Réhabilitation des toxicomanes : Une sortie difficile de l’enfer de la drogue

 

Dans le premier volet de notre dossier consacré à  la drogue, paru la semaine dernière, nous avions fait mention de l’absence de volonté politique pour tacler ce fléau. Nous avions aussi fait état de l’absence de politique de prévention au niveau national et dans les écoles. Dans ce deuxième volet de notre dossier, nous abordons le rôle des centres de désintoxication. Comme pour la prévention, l’absence d’une stratégie de réinsertion au niveau national fait défaut. Sont aussi abordés : les autres problèmes qui empêchent toute politique de réhabilitation ainsi que le rajeunissement des drogués. Nous laissons finalement la parole à ces derniers qui nous expliquent comment se passe leur traitement.

 Taroonsingh Ramkoosalsingh, psychiatre

« Pour une meilleure formation des psychiatres et un meilleur suivi des toxicomanes »

Taroonsingh Ramkoosalsingh, psychiatre, aborde les traitements offerts dans les hôpitaux pour les toxicomanes. Il existe des ‘addiction units’ dans les hôpitaux du pays, gérés par de jeunes psychiatres et de médecins généralistes, et qui font un travail formidable, selon notre interlocuteur.

Mais il évoque toutefois un manque de formation pour ces médecins notamment sur comment faire face aux toxicomanes, car ces derniers sont de caractère difficile. Le médecin dénonce aussi le fait qu’en 14 ans, il n’y a pas eu de grand développement dans ces services. Il plaide aussi pour un meilleur suivi (‘psychosocial support’) des toxicomanes.

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José Ah-Choon, directeur du Centre d’Accueil de Terre-Rouge

Ah Choon« L’île Maurice est malade de la drogue»

José Ah-Choon, le responsable du Centre d’Accueil de Terre-Rouge avait été lui-même un ancien toxicomane pendant 15 ans. Il avait été le premier résident du centre quand ce dernier avait ouvert ses portes en 1984.

José Ah Choon se dit choqué de voir le nombre de jeunes qui défilent au centre. « L’île Maurice est malade de la drogue », lance-t-il. Il nous confie que le centre a reçu des adolescents de 14 ans. Il y a même de jeunes filles qui sont venues chercher de l’aide.

Depuis 20 ans, en tant que directeur du centre, il dit avoir remarqué des manquements dans notre politique de réhabilitation. Il y a d’abord les travailleurs sociaux, qui ne regardent pas tous dans la même direction.

De plus, il aborde une politique qui a été mise en place par les autorités, le ‘Harm Reduction Programme’, à base de méthadone comme traitement. Il pense qu’il faut revoir ce système car selon lui, les échecs s’accumulent.

Il demande à ce que tous les acteurs concernés se concertent et mettent en place une stratégie globale, et que tout le monde parle le même langage.

Le Centre d’Accueil de Terre-Rouge offre un programme de réhabilitation de 9 semaines qui est gratuit, étant financé par le gouvernement. Par an, le centre tient 5 programmes, avec une vingtaine de personnes par programme.

Avant d’intégrer le Centre, les jeunes toxicomanes doivent passer par des séances de motivation où ils doivent être accompagnés par leurs parents.

La méthode de prise de conscience du Centre d’Accueil de Terre-Rouge est intéressante : les jeunes toxicomanes travaillent dans un atelier sur les vieux meubles. Ils doivent rendre ces meubles comme neufs, et ils devront alors établir un parallèle avec leurs vies.

De plus, on les conscientise sur le fléau de la drogue et les maladies qui peuvent en dégager. On leur donne une formation pour mieux réintégrer la société.

Après le programme de 9 semaines, après désintoxication réussie, ils ont l’opportunité d’être embauchés dans des entreprises.

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Imran Dhannoo_Imraan Dhannoo, président du Centre Idrice Goomany

« Le problème majeur de la réhabilitation : avec un casier judicaire plein, il est difficile de trouver du travail »

Abordant le profil du consommateur de drogue, Imraan Dhannoo, le président du Centre Idrice Goomany dit avoir remarqué depuis les 10 dernières années que la majorité des consommateurs ont moins de 24 ans. Il commence aussi à avoir de plus en plus de femmes et de jeunes filles qui sont victimes de ce fléau. Le fléau de la drogue s’est répandu dans toutes les villes et les villages du pays, n’épargnant,aucune classe sociale.

Imraan Dhannoo fait toutefois ressortir qu’il y a un problème majeur après la réhabilitation, notamment pour ceux qui ont déjà purgé une peine d’emprisonnement pour possession ou consommation de drogue. Ayant un casier judicaire rempli, il est difficile pour eux de trouver du travail, avec un certificat de moralité désavantageux.

