Répression institutionnalisée : « Un sentiment d’impunité de la police »

À voir les agissements de la police ces derniers temps, dont des arrestations considérées comme arbitraires, y compris ceux d’un homme de loi, de brutalité policière et de violation d’un ordre de la Cour suprême, l’on se demande s’il y a encore un État de droit à Maurice. Et dans toutes ces affaires, la police se gargarise du fameux « nou fine gagn lordre depi la haut », comme un leitmotiv.

L’arrestation de Dominique Seedeeal, alias ‘Darren activiste’ le 22 avril dernier ainsi que son incarcération d’une nuit à Alcatraz, celle de son avocat, Me Akil Bissessur qui dit avoir agi dans l’exercice de ses fonctions en publiant une photo du présumé agresseur de son client, qui est un policier, ou encore la déportation forcée du Slovaque Peter Uricek en dépit d’un ordre de la Cour suprême de ne pas procéder à sa déportation, font tiquer les observateurs des droits de l’Homme. Car ces arrestations laissent une perception que la police se croit tout permis, en s’appuyant sur le fameux « nou fine gagn lordre depi la haut ».

Ce même scénario « nou fine gagn lordre depi la haut » s’était produit dans la déportation du Slovaque Peter Uricek. « Nou ferfout avec lordre la cour », devaient lancer les éléments du ‘Passport & Immigration Office’ (PIO) pour bien démontrer qu’ils faisaient fi de l’objection de la part de son avocat, Me Yatin Varma. À force d’insister sur le respect de cet ordre juridique émis en bonne et due forme par un juge de la Cour suprême, Me Yatin Varma avait été bousculé et projeté par terre.

Ces récents évènements démontrent, selon des observateurs, que la police est « protégée » par une force suprême et occulte qui la permet d’agir selon les instructions reçues.

« Cette attitude de la police ne sort pas du néant »

Le directeur et fondateur du mouvement ‘Dis-moi’, Lindley Couronne, qui d’emblée qualifie la police de « paillasson du pouvoir » pour bien démontrer la différence qui existe entre deux postes constitutionnels, notamment celui du Commissaire de police (CP) et celui du Directeur des poursuites publiques (DPP).

« Cette attitude de la police qui se croit tout permis ne sort pas du néant », soutient le fondateur du mouvement ‘Dis-moi’. « Si le DPP, en vertu de la Constitution, est complètement indépendant, tel n’est pas le cas pour le CP, qui est tout autant un poste constitutionnel. Contrairement au DPP qui n’est pas redevable au Premier ministre, le Commissaire de police doit par contre rencontrer le PM régulièrement et doit prendre des ordres de ce dernier. Le CP doit être dans les petits souliers du PM et de ce fait, il n’est pas du tout indépendant. Durant ces cinquante dernières années, la police a souvent été le paillasson du pouvoir. Elle bouge au gré du pouvoir. Je ne dis pas que nous avons une police à 100 % inféodée au pouvoir, mais elle n’est pas comme la police suédoise, par exemple », explique ce défenseur des droits humains.

Lindley Couronne ajoute : « Pour moi, l’ex-CP Servansing était un honnête homme. Il voulait changer la force policière. Je le rencontrais ponctuellement au moins une fois par mois. Quand je recevais des complaintes de la part des gens au niveau de notre organisation, il me demandait souvent de mener mon enquête à mon niveau. M. Servansing m’avait même invité à former 500 nouvelles recrues au sein de la police. Chose que j’ai faite dans les quatre coins de l’île où il y a des centres de formation pour les nouvelles recrues ».

S’agissant de l’affaire du Slovaque Peter Uricek, Lindley Couronne estime que « la police est descendue à un niveau très bas. Ces policiers n’ont peur de personne. D’où provient ce sentiment d’arrogance et d’impunité ? Ils n’ont même pas hésité à bousculer un avocat. Et à ce stade, rappelons que le DPP a ordonné une enquête judiciaire (Ndlr : Cette démarche du DPP est contestée par l’Attorney General et l’affaire sera prise en Cour suprême le 17 mai prochain.). C’est justement parce qu’il ne fait point confiance à la police. Moi aussi, j’ai plus confiance dans le judiciaire que dans la police ». Il finit par conclure que « la police n’a aucune crédibilité ».

« L’ordre vient de nos chefs hiérarchiques »

Au niveau de la police, les avis divergent. Certains policiers à qui nous avons parlé, naturellement sous le couvert de l’anonymat, défendent bec et ongle le comportement de leurs collègues en soutenant que c’est normal que la police ne va pas traiter les fauteurs de troubles avec un gant de velours. Pour eux, ces personnes reçoivent ce qu’ils méritent. Par contre, d’autres sont plus nuancés dans leurs commentaires. En ce qui concerne la notion de « nou fine gagn lordre depi là-haut, ils soutiennent que « l’ordre vient de nos chefs hiérarchiques ».

Nos interlocuteurs soulignent que ceux qui ont habilités à leurs donner des instructions sont les inspecteurs, les chef-inspecteurs, les ‘Assistant Commissionner of Police’ (ACP), les ‘Deputy Commissionner of Police’ (DCP) et enfin, le Commissaire de police. Selon eux, si les policiers doivent procéder à l’arrestation d’une personne, il serait mieux qu’ils soient dotés d’une ‘bodycam’ (camera portative) qui pourrait éventuellement être visionnée par les hommes de loi. « Cela éviterait des abus de la part des policiers et aussi des allégations gratuites contre nous ».

 « Nous sommes aussi des pères de famille et nous avons des enfants. Nous comprenons la misère des gens car nous faisons nous aussi partie de cette catégorie des gens économiquement faibles. Nous devons dire que travailler sous l’actuel CP revient à travailler sous une pression quotidienne. Ce qui est dommage, c’est qu’on a souvent un CP qui est au seuil de sa retraite. Donc, rien ne peut être fait pour revoir le fonctionnement de la police », disent-ils.

ASH

Hors-texte

Rs 50 millions réclamées à l’État

Louis John Brant Vivien, alias John Brown, réclame Rs 50 M à l’État et à huit policiers qu’il accuse de l’avoir arrêté arbitrairement et l’avoir agressé. L’affaire remonte au 29 avril 2020 quand les policiers étaient venus faire une fouille chez lui à Goodlands pour une affaire de drogue. Rien d’incriminant n’avait été découvert chez lui. Toutefois, il fut trainé de force pour prendre place à bord d’une fourgonnette et menottes aux poignets, il aurait été brutalisé par les policiers en cours de route pendant que le véhicule se dirigeait vers le stade Anjalay. À mi-chemin, il fut transporté dans un champ de cannes où il aurait été physiquement agressé à nouveau. Incarcéré pour une nuit, il avait été libéré sous caution le lendemain matin après sa comparution en Cour de Mapou.

Par l’entremise de ses hommes de loi, il a fait servir une mise en demeure aux huit policiers qu’il a incriminés et aussi à l’État pour réclamer des dommages de Rs 50 M.