeant. C’est un projet qui va intensifier le communalisme et ce sera le groupe défini comme Population générale qui sera le grand perdant. »

Financement des partis politiques

Très attendue, la loi pour la réforme électorale pourrait également être accompagnée d’une autre loi visant à régulariser le financement des partis politiques à Maurice. Depuis quelque temps déjà, on évoque la possibilité que les partis politiques puissent bénéficier d’une subvention publique. Le Financing of Political Parties Bill serait, selon les dires de plus d’un, en gestation au niveau du State Law Office et sera présentée au même moment que le projet de loi sur la réforme électorale. Mais une fois de plus, très peu d’informations ressortent du comité ultrasecret mais on parle d’une subvention annuelle ou pour chaque cinq ans, à l’approche des élections. Cependant,  du moins pour le moment, aucun critère n’a été défini pour empêcher un déséquilibre financier entre gros partis et petits partis. La proposition de subvention publique des partis politiques suscite déjà des appréhensions quant à la disparition des petites formations politiques, qui seront désavantagées par rapport aux gros partis. Un exemple ? Le temps alloué aux petits partis lors des débats télévisés à la MBC.

Cette partie de la réforme contiendrait alors une refonte de l’Electoral Supervisory Commission afin de lui donner des pouvoirs accrus pour contrôler les finances des partis. Ceci dit, il y aura donc des règlements à respecter. En haut lieu, on avance trois choses : les contributions privées seront autorisées, à condition d’en dévoiler la source ; pour les dons dépassant les Rs 50 000, les noms des donateurs devront être révélés ;  et l’enregistrement des partis politiques auprès du Registrar of Compagnies deviendrait obligatoire. En ce qui concerne les candidats, il est dit que le Financing of Political Parties Bill prévoit de rendre fixe le montant des dépenses, soit à Rs 1 million. Actuellement, la somme que doit dépenser un candidat est de Rs 150 000 pour les élections générales et de Rs 250 000 pour une partielle et si un candidat dépasse le seuil de 10 % des votes, il sera remboursé d’une partie du montant.

Présence des femmes en politique

La réforme électorale préconisera également une plus grande participation féminine dans la politique. On évoque alors un seuil minimum d’un tiers des candidats qui seront des femmes, soit 20 sur une liste de 60, ce qui donne l’équivalent d’une femme par circonscription.

 

Une Assemblée nationale à 83 députés ?

Avec la réforme sous la forme annoncée, nous aurons dans un futur avenir un parlement à 83 députés. La formule First Past The Post (FPTP) restera inchangée, soit 3 candidats élus par chaque circonscription, pour un total de 60 députés. Le nombre de députés de Rodrigues passera de 2 à 3, pour porter le total à 63 députés.  À cela viendra s’ajouter 12 députés avec la formule à la proportionnelle, et entre 6 et 8 au repêchage électoral post élection.

Consensus loin d’être trouvé pour la majorité de ¾

Pour qu’il y ait une réforme électorale, ce sera au Parlement de trancher.  Or, pour le moment, la majorité ne possède pas les ¾ requis pour amender la Constitution.  Il faudra alors un accord entre les partis de l’opposition pour que la réforme soit votée. Si le PMSD et le PTr se montrent réticents pour le moment, le MP avec ses deux députés pourrait se ranger du côté de ces deux partis, alors que le MMM par la voix de Paul Bérenger, a déjà annoncé qu’il votera la réforme même en n’étant pas entièrement satisfait : il parle alors de « vote under protest ». Ce geste s’expliquerait par le fait que le MMM lorgne une réforme électorale depuis 1987.