Il revient sur le rapport de la commission antidrogue présidée par l’ex-juge Paul Lam Shang Leen. Ce rapport avait fait mention d’un ‘Drug Offenders Assessment Panel’. Imran Dhannoo espère qu’une telle instance soit mise sur pied pour aider les consommateurs de drogue à quitter cet enfer pour se réhabiliter.

Le Centre Idrice Goomany offre des traitements à ceux qui sont dépendants sur l’héroïne, la drogue synthétique et l’alcool. Par an, le centre reçoit environ 600 consommateurs de ‘Brown Sugar’ et d’héroïne.

Le traitement se fait en deux étapes : il y a tout d’abord l’étape dite physique, à base de médicaments, suivie de l’étape psychologique, qui est la plus difficile. C’est cette dernière étape qui constitue la réhabilitation proprement dite. Elle peut durer entre 6 mois et un an.

Pour la réhabilitation des toxicomanes, le centre travaille beaucoup sur la prévention de toute rechute et leur réinsertion sociale.

Le Centre a un programme de soutien, ‘Economic Empowerment Support’, pour aider les toxicomanes à lancer leur propre entreprise. Pour des raisons évidentes, on ne leur donne pas de l’argent mais on leur fournit des équipements. Ces trois dernières années, environ 100 personnes ont bénéficié de ce programme.

Il faut savoir qu’en ce qui concerne le traitement de la drogue synthétique, qui est connu dans les milieux professionnels comme la Nouvelle Drogue de Synthèse (NDS), il n’existe pas un protocole dans le monde contre cette drogue. Ce traitement est dit symptomatique, c’est-à-dire qu’il se fait par rapport aux symptômes que présente chaque toxicomane.

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Dr. Siddick Maudarbocus, directeur de Les Mariannes Wellness Sanctuary

Dr Maudarbocus« Les toxicomanes sont de plus en plus jeunes »

Le Dr, Siddick Maudarbocus, directeur de Les Mariannes Wellness Sanctuary, partage le même avis qu’Imraan Dhannoo, à l’effet que les consommateurs sont de plus en plus jeunes.

 

 

Comment tombent-ils dans ce piège ? Beaucoup d’être eux veulent expérimenter avec de la drogue synthétique ou bien, ce sont les gens de leur milieu qui les introduisent à des drogues telles que le ‘brown sugar’ et l’héroïne.

Les toxicomanes, selon le médecin, commencent par consommer des drogues plus coûteuses et se rabattent par la suite sur des drogues à bon marché.

Les Mariannes Wellness Sanctuary est une clinique payante spécialisée dans la désintoxication des toxicomanes. Selon le Dr. Siddick Maudarbocus, la clinique a une approche hybride, combinant le système américain, le système européen et le système russe. Toujours selon lui, sur plus de huit ans, sur 3 000 patients, 65 % des drogués ont été complètement guéris de leur addiction. La clinique accueille 1 fille pour chaque 5 garçons.

Il faut dire que Les Mariannes Wellness Sanctuary a une méthode de réhabilitation assez particulière. Pendant 14 jours, les patients suivent un traitement strict à base de médicaments, mais où l’introspection psychologique y joue un rôle majeur. Il y a ainsi plusieurs séances de ‘counselling’ par des psychologues, des psychiatres et des médecins.

Pour les accros à l’héroïne,  la durée du séjour peut varier. Ici, la méthadone n’est pas utilisée. On mise plutôt sur des médicaments « safe », selon les explications du directeur, où le patient ne devient pas dépendant des médicaments.

 

 

 

 

 

 

 

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La parole aux toxicomanes

Au Centre d’Accueil de Terre-Rouge, nous avons fait la rencontre d’un groupe de jeunes toxicomanes qui sont sur leur 5e semaine au centre.

Ces jeunes nous expliquent que leur séjour au centre se déroule selon un planning. À tour de rôle, ils ont la responsabilité de faire le petit déjeuner, le déjeuner, la pause-café et le dîner. Le centre les a rendus responsables, selon eux. Au début, ils étaient plus de 10, mais ceux qui n’ont pas pu s’adapter sont partis.

Ils nous décrivent comment ils sont tombés dans le piège, et comment ils arrivent à s’en sortir.

Kevin, 29 ans

« Plus je consommais de la drogue, plus mon corps en demandait »

Kevin est un habitant de Lallmatie âgé de 29 ans. À une époque de sa vie, il fréquentait beaucoup dans les boites de nuit. Un jour, un ami devait lui proposer d’essayer « quelque chose de nouveau ». « Malgré que je connaissais les effets du ‘Brown Sugar’, je me suis laissé tenter », nous dit-il. Il fréquentait son ami tous les samedis, et l’addiction est venue petit à petit. « Plus je consommais de la drogue, plus mon corps en demandait », nous explique Kevin.

Il s’est marié l’an dernier. Il a cru qu’il allait changer pour pouvoir assumer ses responsabilités, mais peine perdue. Il n’assumait plus ses responsabilités et n’apportait pas de l’argent à la maison malgré le fait qu’il travaillait.

Un beau jour, en voyant la souffrance de son épouse et de ses proches, il décida lui-même d’intégrer le centre de Terre-Rouge, où il a fait la rencontre de plusieurs toxicomanes comme lui. Depuis Kevin a beaucoup appris. Il attend avec impatience le jour où il pourra rentrer chez lui et reprendre sa vie en main, et peut-être même fonder une petite famille.

Visagen, 23 ans

« J’ai vu que la drogue allait me tuer »

Visagen, 23 ans, avait commencé par fumer de la drogue synthétique. Un jour, alors qu’il était avec des amis, il a dit qu’il voulait essayer quelque chose de nouveau. Ses amis lui avait donné du ‘brown’. Visagen ne savait pas comment consommer cette drogue. Ses amis lui avaient alors expliqué qu’il pouvait soit la fumer ou l’injecter dans une veine avec une seringue.

Il se shootait depuis plus d’un an.  « Pendant le confinement, j’ai vu que la drogue allait me tuer. J’ai donc demandé à ma mère de me faire admettre dans un centre. Elle savait que je me droguais, en voyant des objets qui disparaissaient de la maison. Elle a donc fait le nécessaire. »

Depuis Visagen a complètement arrêté de se droguer. Il va essayer de réintégrer son travail en décembre. Si cela s’avère impossible, il compte partir pour l’étranger. Détenteur d’un diplôme, le jeune homme pense pouvoir y faire une belle carrière malgré son passé.

Adarsh, 21 ans

« C’est moi qui ai voulu essayer »

Il est le plus jeune du centre, âgé de seulement 21 ans. Adarsh, un habitant de Petit Raffray, raconte que cela fait 10 mois qu’il a commencé à se droguer. « C’est moi qui ai voulu essayer », admet-il.

Il avait demandé un ami de le laisser fumer du ‘brown’ mais ce dernier a tenté de l’en empêcher. Têtu, il a insisté…

Il travaillait et gagnait de l’argent, mais depuis novembre de l’an dernier, tout son argent partait dans la drogue. Pendant le confinement, alors qu’il était à court d’argent, il devait avouer à sa mère qu’il se droguait. « Ma mère était en larmes », nous dit le jeune homme.

Sa mère devait décider de l’emmener chez un médecin à Petit Raffray, mais malgré cela il n’a pas arrêté de se droguer. Sa mère l’a conduit au centre. Depuis il suit un traitement stricte. Il pense chercher un boulot et se marier après son traitement

 

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La souffrance des parents

Au Centre d’Accueil de Terre-Rouge, divers parents ont accompagné leurs enfants pour des séances de traitement. Le directeur Ah-Choon nous confie : « Je peux vous dire que les parents toxicomanes souffrent vraiment, car ces derniers deviennent agressifs et violents. »

Nous nous dirigeons vers une femme plutôt âgée, avec un visage las, qui nous raconte son histoire.

Manigay, 65 ans, est une habitante de Rose-Hill. Cette mère de famille de cinq enfants, a quatre fils toxicomanes. Elle a avec elle son fils ainé, âgé de 42 ans.

Depuis le décès de son époux, elle a dû beaucoup travailler pour subvenir aux besoins de ses enfants. Mais elle n’a pas pu leur consacrer assez de temps, et ses quatre fils sont tombés dans le piège de la drogue.

En ce moment, trois de ses fils suivent le traitement à base de méthadone. Un de ses fils prend du poids ce substitut, tandis que les deux autres le revendent.

Ses quatre fils n’ont jamais été violents, et ils travaillent malgré leur addiction, bien qu’ils aient beaucoup changé physiquement.

Elle a cette fois-ci emmené son fils ainé, âgé de 42 ans, au centre car ce dernier veut changer. Cette mère, malgré toutes ces responsabilités sur les épaules, ne laisse pas tomber ses fils et veut qu’ils arrêtent de consommer de la drogue.

Neevedita Nundowah